Dans le milieu de la mafia, Nick Lanzetta est un solitaire, spécialiste des « coups de main » audacieux. Homme de main de Don Giuseppe D’Aniello, lui-même principal lieutenant de Don Corrasco, Nick Lanzetta profite que la famille ennemie soit réunie dans un cinéma pour la décimer au lance-roquettes. En guise de représailles, Cocchi, l’héritier du défunt Don Attardi, ordonne le kidnapping de Rina, la fille de Don D’Aniello, et fait savoir qu’il ne relâchera cette dernière qu’en échange de Don D’Aniello lui-même. Chantage, enlèvement, meurtre, … Cet évènement va déclencher une violence sans limite entre les deux familles.
Né le 11 janvier 1932 à San Ferdinando di Puglia dans la région des Pouilles en Italie, Fernando Di Leo est un réalisateur et scénariste injustement méconnu en France encore aujourd’hui. Fernando Di Leo a débuté sa carrière en co-signant les scénarios de nombreux célèbres et importants westerns-spaghettis du milieu des années 60 comme Pour une poignée de dollars (Per un pugno di dollari, 1964) et Et pour quelques dollars de plus (Per qualche dollari in più, 1965) réalisés par Sergio Leone, Un Pistolet pour Ringo (Una Pistola per Ringo, 1964) et Le Retour de Ringo (Il Ritorno di Ringo, 1965) réalisés par Duccio Tessari, ou encore Navajo Joe (1966) de Sergio Corbucci et Le Temps du massacre (Tempo di massacro, 1966) de Lucio Fulci. Dès la fin des années 60, Di Leo se consacre presque exclusivement à la mise en scène et à l’écriture de ses propres films. Tout de suite après le très noir Milan Calibre 9 (Milano Calibro 9, 1972), son adaptation du recueil de nouvelles noires se déroulant à Milan de l’écrivain Giorgio Scerbanenco, et Passeport pour Deux Tueurs (ou L’Empire du Crime) (La Mala Ordina, 1972), le cinéaste Fernando Di Leo réalise le troisième volet de l’immanquable « trilogie du Milieu » qui, dans le violent contexte politique et social des années de plomb que traverse le pays, nous plonge au cœur du grand banditisme italien. Inspiré du roman américain Mafioso de l’écrivain Peter McCurtin, Le Boss (Il Boss, 1973) est donc le troisième et dernier opus qui vient conclure cette incroyable et passionnante trilogie dont les films sont complémentaires. Auteur d’une œuvre essentiellement axée sur le cinéma dit « de genre », Di Leo dresse toujours en sous-texte dans ses films un constat à la fois politique, social et culturel de l’Italie de l’époque. Un constat qui, dans le même temps, met à jour ses opinions personnelles et ses convictions profondes.
S’il en a beaucoup écrit, il est pertinent de relever que Fernando Di Leo n’a jamais réalisé de westerns. Cependant, avec ses personnages de gangsters solitaires, ses bandes rivales, ses duels, ses alliances diverses et ses nombreux retournements de situation, ses polars en reprennent indubitablement les codes en les transposant dans un univers urbain. Dans l’histoire du cinéma, « la trilogie du Milieu » de Fernando Di Leo est une référence aussi importante pour le polar que ne l’est « la trilogie du dollar » de Sergio Leone pour le western. Milan Calibre 9, Passeport pour Deux tueurs et Le Boss sont aujourd’hui devenus des classiques incontournables et une référence pour beaucoup, à commencer pour le réalisateur Quentin Tarantino qui, de Reservoir Dogs (1992) à Boulevard de la mort (Grindhouse: Death Proof, 2007) en passant par Pulp Fiction (1994) et son duo de bandits mythique, Vincent Vega et Jules Winnfield (John Travolta et Samuel L. Jackson), qui a pour modèle celui que forment Henry Silva et Woody Strode dans Passeport pour Deux tueurs, s’inspirera allègrement des films de Di Leo dans son œuvre.
« Je dois beaucoup à Fernando en termes de passion et de réalisation […]. Je suis un grand fan des films de gangsters italiens, je les ai tous vus et Fernando Di Leo est, sans aucun doute, le maître de ce genre. » Quentin Tarantino
Comme Milan Calibre 9 et Passeport pour Deux Tueurs, Le Boss est produit par Armando Novelli qui permet au cinéaste de poursuivre avec ce film son exploration du monde de la mafia. Si ce dernier volet contient moins d’humour que les précédents et est principalement axé sur la démystification de la mafia, on retrouve dans Le Boss la manière singulière qu’à Fernando Di Leo de filmer la ville et d’utiliser magnifiquement l’espace du décor citadin comme un personnage à part entière, mais aussi son style unique qui situe le film dans le genre du poliziottesco, le néo-polar italien. En effet, le style incomparable du réalisateur, l’esthétique de Le Boss, mais aussi son époque, inscrivent ce dernier dans le genre cinématographique du poliziottesco que l’on appelle également polar bis italien ou polar-spaghetti. Avec plus d’une centaine de films, le polar urbain poliziottesco sera un genre très populaire en Italie qui, frappée par la violence terroriste issue des milieux extrémistes de droite comme de gauche et par la corruption, traverse une période funeste de son histoire, les années de plomb.
Inspiré du cinéma américain et particulièrement des succès internationaux de classiques du film noir comme L’Inspecteur Harry (Dirty Harry, 1971) de Don Siegel, French Connection (The French Connection, 1971) de William Friedkin, Le Parrain (The Godfather, 1972) de Francis Ford Coppola ou encore Le Flingueur (The Mechanic, 1972), Le Cercle Noir (The Stone Killer, 1973) puis Un Justicier dans la ville (Death Wish, 1974) de Michael Winner, le poliziottesco repose principalement sur des histoires et des enquêtes policières s’inspirant de faits divers de l’époque. Le genre s’inscrit ainsi dans un contexte historique politique et social sans précédent.
L’amour de Di Leo pour le genre noir lui vient d’abord de la littérature puis évidemment du cinéma avec notamment les films noirs classiques de la Warner Bros.. En effet, grand cinéphile, Fernando Di Leo a toujours revendiqué ses inspirations, et ses films, aussi personnels soient-ils, témoignent directement de ses influences diverses. Ainsi on retrouve à travers son œuvre aussi bien son amour pour le cinéma de Jean-Pierre Melville que pour celui de John Huston ou encore celui de Don Siegel.
A l’image du giallo dont il est « cousin », le poliziottesco est un genre très codifié qui va venir se substituer aux films d’horreur en mettant l’accent sur une représentation très graphique de la violence. Celui-ci se démarque du film noir classique italien et du film noir américain par son approche sociologique, son action prédominante (courses-poursuites, cascades,…), sa violence exacerbée (explosions, fusillades, attentats, règlements de comptes,…), ses accointances avec la thématique récurrente de la vengeance et son traitement des personnages. Reflet de l’époque et des attentats politiques qui ensanglantent le pays, le polar-spaghetti met principalement en avant des flics durs à cuire et incorruptibles vivant au quotidien dans l’enfer de la jungle urbaine, des policiers anarchistes et/ou corrompus, des antihéros pour qui le sens de l’honneur prévaut face à la loi, ou encore des gangsters sans foi ni loi. Dans le polar-spaghetti, la loi n’a pas le dernier mot. « La trilogie du Milieu » appartient à tout un pan du cinéma bis italien resté dans l’ombre en France du fait que les écrans des cinémas de quartier étaient alors inondés, car bons marchés, de films de Kung-fu ou de films érotiques. Au début des années 70, années charnières du polar-spaghetti, avec ses films aussi audacieux que parfaitement maîtrisés et son sens exacerbé de la tragédie, Fernando Di Leo donnera sa forme définitive et ses lettres de noblesse au genre et deviendra la référence des réalisateurs de poliziottesco.
Si l’action de Milan Calibre 9 et de Passeport pour Deux Tueurs se passait à Milan, Le Boss se déroule à Palerme. Si le décor urbain est moins important dans Le Boss, filmée de manière tout aussi remarquable que pour les précédents opus, sans pour autant tomber dans le cliché carte postale, Fernando Di Leo nous propose ici une Palerme sombre et obscure difficilement identifiable. Toujours avec le chef opérateur Franco Villa à la photographie, le traitement formel de Le Boss est profondément différent de celui que le cinéaste a effectué sur Milan Calibre 9 ou Passeport pour Deux Tueurs. Très important sur les films de Fernando Di Leo, le montage, toujours très précis et serré, est une nouvelle fois assuré par le talentueux Amedeo Giomini. A la fois direct et précis dans le style, Di Leo n’a aucune limite d’inventivité de figure dans l’expression de la violence. Caractéristiques de la singularité de son cinéma, des séquences d’une brutalité hallucinante et des scènes d’actions prodigieusement réalisées et rythmées, lors desquelles, magistrale, la mise en scène prend le dessus sur l’histoire, vont ponctuer le film pour notre plus grand plaisir. L’absence de limite du cinéaste aussi bien dans son approche du cinéma que dans sa mise en scène, participe à son génie créateur et lui permet de nous offrir des scènes tout simplement splendides. Comme viennent en témoigner de nombreuses scènes, c’est lorsque Fernando Di Leo se déchaîne dans sa mise en scène qu’il devient un grand cinéaste et nous livre de grands moments de cinéma. Exigeant, Di Leo est un cinéaste qui sait ce qu’il veut et qui sait ce qu’il fait.
Comme dans les deux premiers films de « la trilogie du Milieu », Le Boss raconte l’histoire d’un homme qui se retrouve à lutter seul (ou presque) contre la mafia et la police. Dès la stupéfiante séquence d’ouverture en pré-générique du film qui, avec un montage très serré et une économie de dialogue, nous montre le personnage de Lanzetta attaquant au lance-roquettes un cinéma dans lequel les mafieux se sont réunis pour regarder un film pornographique dont le spectateur ne verra pas la moindre image, Fernando Di Leo ne manque pas de nous saisir et de nous interroger tout en posant remarquablement les enjeux de son histoire et en donnant le ton : Le Boss est un film sombre, cynique, âpre et violent. Filmée de manière sèche et sans aucune complaisance de la part du cinéaste, brute et réaliste, la violence du film n’est jamais gratuite mais le reflet de la réalité dans laquelle est plongé le pays.
Qu’ils soient gangsters ou flics, Fernando Di Leo ne cherche jamais à filmer des « héros » ni à magnifier ses personnages. Le personnage principal de Nick Lanzetta, tueur impitoyable, en est ici l’illustration parfaite. Aucun des personnages du film ne peut susciter la moindre empathie de la part du spectateur. Avec ses règlements de comptes entre deux bandes, les calabrais et les siciliens, qui, avec une succession de twists imprévisibles, posent la question de savoir au final qui sera « le boss », le film reprend le schéma classique du film de mafieux mais avec des rapports entre les personnages qui sont à l’inverse de ceux auxquels nous sommes habitués. La mafia se protège en contrôlant des élus politiques et des membres influents de la police qui deviennent les principaux informateurs des familles. Les institutions ont baissé les bras. A l’image de la démission de l’Etat, représentant de l’ordre, le commissaire Torri, pour qui, seule la mafia peut préserver l’ordre, trahit lui aussi ses engagements pour devenir l’indic décomplexé de la famille Corrasco. Même la jeune captive, victime de kidnapping et de viol, nous est présentée comme une alcoolique, droguée et nymphomane qui accepte la situation et y prend du plaisir. Di Leo n’épargne personne. Flics, avocats, procureurs, mafieux, femmes, tous sont mauvais. Corrompus, fourbes et détestables, tous les personnages sont de véritables crapules. Dans les films de Di Leo, les personnages ne sont jamais fascinants et restent de simples hommes appartenant à un milieu qui ne les prépare qu’à mourir. Ces derniers appartiennent à un milieu qui les condamne d’avance. Un milieu où, comme dans ses films, seule la « morale » des gangsters compte. A l’image d’un pays criblé de balles, dans son discours comme dans son audace formelle, Le Boss est le portrait cynique, radical et froid d’un microcosme dévastateur qui condamne et broie de manière inéluctable les hommes qui en font partie. Sans être moralisateur, Di Leo s’est toujours appliqué à mettre en avant dans la mise en scène de ses films ce que l’on pourrait appeler la morale du genre. La morale des personnages qui incarnent ces histoires noires et violentes. La morale des gangsters. Tout au long du film, aussi bien dans l’action que dans les dialogues, le cinéaste ne manque pas de disséminer des messages évoquant avec impertinence les liens étroits qui existent entre la politique, la police, la justice et la pègre. Di Leo n’hésite pas à dénoncer ouvertement les connections et la corruption des institutions.
La mise en scène, le décor, la photographie, le montage mais aussi les dialogues participent ensemble à parfaitement restituer le climat de l’époque. Avec Le Boss, Fernando Di Leo traque la fin d’un monde et nous livre un regard sans concession sur une société qu’il accuse d’être devenue trop partiale. A l’opposé de la vision que proposait Francis Ford Coppola l’année précédente dans Le Parrain (The Godfather, 1972), l’organisation du crime n’a ici rien de séduisant ni de romantique. Le code de l’honneur n’existe pas plus que le respect de la « famille ». Personne ne respecte personne et la trahison est quelque chose de banale. Le traitement singulier et irrévocable que fait Di Leo de la mafia et de ses hommes dans le film comme dans toute la « trilogie du Milieu », vaut à cette dernière d’être considérée comme l’« anti-Parrain » de Coppola.
Du fait de la violence mais aussi de l’idéologie politique de ses œuvres, Fernando Di Leo est un habitué des démêlés avec la censure. Quand Le Boss est passé à la commission de censure en Italie, un politique s’est reconnu dans le film et a porté plainte. Les censeurs ont alors exigé du réalisateur qu’il coupe des répliques du dialogue et qu’il retire une scène montrant un représentant de l’Etat recevoir un pot de vin de la part de la mafia. Gêné, l’ordre établi vient donc, par ces censures, donner raison au cinéaste et prouver le côté authentique et subversif du film de la manière la plus ironique qui soit. Ne souhaitant pas monter l’affaire en épingle et en faire un scandale, la plainte a finalement été retirée.
Pour favoriser l’exportation des films à l’étranger, les productions de l’époque, ou plutôt coproductions, avaient pour judicieuse habitude de proposer des castings internationaux. Composé de gueules remarquables et comprenant des acteurs d’origine italienne et américaine, éclectique et international, le casting de Le Boss est non seulement une réussite mais une des forces indéniables du film. Di Leo savait choisir ses acteurs, les mettre en confiance sur le plateau de tournage et les mettre en valeur dans ses films. Dans Le Boss, tous les comédiens sont à la fois bons et parfaits dans leurs rôles respectifs.
A l’affiche de Le Boss, après son rôle de David, l’un des deux tueurs aux côtés de Woody Strode dans Passeport pour Deux tueurs, abonné, avec son incroyable physique taciturne très photogénique, aux personnages de « sales gueules » (hors la loi, gangsters, truands,…), on retrouve, parfait dans le rôle principal du tueur impassible Nick Lanzetta, le toujours impeccable et effrayant Henry Silva dont l’interprétation est ici une fois encore exceptionnelle. Solitaire, taiseux et implacable, son personnage de Lanzetta est probablement l’une des compositions les plus réussies de la carrière du comédien. Habitué aux rôles de « méchants », Henry Sylva est à l’affiche de nombreux westerns et polars américains, italiens et français. Henry Silva a été dirigé par les plus grands cinéastes. On a vu son terrifiant visage entre autres dans Viva Zapata ! (1952) d’Elia Kazan, Une poignée de neige (A Hatful of Rain, 1957) de Fred Zinnemann, Le Trésor du pendu (The Law and Jack Wade, 1959) et Les Trois Sergents (Sergeants 3, 1961) réalisés par John Sturges, Un Crime dans la Tête (The Manchurian Candidate, 1962) de John Frankenheimer, L’Invasion Secrète (The Secret Invasion, 1964) de Roger Corman, La Rançon de la peur (Milano odia : la polizia non può sparare, 1974), Un Flic hors-la-loi (L’Uomo della strada fa giustizia, 1975) et La Mort en sursis (Il trucido e lo sbirro, 1976) réalisés par Umberto Lenzi, Virus (Fukkatsu no hi, 1980) de Kinji Fukasaku, Meurtres en direct (Wrong is right, 1982) de Richard Brooks, Le Marginal (1983) de Jacques Deray, Sale temps pour un flic (Code of Silence, 1985) d’Andrew Davis, Dick Tracy (1990) de Warren Beatty, The End of Violence (1997) de Wim Wenders ou encore Ghost Dog : la voie du samouraï (Ghost Dog: The Way of the Samurai, 1999) de Jim Jarmusch.
Après Passeport pour Deux Tueurs et Le Boss, Di Leo dirigera à nouveau le comédien Henry Silva en réunissant le duo qu’il formait avec Woody Strode dans Passeport pour Deux tueurs pour le film La Race des violents (Razza Violenta, 1984), puis retrouvera une dernière fois le comédien en 1985 pour son dernier film, Killer vs Killers (Killer contro Killers).
Aux côtés de Henry Silva on retrouve l’acteur américain Richard Conte qui, célèbre pour ses rôles de mafieux et de gangsters, est tout simplement parfait dans le rôle de Don Corrasco, le parrain tout puissant, le parrain paternaliste « à l’ancienne » pour qui l’honneur et la famille avaient de l’importance. On a vu ce dernier à l’affiche de films comme Quelque part dans la nuit (Somewhere in the Night, 1946) et La Maison des étrangers (House of Strangers, 1949) de Joseph L. Mankiewicz, La Proie (Cry of the City, 1948) de Robert Siodmak, Le Mystérieux Docteur Korvo (Whirlpool, 1949) d’Otto Preminger, La Femme au gardénia (The Blue Gardenia, 1953) de Fritz Lang, Les Frères Rico (The Brothers Rico, 1957) de Phil Karlson, Barrage contre le Pacifique (This Angry Age, 1958) de René Clément, Ceux de Cordura (They Came to Cordura, 1959) de Robert Rossen, Le Plus Grand Cirque du monde (Circus World, 1964) de Henry Hathaway, La Plus Grande Histoire jamais contée (The Greatest Story Ever Told, 1965) de George Stevens, David Lean et Jean Negulesco, Tony Rome est dangereux (Tony Rome, 1967) et La Femme en ciment (Lady in Cement, 1968) de Gordon Douglas dans lesquels il interprètera par deux fois le personnage du lieutenant Dave Santini aux côtés de Frank Sinatra. En 1972, soit un an avant Le Boss, Richard Conte incarne également le personnage d’Emilio Barzini dans Le Parrain (The Godfather) de Francis Ford Coppola. En 1973, celui-ci tournera également sous la direction de Duccio Tessari dans Les Grands Fusils (Big Guns). Après Le Boss, Fernando Di Leo dirigera à nouveau Richard Conte l’année suivante dans Salut les pourris (Il Poliziotto è marcio, 1974).
Le personnage de Rina, la belle et indépendante fille sans scrupules de Don Guiseppe D’Aniello, est interprété par la magnifique comédienne Antonia Santilli qui a débuté sa carrière comme la doublure d’Ornella Muti dans les scènes de nu de Meurtre par intérim (Un posto ideale per uccidere, 1971), un giallo réalisé par Umberto Lenzi. Alors débutante, Antonia Santilli fait preuve d’une incroyable spontanéité dans ses scènes. Après avoir tourné quelques films au début des années 1970, Antonia Santilli mettra rapidement un terme à sa carrière de comédienne.
Avec la scène de punition expéditive au début du film dans le cinéma pornographique, présenté comme une droguée décadente qui n’a que ce qu’elle mérite, le personnage de Rina vient dénoncer et appuyer l’aspect moral et puritain d’une société conformiste dans le contexte de libération sexuelle de l’époque. Le cinéaste se défend en effet d’avoir écrit un rôle féminin négatif mais bien au contraire celui d’une femme libre et indépendante qui fait ce qu’elle veut quand elle le veut.
Pier Paolo Capponi incarne magistralement le personnage ultra-violent de Cocchi et lui donne une dimension de personnage révolutionnaire. On a également vu le comédien à l’affiche de films comme Le Roi de cœur (1966) de Philippe de Broca, Les Subversifs (I Sovversivi, 1967) et Fiorile (1992) de Paolo et Vittorio Taviani, Les Hommes contre (Uomini contro, 1970) de Francesco Rosi, Le Chat à neuf queues (Il gatto a nove code, 1971) de Dario Argento ou encore Le Tueur à l’orchidée (Sette orchidee macchiate di rosso, 1972) d’Umberto Lenzi. Après Le Boss, Fernando Di Leo a également dirigé Pier Paolo Capponi dans Diamants de sang (Diamanti sporchi di sangue, 1978), le « remake » de Milan Calibre 9.
Gianni Musy est parfait dans le personnage de Carlo Attardi, mafieux assez faible et fragile qui finira brûlé dans une chaudière. On a pu voir Gianni Musy à l’affiche de Meurtre à l’italienne (Un maledetto imbroglio, 1959) de Pietro Germi, Des pissenlits par la racine (1964) de Georges Lautner, L’homme qui rit (L’Uomo che ride, 1966) de Sergio Corbucci, Girolimoni, il mostro di Roma (1972) de Damiano Damiani ou encore Impiegati (1985) de Pupi Avati.
Le commissaire Torri est interprété par le comédien Gianni Garko, célèbre pour avoir tourné dans de nombreux péplums et westerns spaghetti, et notamment avoir interprété le rôle de Sartana dans le film Sartana de Gianfranco Parolini, sorti en 1968 et ses quatre suites. Gianni Garko est épatant dans son rôle de commissaire fourbe et corrompu. Ce dernier était notamment à l’affiche de Maciste, l’homme le plus fort du monde (Maciste, l’uomo più forte del mondo, 1961) d’Antonio Leonviola, Don Camillo en Russie (Il compagno Don Camillo, 1965) de Luigi Comencini, Les Colts de la violence (Mille dollari sul nero, 1966) d’Alberto Cardone, Cinq pour l’enfer (5 per l’inferno, 1969) de Gianfranco Parolini ou encore L’Emmurée vivante (Sette note in nero, 1977) de Lucio Fulci. Avant Le Boss, Fernando Di Leo a déjà dirigé Gianni Garko dans le film de guerre Roses rouges pour le Führer (Rose rosse per il fuehrer, 1968) qui traite des mouvements de résistance anti-nazis.
Le comédien Vittorio Caprioli est lui aussi également parfait dans le rôle du préfet excentrique qui cherche à coincer le commissaire Torri. Vittorio Caprioli a joué entre autres dans La Loi (La Legge, 1959) de Jules Dassin, Le Général de la Rovere (Il generale Della Rovere, 1959) de Roberto Rossellini, Zazie dans le métro (1960) de Louis Malle, Adieu Philippine (1963) de Jacques Rozier, Les Maniaques (I Maniaci, 1964) de Lucio Fulci, Tout va bien (1972) de Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin, Le Magnifique (1973) de Philippe de Broca, La Moutarde me monte au nez (1974) et L’Aile ou la Cuisse (1976) de Claude Zidi, Le Messie (Il Messia, 1976) de Roberto Rossellini, Le Coup du parapluie (1980) de Gérard Oury, La Tragédie d’un homme ridicule (La tragedia di un uomo ridicolo, 1981) de Bernardo Bertolucci, Vices et Caprices (Capriccio, 1987) de Tinto Brass, I Picari (1987) et Il Male Oscuro (1990) de Mario Monicelli,… Après Le Boss, Fernando Di Leo a également dirigé Vittorio Caprioli dans les films noirs Salut les pourris (Il poliziotto è marcio, 1974), Colère noire (La città sconvolta: caccia spietata ai rapitori, 1975) et Diamants de sang (Diamanti sporchi di sangue, 1978) mais aussi dans le controversé Avoir vingt ans (Avere vent’anni, 1978).
L’avocat Rizzo qui est non seulement l’intermédiaire entre les clans des familles mafieuses mais aussi entre de puissants personnages politiques, est probablement l’un des pires personnages du film. Celui-ci incarne et traduit le parti pris réaliste du cinéaste sur la mafia. Rizzo est formidablement interprété par le comédien Corrado Gaipa que l’on a pu voir entre autres dans Metello (1970) de Mauro Bolognini, Folie Meurtrière (Mio caro assassino, 1972) de Tonino Valerii, Société anonyme anti-crime (La Polizia Ringrazia, 1972) de Steno, Le Parrain (The Godfather, 1972) de Francis Ford Coppola, Les Grands Fusils (Big Guns, 1973) de Duccio Tessari, Chino (The Valdez Horses, 1973) de John Sturges, La Lame infernale (La polizia chiede aiuto, 1974) de Massimo Dallamano ou encore Cadavres exquis (Cadaveri eccellenti, 1976) de Francesco Rosi.
Pour composer la bande originale qui rythme superbement le film, Di Leo va à nouveau faire appel au compositeur argentin Luis Enriquez Bacalov dont il a beaucoup aimé le concerto grooso per i New Trolls et qui a déjà composé la magnifique bande originale de Milan Calibre 9. Luis Bacalov a également travaillé avec des cinéastes comme Pier Paolo Pasolini, Ettore Scola, Damiano Damiani, Sergio Corbucci, Elio Petri, Michael Radford, Robert Duval, Federico Fellini ou Quentin Tarantino.
Riche en thématiques, ressorts dramatiques, personnages, actions et rebondissements, le scénario de Le Boss, sa réflexion sur le désordre et l’effondrement d’une société, son traitement original, mais aussi l’audace formelle de la mise en scène singulière et efficace, l’esthétique visuelle, le montage serré, le rythme soutenu et l’interprétation inspirée des comédiens, participent pleinement à la forme radicale et au discours sans concession de ce polar implacable qui, de bout en bout, tient le spectateur en haleine.
Âpre et noir, violent et percutant, d’une modernité manifeste et dans le même temps peinture fidèle d’une époque, tout dans Le Boss vient témoigner de l’originalité et de l’inventivité de Fernando Di Leo. Tout dans Le Boss vient témoigner de la maitrise totale de son auteur. Le Boss vient brillamment clore la « trilogie du Milieu » de Fernando Di Leo. Grand film oublié, Le Boss est une pépite à (re)découvrir absolument ! Un classique du cinéma. Culte.
Steve Le Nedelec
La Trilogie du milieu – Milan Calibre 9, Passeport pour deux tueurs et Le Boss, « Les meilleurs thrillers italiens de tous les temps » Quentin Tarantino. Trilogie dans une magnifique édition Éléphant Classics Films, en coffret Blu-ray ou DVD, masters HD superbes avec une myriade de suppléments, pour Le Boss : Une présentation du film par René Marx, rédacteur en chef adjoint de l’Avant-Scène Cinéma, « … la question est de savoir qui sera le boss à la place du boss » (17 minutes). Histoires de mafia, documentaire « La force de Fernando Di Leo c’était le flingue » entretien avec plusieurs collaborateurs de Di Leo (23 minutes). Dans la même collection : Bande-annonce des films de La Trilogie du milieu (2 minutes). Et cadeau supplémentaire, un excellent livret : La Trilogie du milieu, une belle introduction au Poliziottesco, de son contexte historique, aux principaux comédiens du genre en passant, bien sûr par les films de Fernando Di Leo par Alain Petit (52 pages). Un must !
Le Boss (Il Boss) un film de Fernando Di Leo avec Henry Silva, Richard Conte, Gianni Garko, Antonia Santilli, Corrado Gaipa, Howard Ross, Vittorio Caprioli, Pier Paolo Capponi, Claudio Nicastro, Marino Masé… Scénario : Fernando Di Leo d’après le roman de Peter McCurtin. Directeur de la photographie : Franco Villa. Décors : Francesco Cuppini. Costumes : Elisabetta Lo Cascio. Effets spéciaux : Angelo Patrizi. Montage : Amedeo Giomini. Musique : Luis Bacalov. Producteur : Armando Novelli. Production : Cineproduzioni Daunia 70. Italie. 1973. Version intégrale : 110 mn. Version française : 90 mn. Telecolor. Eastmancolor. Format image : 1,85 :1. Son : DTS-HD Dual Mono 2.0. Version originale intégrale avec ou sans sous-titres français et Version française (courte). Tous Publics.