L’Appel de la forêt – Ken Annakin

Buck est à la tête d’une meute de loups dans les montagnes de l’Alaska. Il tombe sur des chiens de traîneau morts criblés de flèches. Une attaque d’Indiens. Sur la rivière gelée, il découvre sous la glace le visage de son ancien maître, John Thornton (Charlton Heston)… Quelques années auparavant, Buck était un chien de maison…

Comment Harry Alan Towers a-t-il réussit à convaincre Charlton Heston d’être la Star de L’Appel de la forêt ? Mystère. Flibustier de la production. Towers l’a-t-il convaincu pendant que Heston dirigeait en Espagne son Antoine et Cléopâtre (1972) ? Toujours est-il que « l’expérience » de l’Appel de la forêt ne fut guère appréciée par l’acteur. Il aura quelques phrases définitives sur la production : « Un film d’amateur fait par des escrocs ». Le montage financier est spectaculaire, coproduction aspirant de l’argent en provenance de France (de l’argent du distributeur Universal), d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne, de Norvège. La distribution est tout aussi cosmopolite, des acteurs français, allemand, espagnol, italien, etc. L’appel de la forêt est un film à la nationalité fluctuante au gré des subventions et des financements. La somme réunie par Harry Alan Towers est à peine suffisante pour mener à bien le film, surtout qu’une grosse part est destinée au cachet de Charlton Heston.

Harry Alan Towers débute à la radio au service de la Royal Air Force, puis de la BBC. Il devient producteur pour la télévision en 1955. Il ne chôme pas, puisqu’en 9 ans, il produit 100 épisodes de diverses séries TV. Mais sa passion, c’est le cinéma. Il se lance en 1962, dans la production et comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, adapte sous le pseudonyme de Peter Welbeck, Bram Stoker, Sade, Robert Louis Stevenson, Agatha Christie, Jules Verne, etc. de la littérature avec un grand L et populaire. Il restera toujours fidèle à ses auteurs et adaptera plusieurs fois certains romans pour le grand écran. Il comprend vite que l’Angleterre ne lui permettra pas de mener à bien ses projets et c’est vers l’international qu’il va rechercher des financements. Il trouve des coproducteurs un peu partout et ouvre des bureaux à Los Angeles et Toronto. Ses films à bas coûts se vendent bien. Au point que l’AIP (American International Pictures), une mini major américaine dédiée à la série B, lui passe une commande de films à la fin des années 60. Il produit neuf Fu Manchu, adaptation des romans de Sax Rohmer, dans un mélange d’exotisme et d’érotisme. Jess Franco devient son réalisateur maison avec une série de films pop et sexy, à qui il alloue des budgets très honnêtes, lui permettant d’avoir des castings plutôt classe : Christopher Lee, Mercedes McCambridges, Herbert Lom, Klaus Kinski, Jack Palance, Maria Schell, etc. Sa femme, la très belle actrice autrichienne, Maria Rohm, est souvent de l’aventure.

Harry Alan Towers a été mêlé à une étrange affaire d’espionnage, de sexe et de politique. En décembre 1960, Il invite l’Anglaise Mariella Novotny à le rejoindre à New York. Elle est une « icône de la dépravation » organisatrice d’orgie pour l’establishment londonien. Towers déclara plus tard qu’il « voulait être célèbre et montrer à ma mère que je pouvais réussir ma vie moi-même« . Mauvaise pioche. Le FBI est sur son dos. Novotny est arrêtée et accuser de racolage par le FBI. Towers est de son côté accusé d’avoir enfreint le White Slave Traffic Act, faisant venir Novotny pour la prostituée. Il sera même soupçonné d’être un agent soviétique. Mariella Novotny réussit à quitter les Etats-Unis sous une fausse identité à bord du Queen Mary. De retour en Angleterre, elle va se retrouver quelques années plus tard au centre de l’énorme scandale de l’affaire Profumo avec son amie de débauche Christine Keeler. Mariella Novotny déclara dans les années 80 avoir eu une liaison avec le président John F. Kennedy et Robert Kennedy, pour le compte du MI5. Cette information n’a jamais été confirmée. Mariella est décédée en 1983, d’une overdose, à 41 ans. Elle préparait un livre « explosif » sur ces années de « folie ». Toute sa documentation et son « livre » ont disparu, après un curieux cambriolage dans sa maison intervenu après sa mort. Christine Keeler accusa la CIA et le MI5 d’avoir éliminé Mariella. Quant aux accusations contre Towers, elles ont été abandonnées par les Américains, contre une grosse caution, en 1980 !

Le succès de l’Appel de la forêt, encourage Towers à piocher dans l’œuvre de Jack London avec coup sur coup Croc Blanc (Zanna Bianca, 1973) et Le retour de Croc Blanc (Il ritorno di Zanna Bianca, 1974) réalisé par Lucio Fulci avec Franco Nero, des succès. Harry Alan Towers est décédé en 2009 après avoir produit plus d’une centaine de films en 41 ans.

Comment Ken Annakin s’est-il retrouvé embringué dans L’appel de la forêt ? L’envie de porter à l’écran le roman de Jack London, de réaliser un grand film d’aventures et certainement poussé par son goût du voyage. Réalisateur anglais, il signe son premier long-métrage en 1947, Holiday Camp, une comédie d’aventure sous le soleil. Annakin adore les voyages, découvrir de nouvelles terres, il n’est donc pas étonnant de voir fleurir dans sa filmographie des titres comme Hôtel Sahara (1951), Moana, fille des tropiques (The Seekers, 1954), Rencontre au Kenya (Nor the Moon by Night, 1958). La période la plus connue de Ken Annakin se situe dans les années 60. Le grand producteur américain Daryl F. Zanuck, en disgrâce aux Etats-Unis, a la charge de la production de la 20th Century Fox en Europe. Zanuck lui confie la réalisation de la partie britannique du Jour le plus long (The Longest Day, 1962). Le film est un triomphe planétaire.

Zanuck apprécie le travail d’Annakin est lui confie la réalisation de Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines (Those Magnificent Men in Their Flying Machines or How I Flew from London to Paris in 25 Hours, 1965) superproduction d’aventures burlesques en 70 mm. Annakin dirige parfaitement des équipes importantes et s’entend bien avec les stars. Il poursuit dans le film de guerre avec une autre reconstitution de la Seconde Guerre mondiale : La Bataille des Ardennes (Battle of the Bulge, 1965) avec Henry Fonda, Robert Shaw, Robert Ryan, Charles Bronson et Telly Savalas. Il termine la décennie avec Gonflés à bloc (Monte Carlo or Bust !, 1969), suite des Merveilleux fous

Ken Annakin revient dans les années 70 avec L’Appel de la Forêt. Face à son budget « fluctuant », il est contraint de tourner en Espagne, en Finlande et en Norvège. Grand écart, il qui le contraint à un découpage précis. Annakin a du métier, il opte pour une image au réalisme brut, proche du documentaire. Choix judicieux, qui décolle l’Appel de la forêt, du film pour enfants. Pendant des années, le roman a été catalogué « jeunesse » dans une traduction édulcoré et approximative. Cette approche de Ken Annakin, donne au film un ton puissant et surprenant dans l’esprit de Jack London. Encore une fois malgré les problèmes de production, la version de Ken Annakin, ce n’est pas la première, il y en a déjà eu trois, mais surclasse la dernière, produite par Disney avec Harrison Ford en 2020 et ses 100 millions de dollars de budget !

Ken Annakin réussit d’excellentes scènes en extérieur, formidablement bien filmé dans la neige. Les combats entrent les chiens de traîneau sont parfaitement rendus à l’écran par un montage très efficace. Le film a un rythme soutenu sans temps mort. Ken Annakin tire même avantage de sa distribution cosmopolite. Michèle Mercier apporte un charme indéniable à ses scènes avec Charlton Heston. La partie animale est parfaitement mise en scène, les enjeux de pouvoir au sein des chiens de traîneau très efficacement portés à l’écran. Annakin tisse un portrait en miroir du destin de Buck et de celui de Thornton (Charlton Heston).  Il ne masque pas la violence des hommes envers les animaux, c’est un point positif du film. Il évite toute la niaiserie des films animaliers.

Fernand Garcia

L’appel de la forêt chez Rimini Editions (pour la première fois en Blu-ray), en complément : Le héros tragique américain par Jacques Demange, critique à la revue Positif. Très belle présentation du film et intéressante réflexion sur Charlton Heston « acteur de la survivance » (15 minutes).

L’appel de la forêt (The Call of the Wild) un film de Ken Annakin avec Charlton Heston, Michèle Mercier, George Eastman, Raimund Harmstorf, Maria Rohm, Juan Luis Galiardo, Sancho Gracia, Rik Battaglia… Scénario : Peter Welbeck (Harry Alan Towers, Win Wells, Peter Yeldham et Tibor Reves (non-crédité) d’apès le roman de Jack London. Directeur de la photographie : John Cabrera. Décors : Knut Solberg. Costumes : Brit Hartmann et Grethe Wang. Montage : Thelma Connell. Musique : Carlo Rustichelli. Producteurs : Harry Alan Towers et Artur Brauner. Productions : Towers of London – CCC (Central Cinema Company Film) – Norsk Film – Oceania Produzioni Internazionali Cinematografiche – Universal Pictures – Massfilms – Izaro Films. Grande-Bretagne – Allemagne – Italie – France – Espagne – Norvège. 1972. Eastmancolor. Format image : 1,37 :1. Tous Publics.