La Grande dépression. Un train de marchandises. Un homme, Chaney (Charles Bronson), saute d’un wagon à l’approche de la Nouvelle-Orléans. Au fond d’une ruelle, il tombe sur un combat de boxe clandestin à mains nues où tous les coups sont permis. Speed (James Coburn) est le manager d’un des cogneurs, mais son champion va prendre une rouste. Chaney propose ses services à Speed…
Le Bagarreur est la première réalisation de Walter Hill. Jusqu’ici, il a été assistant-réalisateur (L’Affaire Thomas Crown, 1968), mais surtout scénariste pour Sam Peckinpah, pour qui il signe l’adaptation du Lien conjugal / L’Echappée de Jim Thompson qui deviendra à l’écran Guet-apens (The Getaway, 1972) avec Steve McQueen et Ali MacGraw. Hill excelle dans le polar et poursuit dans cette voie en écrivant pour John Huston, Le piège (The MacKintosh Man, 1973) et La Toile d’araignée (The Drowning Pool, 1975) de Stuart Rosenberg, deux films avec Paul Newman.
Walter Hill est reconnu pour son travail de scénariste et caresse l’idée de passer à la réalisation. C’est le producteur Lawrence Gordon qui lui propose de faire le grand saut avec un manuscrit qu’il vient d’acquérir : Hard Times. Le sujet est fort et Walter Hill accepte de retravailler le script et d’en assurer la réalisation. Gordon sort d’un autre premier, réalisé par un autre scénariste, John Milius, Dillinger. Un succès dans le cinéma indépendant qui lui permet de signer un contrat de trois films avec la Columbia. Le Bagarreur est, comme Dillinger, une petite production avec un réalisateur au tarif syndical mais investi dans son film. Walter Hill engage un autre membre de l’« écurie » Peckinpah, le monteur Roger Spottiswoode (Les Chiens de paille, Pat Garrett et Billy le Kid). Pour la photographie, il s’adjoint les services d’un grand : Philip Lathrop, fidèle de Blake Edwards (Peter Gunn, Allô… Brigade spéciale, La Panthère Rose…) et à l’aise dans tous les genres (Le Kid de Cincinnati, Le point de non-retour, On achève bien les chevaux, 747 en péril…).
Dans un premier temps, Lawrence Gordon et Walter Hill envisagent Joe Don Baker dans le rôle de Chaney, avant de penser à Charles Bronson. L’acteur est une énorme star, leur production est plutôt modeste et de surcroît un premier film. Le scénario est transmis à son agent, qui l’aime et le fait suivre à l’acteur. Contre toute attente, Bronson aime le scénario et accepte la proposition. Selon les dires de Lawrence Gordon, le cachet de Bronson est de 3 millions de dollars et le budget total du film (son salaire inclus) de 4 millions. Ce qui met le reste de la production, casting, technicien, décors, à un million de dollars ! James Coburn hésite un temps, mais finit par accepter un « second rôle » et un cachet bien moins important que Bronson. En ce milieu des années 70, James Coburn n’est plus la grande star de la décennie précédente, pourtant, il reste populaire et peut s’enorgueillir de quelques titres magnifiques : Il était une fois la révolution (1971) de Sergio Leone, Opération clandestine (The Carey Treatment, 1972) de Blake Edwards, Pat Garrett et Billy le Kid (Pat Garrett & Billy the Kid, 1973) de Sam Peckinpah, La Chevauchée sauvage (Bite the Bullet, 1975) de Richard Brooks. Coburn et Bronson se sont croisé sur Les 7 mercenaires (The Magnificent Seven, 1960) et La Grande évasion (The Great Escape, 1963), deux énormes succès de John Sturges. Charles Bronson obtient que le rôle de Lucy Simpson soit attribué à sa femme, Jill Ireland. Elle est juste, mais il lui manque toutefois un peu d’épaisseur afin de susciter un brin d’émotion supplémentaire.
Toujours est-il que Le Bagarreur est très bien produit. La variété des lieux et l’aspect minimaliste des intérieurs correspondent parfaitement à l’ambiance d’une période de crise économique. Hill prépare minutieusement son film en imaginant comment Raoul Walsh (un de ses maîtres) aurait mis en scène le film où « Chaque plan devait faire avancer l’histoire. Il n’y a rien d’inutile chez Walsh. Tout à un sens, une raison. Et je pense que c’est fondamental dans le cinéma américain. (.) je suis probablement arrivé au plus près de ce concept, (.) dans Le Bagarreur. Bien mieux que par la suite ». Le pari est réussi, pas une once de gras dans Le Bagarreur.
La description de l’époque sonne juste, sans excès, à hauteur d’homme. Walter Hill s’est remémoré une histoire de son grand-père : un homme surgi de nulle part qui s’est proposé de combattre pour les ouvriers d’une aciérie contre de la nourriture. Au bout de quelques temps, il s’en est allé comme il est venu, laissant aux ouvriers les gains de ses combats. Chaney est, par la magie du cinéma, l’homme de cette histoire. De son passé, nous ne saurons rien, mais quelle importance ? Nous l’imaginons sans peine, tant il est inscrit sur son visage. Ouvrier en errance, il est dans « une période creuse », parenthèse pendant laquelle il ne cherche qu’une chose « ramasser le magot et se tailler ». Nous n’en saurons pas plus.
Hill ne pouvait trouver meilleur interprète que Charles Bronson. Son corps est forgé par la misère et la violence sociale de son enfance. Fils d’un pauvre ouvrier d’origine lituanienne de la petite ville minière d’Ehrenfeld en Pennsylvanie, la lutte pour la survie, il connaît. Les séquences de boxe à mains nues sont impressionnantes, admirablement chorégraphiées, chaque coup fait mal. Cette brutalité des arènes clandestines n’est rien en comparaison des temps difficiles que vivent les protagonistes au quotidien, asservis à ceux qui possèdent les moyens d’exploitation. Les riches exploitent et gagnent de l’argent dans l’unique but de multiplier la mise. De l’autre côté, les pauvres tentent de grappiller quelques dollars. Entre les deux, Speed, aristocrate dévoyé, jouant sur tous les tableaux.
Speed est l’opposé de Chaney, un joueur invétéré, criblé de dettes. Pourtant, entre les deux hommes se tissent des liens invisibles d’amitié. Chaney traîne dans des chambres tristes à mourir, aux murs verdâtres et lézardés, où l’on paie d’avance. Speed habite une chambre de meilleure qualité, délabrée certes, mais avec du papier peint et un balcon. Speed est né pour vivre le grand frisson, jouer sa vie à chaque pari, égoïstement. Quant à Chaney, il tente de faire vivre les gens autour de lui. D’où son attachement à Lucy, épouse (le mari est en prison) qui s’abandonne dans les cafés, et accepte de finir la nuit avec des rencontres d’un instant. Tous ces personnages de la misère sont attachants et on ressent une profonde empathie pour eux. Walter Hill réussit à mettre en place une tension sourde, propre au film noir. Une étrange inquiétude monte de chaque plan et on redoute à chaque instant que tout bascule. Dans ce cloaque, Chaney confronté à un dilemme : partir ou payer une dette (qu’il n’a pas contracté), au risque de tout perdre, choisit l’humain, la fidélité, à l’éphémère d’une liasse de billets. C’est simple et beau.
Fernand Garcia
Le Bagarreur, une édition Sidonis Calysta, disponible en Blu-ray et DVD, dans sa collection Charles Bronson en complément : une double interview de Walter Hill, la première porte principalement sur Le Bagarreur, de l’écriture à ses rapports avec les acteurs et techniciens (20 minutes), la deuxième (audio) est sur sa carrière de manière générale (31 minutes). Une interview du producteur Lawrence Gordon : « J’avais acheté un script à deux jeunes auteurs. Le script n’était pas très bon, mais l’idée était forte. C’est devenu la base du Bagarreur » (14 minutes) et une dernière avec le compositeur, Barry DeVorzon (8 minutes). Et pour clore cette section une bande-annonce récente du film (1,14 minutes)
Le Bagarreur (Hard Times) un film de Walter Hill avec Charles Bronson, James Coburn, Jill Ireland, Strother Martin, Michael McGuire, Edward Walsh, Felice Orlandi… Scénario : Walter Hill, Bryan Gindogg & Bruce Henstell d’après une histoire de Bryan Gindogg & Bruce Henstell. Directeur de la photographie : Philip Lathrop. Décors : Trevor Williams. Costumes : Jack Bear. Montage : Roger Spottiswoode. Musique : Barry DeVorzon. Producteur : Lawrence Gordon Production : Columbia Pictures. Etats-Unis. 1975. 93 minutes. Couleur. Panavision Anamorphique. Format image : 2,35 :1. 16/9e. Son : Version originale 2.0 ou 5.1 avec ou sans sous-titres français et Version française. Tous Publics.