María et Ingvar vivent reclus avec leur troupeau de moutons dans une ferme en Islande. Lorsqu’ils découvrent un mystérieux nouveau-né, ils décident de le garder et de l’élever comme leur enfant. Cette nouvelle perspective apporte beaucoup de bonheur au couple, mais la nature leur réserve une dernière surprise…
Après avoir réalisé plusieurs courts-métrages et effectué sa thèse à la Filmfactory de Béla Tarr à Sarajevo entre 2013 et 2015 où il avait pour mentors, entre autres, Gus Van Sant, Carlos Reygadas et Apichatpong Weerasethakul, Lamb est le premier long métrage du réalisateur islandais Valdimar Johannsson. Co-écrit avec l’artiste écrivain, poète, scénariste et réalisateur islandais Sjón (Sigurjón B. Sigurðsson), le scénario de Lamb est inspiré de différentes légendes et différents contes folkloriques populaires islandais. L’histoire de Lamb parle de la place de l’homme dans l’immensité de la nature et de la place de la nature en chacun de nous.
Calqué sur le rythme de vie des animaux qu’ils élèvent, le quotidien du couple que forment María et Ingvar ne laisse pas de place aux moments de joie et de partage que connaissent les familles. Ne parvenant pas à surmonter leur tristesse, la vie du couple est teintée de culpabilité et de remords jusqu’au jour où un évènement aussi inattendu qu’inexplicable va leur offrir la possibilité de ramener de l’équilibre, du sens et de la joie dans leur vie. Sans penser au passé ni à l’avenir, dotée d’une stupéfiante résilience et d’une foi inébranlable en la vie, Maria va accepter cet évènement comme un cadeau divin et faire de son mieux pour profiter du moment présent et protéger avec force et détermination son irréelle et fragile famille. Magnifique conte à l’esthétique réaliste très travaillée, le sujet de Lamb parle du deuil, de la douleur d’une perte et de ce dont l’homme est capable de faire et d’accepter pour retrouver le bonheur et la joie de vivre disparus… ou son illusion.
Passionnés par la puissance évocatrice et la vocation première du cinéma qui consiste à provoquer des émotions et la réflexion par l’image et le son, pour raconter leur histoire réaliste dans laquelle l’élément, l’évènement, irréel va devenir réel et sera accepté par le spectateur, le réalisateur et son co-scénariste ont fait le choix ici de réduire les dialogues du film au minimum nécessaire en faisant des personnages des « taiseux ». Choix qui, avec ces silences qui en disent long, nécessite et témoigne d’un excellent travail d’écriture scénaristique et de mise en scène.
Dès l’efficace scène d’ouverture du film, « simple », concise et épurée, qui dans sa maitrise formelle rappelle le cinéma de John Carpenter, lors de laquelle, une nuit, les moutons de l’étable bêlent de manière anormale, le spectateur ressent de manière incroyable l’inquiétude des bêtes et la menace qui plane. Dès le prologue, Valdimar Johannsson crée une atmosphère et donne le ton du film. Son ambition n’est pas d’horrifier le spectateur mais bien de le captiver en créant un suspense qui va cultiver le mystère et susciter son angoisse.
Connu pour ses compositions fortes et son esthétique crue, le travail du directeur de la photographie Eli Arenson sur Lamb exploite au maximum les possibilités offertes par la beauté sauvage du paysage et l’extraordinaire lumière naturelle dont dispose la région pour créer une image simple et harmonieuse. Comme si nous voyions à travers leurs yeux, l’approche visuelle naturaliste de la photographie d’Eli Arenson et le choix de mise en scène de Valdimar Johannsson viennent traduire l’esprit et la vision des personnages eux-mêmes. Singulière, l’esthétique du film pause également l’animal comme étant l’égal de l’homme et, suscitant ainsi l’empathie du spectateur pour les moutons, convoque le fantastique de manière aussi naturelle qu’efficace.
Si Lamb est assurément marqué, aussi bien par l’image que son rythme, par un aspect contemplatif, il ne l’est pas gratuitement. En effet, tourné dans une ferme isolée et abandonnée depuis plus de vingt ans dans le nord de l’Islande, les impressionnants paysages naturels, le climat et les animaux du film sont des personnages à part entière de l’histoire qui nous font évoluer et prendre conscience aussi bien du monde fragile des hommes que du monde inconnu et puissant de la nature. Une nature imprévisible et incontrôlable où les majestueuses et imposantes montagnes hostiles écrasent l’homme. Le monde inconnu où le réel et le naturel côtoient le surnaturel. S’il pense pouvoir tout accomplir dans le monde, l’homme ne doit pas oublier qu’il fait partie intégrante de la nature et qu’il ne peut pas la combattre sans que cette dernière ne se défende. Dans la nature, l’espèce humaine n’est en rien supérieure aux autres espèces. Alors lorsqu’elle est perturbée ou « attaquée », la nature reprend toujours ses droits. L’homme ne peut donc pas impunément bouleverser l’équilibre naturel. L’homme ne peut ni contrôler, ni dominer, ni même contrecarrer les plans insondables de la nature par simple égoïsme. L’homme ne peut pas échapper à son destin.
Révélée au grand public suite à son impressionnante interprétation du personnage de Lisbeth Salander dans la trilogie Millénium en 2009 (Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes de Niels Arden Oplev, La Fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette et La Reine dans le palais des courants d’airs de Daniel Alfredson) puis ensuite vue à l’affiche de films comme Prometheus (2012) de Ridley Scott, Passion (2012) de Brian De Palma ou encore Quand vient la nuit (2014) de Michaël R. Roskam, avec son impressionnante interprétation au service du personnage de Maria qui est le moteur du film, froide et dans le même temps attentionnée, la forte présence à l’écran et la performance de la comédienne islandaise Noomi Rapace apporte une prodigieuse dimension à Lamb.
A ses côtés, on retrouve dans le rôle d’Ingvar, l’époux de Maria, le comédien islandais Hilmir Snær Gudnason qui, par la justesse de son jeu, apporte à la fois force et vulnérabilité à son personnage. On a pu voir Hilmir Snær Gudnason dans 101 Reykjavik (2000), The Sea (2002) et White Night Wedding (2008) réalisés par Baltasar Kormákur, ou encore dans le drame Un Jour si blanc (2019) de Hlynur Palmason.
En contrepoint du déni du couple, le personnage de Pétur, le frère d’Ingvar, qui fait irruption dans la vie quotidienne et le monde irréel de ce dernier et apporte avec lui le conflit qui va naitre de la confrontation des illusions du couple face à la réalité, face au jugement du regard extérieur, est quant à lui interprété par le comédien, scénariste et réalisateur islandais Björn Hlynur Haraldsson déjà à l’affiche du thriller Jar City (2006) de Baltasar Kormákur ou encore de la comédie Mariage à l’islandaise (2008) de Valdis Oskarsdottir.
Présenté dans la sélection Un Certain regard au dernier Festival de Cannes, Lamb a reçu le Prix de l’Originalité. Lamb a également décroché les Prix du Meilleur film, Prix de la révélation et Prix de la Meilleure actrice pour Noomi Rapace au festival de Sitges, le festival international de cinéma fantastique de Catalogne. Présenté à L’Etrange Festival en septembre dernier, notons également que Lamb représentera l’Islande aux Oscars pour la course au meilleur film étranger en 2022.
D’une beauté visuelle à couper le souffle, Lamb est un drame familial intimiste fantastique qui possède la tension d’un véritable thriller et l’incroyable force évocatrice du conte. Poétique, original et singulier, Lamb est incontestablement et immanquablement à découvrir sur grand écran.
Steve Le Nedelec
Lamb un film de Valdimar Johannsson avec Noomi Rapace, Hilmir Snær Gudnason, Björn Hlynur Haraldsson, Ingvar Sigurdsson… Directeur de la photographie : Eli Arenson. Montage : Agnieszka Glinska. Musique : Thorarinn Gudnason. Producteurs délégués : Noomi Rapace, Béla Tarr, Hakan Petterson, Jon Mankell, Marcin Drabinski, Peter Possne et Zuzanna Hencz. Producteurs : Hrönn Kristinsdottir, Sara Nassim, Piodor Gustafsson, Erik Rydell, Klaudia Smieja-Rostworowska et Jan Naszewski. Production : Go To Sheep – Maadants – Spark Film & TV. Distribution (France) : The Jokers Films – Les Bookmakers (Sortie le 29 décembre 2021). Islande – Suède – Pologne. 2021. 106 minutes. Couleur. Format image : 2,39 :1. Son : 5.1. DCP. Un Certain Regard – Festival de Cannes 2021 – Prix de l’originalité. SITGES 2021 Prix du Meilleur Film, de la révélation et de la meilleure actrice. Tous Publics avec avertissement.