Un soir de décembre. L’Empereur François-Joseph (Richard Haydn) donne un bal dans son palais de Vienne. Virgil Smith (Bing Crosby), s’introduit par une fenêtre à l’étage dans la soirée. Il n’est pas un inconnu pour les convives, sa présence choque. Smith est venu pour Johanna Augusta Franziska (Joan Fontaine) et l’entraine à l’écart… Quelque temps auparavant, Virgil Smith, un voyageur de commerce américain, tente d’obtenir une audience auprès de l’Empereur François-Joseph. Il patiente dans la salle d’attente du palais avec son petit chien Buttons, un bâtard. Il a sur les genoux une boîte refermant une invention révolutionnaire : le phonographe. Aux premières places, le Baron Holenia (Roland Culver) et sa fille Johanna Augusta Franziska, propriétaire d’un magnifique chien de race, Shéhérazade, attendent leur tour…
La valse de l’Empereur se situe dans la carrière de Billy Wilder à la suite de La Poison, un succès surprise. 6e film long métrage de Wilder, La valse de l’Empereur est un hommage à l’opérette viennoise et à Ernst Lubitsch, son maître. Wilder se retrouve à la tête d’un budget important et pour la première fois tourne en couleur. Le technicolor éclatant des intérieurs et extérieurs est supervisé par Natalie Kalmus, la grande spécialiste du procédé déjà à l’œuvre sur Autant en emporte le vent. Elle laissera son sobriquet Lily, à la charte de couleurs utilisées en fin de plan pour l’étalonnage en laboratoire.
Billy Wilder a toujours aimé dans ses comédies mettre en scène l’Américain type. Dans La valse de l’Empereur, c’est Bing Crosby qui s’y colle. Mauvaise pioche. Crosby n’a pas l’envergure des acteurs habitués aux dialogues à double sens de la comédie sophistiquée américaine. Trop habitué à jouer les bons gars dans des scénarios basiques et linéaires, il n’est pas à l’aise chez Wilder, à croire qu’il ne comprend rien à ce qu’il dit ou qu’il n’y adhère tout simplement pas. Il est de notoriété publique que Wilder et Crosby ne se sont pas bien entendus. Crosby avait mis au point une manière de jouer qui correspondait à ce que l’Amérique profonde attendait de lui et qui avait fait son succès comme chanteur et acteur. Bing Crosby est une des grandes stars de la Paramount et on imagine sans peine que vu l’importance du budget alloué à Wilder, il est l’une des cartes maîtresses pour garantir le succès de La valse de l’Empereur en salle. Crosby reçoit l’Oscar du meilleur acteur pour La Route semée d’étoiles où il partage l’affiche avec son ami et « ennemi » de la scène musicale, Frank Sinatra. Le reste de la distribution est fort heureusement impeccable, chaque personnage du plus petit rôle au plus important est parfaitement caractérisé et incarné.
Joan Fontaine fait preuve d’une incroyable finesse face à Bing Crosby. Elle sauve chaque scène par la pétulance de son jeu. Les scènes entre Johanna, son père et l’Empereur sont un régal. Le dialogue ciselé par Wilder et Brackett est un festival de sous-entendus graveleux et sexuels, tout cela à partir d’une mise en parallèle permanente des amours humaines et les amours canins. La mécanique est imparable. Tout le film tourne autour des petits toutous, repoussant la censure dans les cordes. Wilder et Brackett ont dû bien rire en tapant les dialogues. Wilder va plus loin que le simple sarcasme en proposant une opposition entre deux mondes, deux cultures, des rapports de classe. D’un côté l’Américaine, la liberté et la démocratie, de l’autre, la Monarchie, l’aristocratie et son mode de fonctionnement. Le voyageur de commerce apporte la modernité, le phonographe, dans l’Empire austro-hongrois agonisant. Un nouveau monde va se substituer à un autre, c’est évident. L’Empire n’est plus qu’une parodie, tout est croulant, mais reste la musique et les numéros « live » d’un monde figé. Une culture qui s’engloutira dans le nazisme. Pourtant, les valeurs démocratiques qu’apporte le colporteur ne respectent rien de cette culture. Il entre chez l’Empereur, chez tout le monde, sans le moindre protocole. Il est l’Amérique qui fait avancer les choses, mais vers quoi ? Wilder utilise un raccourci formidable en utilisant simplement la marque : La Voix de son maître. Marque que Virgil Smith représente fièrement. Ce qu’il imagine en bon américain être un symbole de la liberté n’est qu’une soumission à un maître : le capitalisme. C’est là où se situe l’ironie de Wilder. La modernité américaine n’est rien d’autre que l’accaparement d’une autre culture, sa reproduction à l’infini (ici la musique sur disque), en faire un produit avec pour unique finalité l’argent. Billy Wilder affinera ses oppositions dans plusieurs autres films avec une nette préférence pour un conflit idéologique entre capitalisme et communisme.
Face à l’Américain type, Joan Fontaine dans sa grande période. De son vrai nom, Joan de Beauvoir de Havilland, Joan Fontaine est née à Tokyo, Japon, en 1917 de parents anglais. Elle fait ses études au théâtre à San-Francisco en 1934 et débute au cinéma l’année suivante sous le pseudonyme de Joan Burfield. Sous contrat avec la R.K.O., elle devient Joan Fontaine. Son jeu s’affine sous la direction de George Cukor dans Femmes (The Women, 1939). Alfred Hitchcock et David O. Selznick en font une star avec Rebecca (1940), sublime thriller gothique et Soupçons (1941) pour lequel, elle décroche l’Oscar. Elle est au firmament quand elle tourne La valse de l’Empereur, juste après un autre chef-d’œuvre Lettre d’une inconnue (Letter From an Unknown Woman) de Max Ophuls. Mais petit à petit, son étoile va pâlir, jouant dans des films de moindre ampleur.
La valse de l’Empereur est un superbe spectacle qui happe par son humour iconoclaste et sa philosophie non conformiste. La subversion du film d’opérette bien dans l’esprit et la continuation de l’immense Lubitsch.
Fernand Garcia
La valse de l’Empereur une édition Rimini, magnifique report HD pour l’unique comédie musicale de Billy Wilder, en supplément : Une conversation entre les critiques Mathieu Macheret (Le Monde) et Frédéric Mercier (Transfuge) sur les différents aspects du film, points de vue instructifs (32 minutes). Un livret Mémoire effacée écrit par Marc Toullec pour tout connaître des arcades de la réalisation de La valse de l’Empereur (24 pages) accompagne cette édition (DVD et Blu-ray).
La valse de l’Empereur (The Emperor Waltz) un film de Billy Wilder avec Bing Crosby, Joan Fontaine, Roland Culver, Lucile Watson, Richard Haydn, Harold Vermileyea, Julia Dean, Alma Macrorie, Sig Ruman… Scénario : Charles Brackett et Billy Wilder. Directeur de la photographie : George Barnes. Consultante Technicolor : Natalie Kalmus. Décors : Hans Dreier et Franz Bachelin. Costumes : Edith Head. Costumes masculines : Gile Steele. Montage : Doane Harrison. Musique : Victor Young. Producteur : Charles Brackett. Production : Paramount Pictures. Etats-Unis. 1947. 116 minutes. Technicolor. Format image : 1.37 :1. Son : VF et VO avec ou sans sous-titre français. Tous Publics.