10 avril 1865. La guerre de Sécession s’est terminée avec la reddition du Général Lee, ce qu’ignore encore le commandant sudiste Vance Reno (Richard Egan). Il a mis au point l’attaque d’un convoi de chemin de fer lors de son arrêt à une petite station. Le but de Vance est de s’emparer avec ses hommes de la paie des soldats nordistes. Le plan fonctionne parfaitement, mais Vance découvre rapidement que la guerre est finie. Il décide de partager le butin en parts égales entre ses hommes et de se séparer. Vance et ses deux frères retournent au village. Il est heureux de retrouver sa vie de civil et de pouvoir enfin épouser sa fiancée Cathy (Debra Paget)… sauf que celle-ci entre-temps a épousé son frère cadet Clint (Elvis Presley)…
Il n’est pas entièrement faux de dire que Le Cavalier du crépuscule doit sa notoriété à la présence d’Elvis Presley, pourtant le film a de vraies qualités (mise en scène, interprétation, scénario) qui en font un western de très bonne facture. A partir d’une histoire que l’on peut situer à n’importe quelle époque et à partir de n’importe quel conflit : le retour d’un soldat dans son village où tout le monde le croit mort jusqu’à sa fiancée qui s’est mariée depuis. L’originalité du film est de situer l’action à la toute fin de la guerre de Sécession.
Elvis donne vraiment de la consistance à un rôle secondaire. Il apporte une fraîcheur juvénile, sorte de rebelle sans cause, dans un monde (celui de la guerre de Sécession) qui s’est fait sans lui. Il exprime parfaitement tout un ressentiment envers les adultes qu’une simple étincelle (dans le cas présent la jalousie) suffit à faire exploser. Pour son premier rôle au cinéma, il fait plus que de s’en sortir, il est excellent. Bien sûr, sa notoriété dans le rock’n’roll le condamne à son corps défendant à interpréter quatre chansons : Love Me Tender, Let Me, We’re Gonna More, Poor Boy. Love Me Tender devant le titre du film, auquel pour sa sortie française la Fox préférera le curieux Cavalier du crépuscule, nous ne saurons jamais à qui le titre renvoie mais certainement qu’à l’époque « Aime-moi tendrement » avait un côté trop fleur bleue pour le public français. Toujours est-il que le film est un énorme succès aux Etats-Unis, remboursant allègrement son budget dès sa première semaine d’exploitation. L’affiche utilisera au maximum la présence d’Elvis reléguant au second plan tous les autres acteurs.
Pourtant il faut reconnaître que Richard Egan, le rôle principal, ne démérite pas. Il est parfaitement crédible en homme de retour de la guerre et que le mariage de sa fiancée blesse profondément. Acteur de second plan, on le retrouve dans nombre de séries B souvent dirigées par d’excellents cinéastes : Mark Robson (La Nouvelle aurore, 1951), George Sherman (La Princesse de Samarcande, 1951, Au mépris des lois, 1952), Raoul Walsh (Barbe-Noir le pirate, 1952, Bungalow pour femmes, 1956, Esther et le Roi, 1960), Richard Fleischer (Les Inconnus dans la ville, 1955, Duel dans la boue, 1959), etc. Sous contrat avec la 20th Century Fox, Le Cavalier du crépuscule aurait dû être un tremplin pour le vedettariat, les spectateurs se précipiteront en masse dans les salles pour Elvis. Richard Egan poursuivra sa carrière dans des seconds rôles.
Debra Paget est encore dans la mémoire de tous les cinéphiles pour prestation particulièrement sexy dans le diptyque de Fritz Lang : Tigre du Bengale et Le Tombeau Hindou (1959). Très belle brune au superbe corps de danseuse, Debra Paget avait débuté à l’écran en 1948 dans La Proie (Cry of the City), excellent film noir de Robert Siodmak avec Victor Mature. Elle a tout juste quinze ans. Installée à Hollywood, elle a la chance de tourner sous la direction de Joseph L. Mankiewicz (La Maison des étrangers, 1949), Henry Hathaway (14 heures, 1951, Prince Vaillant, 1954), Jacques Tourneur (La Flibustière des Antilles, 1951). Elle est Cosette dans La Vie de Jean Valjean aux côtés de Michael Rennie sous la direction de Lewis Milestone en 1952. Elle apparaît pour la première fois dans un western (son genre favori) avec La Flèche brisée de Delmer Daves. Elle incarne une indienne dans un autre grand western La dernière chasse de Richard Brooks (1956). La même année que Le Cavalier du crépuscule, elle est Lilia dans le monumental Les Dix Commandements de Cecil B. DeMille. Actrice particulièrement sensuelle, elle quitte définitivement les plateaux de cinéma dans les années 60 après avoir enchaîné deux très bons films de Roger Corman inspiré d’Edgar Allan Poe et de H.P. Lovecraft : L’Empire de la Terreur (1962) et La Malédiction d’Arkham (1963).
Le Cavalier du crépuscule est le film le plus populaire de Richard D. Webb. Il aura réalisé durant sa longue carrière en tout et pour tous 16 films. Webb fut un excellent réalisateur de seconde équipe travaillant essentiellement pour Henry King (Le Pacte, 1936, L’incendie de Chicago, 1937, L’heure suprême, 1937, Le Brigand bien-aimé, 1939, Stanley et Livingstone, 1939, Le Roulotte rouge, 1940, Capitaine de Castille, 1947, Échec à Borgia, 1949, David et Bethsabée, 1951). Quand il se voit confier la réalisation du Cavalier du Crépuscule, Webb avait déjà deux westerns à son actif: Plumes blanches (1955) avec déjà dans le rôle principal féminin Debra Paget et Le Shérif avec Robert Ryan et Virginia Mayo produit par la Fox. Contrairement à son précèdent western, Le Cavalier du crépuscule est en noir et blanc mais en CinémaScope. Son utilisation de l’écran large anamorphique est superbe. Chaque plan est harmonieusement composé. La première séquence, le vol de la paie des soldats yankees, est formidable, Webb y fait montre d’un savoir-faire de premier ordre. Tension, simultanéité des actions, suspense, c’est une remarquable entrée en matière.
Elvis pouvait-il avoir un destin tragique à l’écran ? Le film s’achève sur un Elvis qui de l’au-delà entonne une dernière fois Love Me Tender en surimpression sur un paysage paisible. Le film, involontairement, réussit une juxtaposition de temps et d’espaces différents, effet qui à y regarder de plus près donne une impression assez étrange à la lisière du fantastique. David Lynch s’en souviendra et réutilisera la chanson interprétée par Sailor (Nicolas Cage) à l’amour retrouvé de sa vie Lula (Laura Dern) bravant ainsi les forces du mal à la fin de Sailor et Lula (Wild at Heart, 1990). Il ne vous reste plus qu’à redécouvrir Le Cavalier du crépuscule…
Fernand Garcia
Le Cavalier du crépuscule est édité dans la collection de références du genre Western de légendes par Sidonis Calysta. Le report proposé est impeccable (image et son restaurés). Dans la section complément, une double présentation de Love Me Tender, l’une par François Guérif, qui revient sur le film, la carrière de Robert D. Webb et le scénario (7 minutes). L’autre par Patrick Brion, qui replace le film dans son époque 1956, une bonne année pour le western, et sur différents aspects de la production (5 minutes). Les films-annonces des westerns avec Elvis Presley disponible dans la collection (à l’unité ou en coffret) : Le Cavalier du crépuscule, Les Rôdeurs de la plaine et Charro. Enfin, une galerie photos complète la section.
Le Cavalier du crépuscule (Love Me Tender) un film de Robert D. Webb avec Richard Egan, Debra Paget, Elvis Presley, Robert Middleton, William Campbell, Neville Brand, Mildred Dunnock, Bruce Bennett, James Drury, Russ Conway, Ken Clark… Scénario : Robert Buckner d’après une histoire de Maurice Geraghty. Directeur de la photographie : Leo Tover. Décors : Lyle R. Wheeler et Maurice Ransford. Effets spéciaux : Ray Kellogg. Montage : Hugh S. Fowler. Musique : Lionel Newman. Producteur : David Weisbart. Production : 20th Century Fox. Etats-Unis. 1956. 96 mn. Noir et blanc. CinémaScope. Ratio image : 2,35 :1. Son : 5.1 (en VOSTF) et en 2.0 (en VF). Tous Publics.