Entretien avec Nicolas Stanzick, spécialiste de la Hammer et auteur de Dans les griffes de la Hammer, sur les rapports entre Le Bal des vampires et les productions de la Hammer…
KinoScript : Le Bal des vampires est une sorte d’hommage aux productions de la Hammer, comment Polanski a-t-il découvert ces films ?
Nicolas Stanzick : Il a déclaré dans une interview que l’idée du Bal des vampires lui est venue lorsqu’il sortait avec ses amis voir les films d’épouvante de la Hammer (quand il était à Paris vers 1964) dans les salles spécialisées. Il allait très probablement aux séances du Midi-Minuit, voir au Colorado ou au Brady, pour voir Le Cauchemar de Dracula, Le Baiser du vampire, Les Maîtresses de Dracula et Dracula, prince des ténèbres.
KS : Il semble qu’il s’agissait de cinémas de seconde zone…
N. S. : C’était un vrai ghetto ! Si on prend le Midi Minuit, où est sortie la majeure partie des films de la Hammer, c’était une salle d’exclusivités. Les autres salles comme le Brady ou le Colorado étaient spécialisées dans l’épouvante, c’était des salles de quartier spécialisées dans l’épouvante. Le Midi Minuit sortait tout ce qui relevait du sexe, de la violence, de l’insolite, ou des trois à la fois. C’était donc un véritable ghetto spécialisé dans l’érotisme et le fantastique au sens large. On ne pouvait pas voir ces films ailleurs et aller voir un film au Midi Minuit dans les années 60 ce n’était pas aussi simple que ça. On y allait soit en rasant les murs, soit en assumant cette dimension populaire du cinéma et d’une manière extrêmement provocante. C’était pratiquement comme aller dans un sex-shop aujourd’hui.
KS : Quelles sont les connexions entre le Bal des vampires et la Hammer ?
N. S. : Je vois le film de Polanski comme un hommage irrévérencieux à la Hammer. Il reprend la figure du vampire du Cauchemar de Dracula tel que l’avait inventée Terence Fisher avec l’aristocrate libertaire assoiffé de sang et le signe de la pulsion sexuelle. D’ailleurs, le comédien Ferdy Mayne qui joue le comte von Krolock ressemble beaucoup à Christopher Lee tandis que pour le professeur Abronsius, Polanski reprend l’idée d’un chasseur de vampire professionnel. Sauf qu’avec son humour hérité du théâtre de l’absurde, il en fait une espèce de figure qui renvoie à Einstein et en même temps au professeur Tournesol (référence à Tintin et la bande dessinée); un professeur totalement lunaire toujours à la poursuite de chiroptères polycéphales.
Sharon Tate est le pendant de ce qu’on appelait à l’époque les « Hammer Girls », ces actrices étant une sorte d’idéale érotique pour les cinéphiles. Elles étaient non seulement des proies offertes aux vampires mais aussi de redoutables prédatrices, toujours dans cette espèce d’ambivalence. Sharon Tate incarne ce fantasme ultime de la « Hammer Girl » à la sensualité débordante, sa manie de prendre des bains à n’importe quelle heure du jour témoignant de ce jeu de codification érotique précis. Le fils du comte quant à lui, un vampire homosexuel autant hilarant qu’inquiétant, est un démarquage du baron Meinster des Maîtresses de Dracula. Du Baiser du vampire (réalisé par Don Sharp en 1963) Polanski reprend l’idée d’un bal des vampires, d’un bal costumé. Il prend de plus l’ambiance hivernale de Dracula, prince des ténèbres, faisant du Bal des vampires un melting-pot de tous ces éléments. Notons toutefois que son traitement est presque postmoderne. Il anticipe ainsi sur ce que feront beaucoup plus tard Tim Burton et George Lucas par rapport au cinéma dit classique en traduisant sur l’écran sa propre expérience de spectateur.
KS : Le terme de « parodie » bien souvent employé à l’égard du Bal des Vampires est-il justifié ?
N. S. : Le Bal des vampires n’est absolument pas une parodie, même pas une caricature. C’est un film d’horreur d’expression comique : plus c’est drôle, plus c’est horrible et plus c’est horrible, plus c’est drôle. Si on prend Abronsius, on ne peut que rire face à ses facéties mais il n’empêche que parce qu’il est complètement dans son monde et fasciné par l’objet de ses recherches (les vampires), il est une victime toute désignée. Il ne pourra jamais défendre qui que ce soit et très vite, tout vire au cauchemar le plus horrible.
De la même manière, on ne peut que s’amuser du numéro de folle décomplexée du fils du comte quand ce dernier s’en prend à Alfred. Néanmoins, lorsque l’on comprend que cela aboutit à une tentative glaciale de viol homosexuel, on cesse de rire. Pour ce qui est du final, il correspond à la fin typique d’une comédie romantique mais signe parallèlement la victoire absolu des vampires, donc du Mal, ce qui n’est pas rien dans le contexte des films de Polanski). Polanski fait preuve d’une redoutable intelligence dans ce film car quand on est face à un film d’horreur, notre réflexe de spectateur est d’essayer d’en rire parce que le rire est libérateur. Et c’est précisément ce sur quoi se base sa mise en scène ; bien qu’il nous prive de cette liberté à certains moments. En tous les cas, Le Bal des Vampires reste un film assez proche de Rosemary’s baby, du Locataire ou même de Ghost Writer.
KS : Qu’en est-il de l’encrage très « Europe de l’Est » de Polanski dans Le Bal des Vampires ?
N. S. : Il participe complètement à l’humour propre à Polanski qui joue de ce folklore connu de par son propre parcours. Je pense aussi que son film n’est pas sans lien avec les contes de fées qu’on lui a racontés dans son enfance. Il y a tout un folklore Polonais qui se traduit dans toutes sortes de détails : l’aubergiste Juif quelque peu radin, la perruque de sa femme, les traditions culinaires; tout cet aspect-là qui est drôle. Quand Polanski met en scène un vampire Juif qui n’a pas peur de la croix, c’est évidemment cette blague fait rire bien qu’elle devrait être terrifiante du fait que la victime reste sans moyen de défense. C’est un film extrêmement rigoureux.
KS : Jack Asher (chef opérateur des films de la Hammer) utilisait une lumière plutôt sensuelle, des couleurs chaudes, des brillances, alors chaudes et des brillances alors que Douglas Slocombe opta pour des tonalités plus froides pour Le Bal des Vampires avec la présence de la neige par exemple, ou dans le château des visages paraissent livides et poussiéreux…
N. S. : Il y a effectivement un usage différent mais c’est aussi une sorte d’héritage. Les films de la Hammer étant les premiers films fantastiques en couleurs, on se situe avec Le Bal des vampires dans l’après Jack Asher. Polanski va se distinguer par rapport à ce style. Son film étant plus proche de la peinture, ses références sont déjà dans les noms des personnages avec par exemple l’aubergiste Shagal. Il y a également des références à l’expressionnisme cinématographique telles les séquences de déambulations sur les créneaux du château, le jeu des silhouettes élancées où nous sommes un peu du côté de Caligari. Pour ce qui est de l’utilisation de la couleur, il y a effectivement quelque chose de monochromatique avec des dégradés d’un même ton tandis qu’à la Hammer, on est dans l’usage de position chromatique très violente sur des couleurs primaires. Il y a toujours une tache rouge sang qui se promène à l’écran, un rideau, un élément de décor au fond du cadre, un costume, le regard du comte Dracula, une bouteille de vin. On voit aussi dans Les films de la Hammer présentent également des couleurs très pastel qui font du rouge apparaissant à l’écran l’illusion d’une déflagration violente. Ceci permet de souligner l’idée suivante : la vie triomphe jusque dans la mort ; ce qui est par ailleurs une définition de l’érotisme surréaliste dont le contraste crée une véritable tension dramatique. Le Bal des Vampires nous amène toutefois dans quelque chose d’éminemment plus macabre.
KS : De quelle manière la critique a-t-elle accueilli Le Bal des Vampires ?
N. S. : À l’époque de sa sortie, il a été assez mal compris. Les amateurs de la Hammer n’ont pas su comment aborder le film, ce que je peux comprendre. La société était dans un tel ghetto critique qu’il était difficile de défendre ses films ; d’autant qu’il y avait une incompréhension totale des mythes fantastiques et de ce type de cinéma, une espèce d’ordre morale critique qu’il fallait faire exploser. A la sortie du Cauchemar de Dracula, Télérama écrivait que ce film allait créer des générations de détraqués et de pervers, qu’il était un attentat caractérisé à la dignité publique et que c’était quelque chose de scandaleux à prohiber. Défendre ce film-là était courageux et ce n’était pas rien.
Quand on a un cinéaste reconnu comme Polanski qui fait un film comme Le Bal de vampires, le grand public et la critique commencent alors à accepter ce genre de films, évidemment ceux qui étaient à l’avant-garde de cette bataille se disaient que les vrais films étaient ceux de la Hammer et pas celui de Polanski. Il y avait aussi ce traitement un peu étrange, ce balancement entre la comédie et le film d’horreur qui rendait la défense du film encore plus difficile. D’autant plus que dans ses interviews, Polanski n’hésitait pas à être provoquant, ouvertement irrévérencieux, il n’hésitait pas, tout en restant provoquant et ouvertement irrévérencieux, à dire que son film était beaucoup mieux que ceux de la Hammer. Parallèlement, Télérama, en désaccord avec la Hammer, était en contresens total sur le film : Gilbert Salachas a titré : « merci Monsieur Polanski d’avoir ridiculisé les vampires », alors que pas du tout, Polanski ne ridiculise pas les vampires » alors qu’au contraire, ses vampires sont très classieux. Sans oublier qu’ils font peur et l’emportent à la fin. Pour finir, d’autres ont titré qu’il serait « certainement le dernier film sur les vampires », « on ne pourra pas faire d’autres films après », etc… Et pourtant, l’Histoire a démontré que le mythe du vampire se régénère tout le temps, dans toutes les civilisations, de la Bible jusqu’à nos jours.
Propos recueillis par Rita Bukauskaite & Fernand Garcia
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