Laurence Briaud

Trois souvenirs de ma jeunesse c’est la 7ème collaboration d’Arnaud Desplechin avec sa monteuse Laurence Briaud. Elle a travaillé sur tous les films de Desplechin, d’abord comme assistante puis comme chef monteuse (Trois souvenirs de ma jeunesse, La Forêt, Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines), Un Conte de Noël, L’Aimée, Rois et reine, Léo, en jouant Dans la compagnie des hommes).  Retour sur cette collaboration trois ans après notre premier entretien sur Jimmy P.

Trois Souvenirs de ma jeunesse César 2016

Trois souvenirs de ma jeunesse est sa troisième nomination aux César (après un Conte de Noël et L’Exercice de l’état de Pierre Schoeller).

KinoScript : Avant chaque début de tournage, Arnaud Desplechin montre à son équipe un film afin de lui faire savoir dans quelle direction il souhaiterait aller. Lequel a été pour Trois souvenirs ?

Laurence Briaud : Les Amours d’une blonde de Milos Forman qui combine des acteurs professionnels avec des amateurs.

Les amours d'une blonde

KS : Envisagez-vous avec Arnaud Desplechin le montage de certaines scènes dès le scénario?

L.B : Avec moi non, mais je pense que tout seul il y pense déjà. Arnaud a un sens inné du montage.

KS : Le film se déroule naturellement pourtant il s’agit de l’un de vos montages les plus complexes, divisé en trois parties de durée inégales, comment avez-vous procédé ?

L.B : La méthode est toujours la même pour chaque séquence. On extrait des rushes tous les passages ce qu’on aime bien, dans l’ordre de la séquence, c’est ce qu’on appelle le best of. On se retrouve avec plusieurs fois la même phrase dans des axes ou des prises différentes. Cette juxtaposition de plans créée quelque chose.

KS : L’autre difficulté majeure, à notre avis, était le passage de « relais » de Mathieu Amalric à Quentin Dolmaire, comment l’avez-vous fait fonctionner ?

L.B : C’est Mathieu Amalric lors de son interrogatoire à la DGSE qui introduit Paul jeune (Quentin Dolmaire). L’évocation de son copain Zyl (Marc Zylberberg) nous amène directement à la synagogue.

Mathieu Amalric

KS : Trois souvenirs de ma jeunesse est un mixte d’acteurs débutants et d’autres confirmés, cela a-t-il représenté une difficulté pour vous ?

L.B : Non, aucune. On ne voit pas la différence sur les rushes.

KS : Chaque partie du film correspond à un genre, la relation avec la mère on pense aussitôt au film d’horreur, l’interrogatoire à l’espionnage, et la dernière partie au film romanesque d’apprentissage. Votre montage a-t-il pris comme référence le découpage propre à ces cinémas de genre ?

L.B : Non pas du tout ou alors inconsciemment. Pour la séquence avec la mère dans l’escalier, les jeux d’ombre créés par Irina Lubtchansky apportent beaucoup. Pour toute la partie enfance, Arnaud voulait que cela aille vite, comme des flashs, des souvenirs brefs et violents. Pour la partie espionnage, le montage parallèle entre le sous-sol de la DGSE et le décor de la Russie donne un rythme plus enlevé (aussi soutenu par la musique). La partie Esther est plus chaude en lumière, elle s’intercale avec les parties plus froides où Paul est à Paris. L’utilisation des fondus enchainés et des iris rajoutent au côté romanesque.

Trois souvenirs de ma jeunesse

KS : Le film a été tourné en vrai Scope. Est-ce plus compliqué à monter ?

L.B : Non.

KS : L’utilisation du split-screen est surprenante dans un film français, à quel moment s’est effectué ce choix ?

L.B : La séquence de la sortie du lycée était compliquée à monter pour plusieurs raisons, la temporalité, le nombre de personnages à présenter puis la multitude d’axe y compris pour la séquence où Paul et Esther se retrouvent seuls. L’idée des split-screens m’est venue tout d’abord pour le départ du groupe, je voulais tout montrer, le départ de la voiture, le départ de Bob sur sa mobylette, Paul qui se rassoit sur son banc et Esther qui l’observe. Arnaud était d’accord et ensemble nous en avons rajouté un, quand Paul arrive chez lui pour poser ses affaires puis un autre lorsque Kovalki épate les deux filles en énumérant les os de la main. Et puis en y réfléchissant il y avait déjà un split-screen dans Rois et Reine et un autre dans Un conte de Noël. Ce n’était pas une si grande révolution que ça !

KS : Ces effets, l’iris entre autres, sont-ils faits au tournage ou en post-production ?

L.B : Les iris sont faits à la prise de vue, c’est toujours plus beau qu’en post-production.

KS : Arnaud Desplechin fait-il beaucoup de prises ?

L.B : Moins qu’avant, cela dépend des séquences, il peut aller jusqu’à 20 prises pour un plan-séquence, sinon autour de 8-10 prises.

KS : Pour Trois souvenirs a tourne-t-il à deux caméras ?

L.B : Non, une seule caméra.

KS : Aviez-vous un grand choix d’axes de prise de vues différents ?

L.B : Pour certaines scènes oui, je pense notamment à la séquence où Paul et Esther se retrouvent seuls à la sortie du lycée. La scène fait environ 4 minutes et il doit y avoir une soixantaine de plans.

KS : Que privilégiez-vous en premier dans le choix des plans, le jeu de l’acteur, le cadre ?

L.B : Le jeu de l’acteur, mais ce peut être également un regard ou bien un geste.

KS : Combien de temps a duré le montage de Trois Souvenirs de ma jeunesse ?

L.B : 20 semaines.

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KS : La musique de Grégoire Hetzel évoque Georges Delerue mais son utilisation diffère de celle de François Truffaut, comment avez-vous décidé des plages musicales ?

L.B : Arnaud utilise la musique très tôt pendant le montage. On utilise des musiques déjà existantes pour donner une intention puis le musicien s’en inspire pour composer la musique du film.

KS : La voix off du narrateur, celle d’Arnaud Desplechin, est un personnage à part entière, ses « interventions »  était-elle prévue dès le scénario ?

LB : Oui.

KS : A quel moment vous vous dites que le film est là et qu’on ne touche plus au montage ?

L.B : On se pose des questions jusqu’à la fin. On peut encore rectifier après le mixage. Un film n’est vraiment fini qu’après l’étalonnage.

Propos recueillis par Fernand Garcia.

Trois souvenirs de ma jeunesse est disponible en DVD-Blu-ray dans une très belle édition de Blaq Out.

3 SOUVENIRS DE MA JEUNESSE DVD-Blu-ray

Trois souvenirs de ma jeunesse, un film d’Arnaud Desplechin. Directeur de la photographie : Irina Lubtchansky. Montage : Laurence Briaud. Assistant monteur : Théo Zurcher. Son tournage et monteur paroles : Nicolas Cantin. Monteur son : Sylvain Malbrant. Mixeur : Stéphane Thiébaut. Bruitage : Nicolas Fioraso. Post-Production : Béatrice Mauduit. Etalonneur : Fabrice Blin. Postproduction : Technicolor. Durée : 120 mn. Format : Scope. Son 5.1. Distribution (salles) : Le Pacte. Sortie France : le 20 mai 2015. Sortie américaine : le 18 mars 2016. Quinzaine des Réalisateurs 2015.