« La tragédie est qu’il n’y a plus d’êtres humains, mais d’étranges machines qui se cognent les unes contre les autres » déclarait Pier Paolo Pasolini à Furio Colombo et Gian Carlo Ferrettion, (L’Ultima intervista di Pasolini, Editions Allia), le samedi 1er novembre 1975, quelques heures avant son épouvantable assassinat. Pasolini ajoutait, « C’est surtout le complot qui nous fait délirer. Il nous libère de la lourde tâche consistant à nous confronter en solitaire avec la vérité. Quelle merveille si, pendant que nous sommes ici à discuter, quelqu’un, dans la cave, est en train d’échafauder un plan pour se débarrasser de nous ».
Pasolini était conscient du danger qu’il prenait en tant qu’intellectuel du côté « des nains », des sans-grades, des pauvres, par ses prises de positions contre un système consumériste bien plus pernicieux et destructeur que le fascisme. Ses articles dans la presse faisaient scandale par leur acuité, il devenait gênant pour le pouvoir.
Eté 1975, Pier Paolo Pasolini est en plein montage de Salò ou les 120 journées de Sodome. C’est à la toile émeri du texte de Sade que Pasolini analyse la République fasciste de Salò. Il pense mettre comme point final une séquence où il danse avec l’équipe du film (tourné) sous des drapeaux rouges flottant au vent (a tourner). Le film « se terminera sur une lueur d’espoir, même si je déteste le mot espoir » précise Pasolini.
L’activité de Pasolini est intense, il écrit Pétrole, œuvre multiforme dans la forme finale n’est pas encore précise dans son esprit. Journal intime, chronique, considération, analyse, enquête – tout s’y retrouve et surtout de longs extraits d’un livre dont il ne possède qu’une copie sur les accointances mafieuses entre industriels, politiciens, militaires, etc. conclus dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Somme de travail énorme qui ne l’empêche pas de continuer à fréquenter des jeunes défavorisés, naïfs, violents et incultes de la périphérie de Rome. Pasolini est connu comme homosexuel et homme public important. Envie, détestation, respect se conjuguent, et chacun y va de sa petite histoire de cul avec lui, autant réelle que fantasmée. Pasolini y fréquente Pino Pilosi, un adolescent de 17 ans, qui sera un des acteurs de sa mort.
David Grieco met en scène de manière cohérente toutes les hypothèses menant à l’assassinat de Pasolini. L’enchaînement est imparable sur une période d’un peu plus de trois mois, L’Affaire Pasolini reconstitue la machination qui va se mettre en place de manière désordonnée, approximative et opportuniste. Le vol des dernières bobines de Salò ou les 120 journées de Sodome dans les laboratoires de Technicolor, la demande de rançon totalement irréaliste de 2 milliards de lires (le budget du film) est la première pièce d’un édifice que se conclura dans une nuit d’apocalypse. Grieco pointe les responsabilités (les commanditaires occultes) : Eugenio Cefis président de Montedison et fondateur de la loge maçonnique clandestine P2, l’Etat, la hiérarchie policière, les services secrets, le Vatican, etc. L’oligarchie est totalement corrompue. Le pouvoir ne recule devant aucune manipulation utilisant, entre autres, les fanatiques fascistes pour leurs bases besognes.
« Le courage intellectuel de la vérité et la pratique politique sont deux choses inconciliables en Italie » citation de Pasolini que David Grieco place en exergue de son film. Si son style n’est pas aussi percutant que celui de Francesco Rosi ou Elio Petri, Grieco s’inscrit courageusement et lucidement dans leurs pas pour la recherche de la vérité. Dans le film, l’avocat se présente chez les parents de Pino annonçant son arrestation pour le meurtre de Pasolini avant même les faits. Durant l’interrogatoire, l’avocat donne aux carabiniers la déposition de Pino. C’est la première fois que ces faits sont révélés au public.
Massimo Ranieri, qui connut le poète, est impeccablement crédible en Pasolini et dans le rôle de l’évêque, Paolo Bonacelli, un des fascistes de Salò ou les 120 journées de Sodome. L’affaire Pasolini est dédié à Sergio Citti, ami de Pasolini, scénariste et cinéaste, qui reconstitua son exécution, contrairement aux carabiniers, et révéla les incohérences de l’enquête et de la procédure.
« L’Etat policier fasciste s’est installé puis, sans solution de continuité, l’Etat policier démocrate-chrétien. L’un comme l’autre, tout en « s’exprimant » par la petite-bourgeoisie et le monde paysan, servait en réalité les « patrons » à savoir le grand capital. Ce sont là des banalités, mais mieux vaut les répéter. » Pier Paolo Pasolini (Ecrits corsaires, Champs arts – Flammarion).
Les ordures n’ont pu éteindre la voix de Pasolini, son œuvre est plus que jamais vivante.
Fernand Garcia
L’affaire Pasolini (La Macchinazione) un film de David Grieco avec Massimo Ranieri, Alessandro Sardelli, Libero De Rienzo, Matteo Taranto, François-Xavier Demaison, Milena Vukotic, Roberto Citran, Tonio Laudadio, Paolo Bonacelli… Scénario : Guido Bulla & David Grieco. Image : Fabio Zamarion. Décors : Carmelo Agate. Costumes : Nicoletta Taranta. Montage : Francesco Bilotti. Musique : Pink Floyd. Producteurs : Marina Marzotto, Alice Buttafava, Dominique Marzotto, Lionel Guedj, Vincent Brançon. Production : Propaganda Italia – Mountfluor Films – To Be Continued – TCE – Ministère Italien de la Culture et du tourisme – Région Lazio. Distribution (France) : 2iFilms distribution (Sortie en France le 21 août 2019). Italie-France. 2016. 113 minutes. Couleur. Format image : 2.35 :1. 2K. Son : 5.1. DCP. Tous Publics avec avertissement : « Certaines scènes de ce film risquent de heurter le jeune public ».