Le film démarre par un défilé si rapide dans le bureau de la Juge pour enfants (Catherine Deneuve) que l’on a l’impression de coupes sauvages au montage. Puis, heureusement, le film s’installe dans son rythme et l’action se focalise sur un jeune garçon, Malory (Rod Paradot). Elevé tant bien que mal par une mère (Sara Forestier) totalement défaillante, Malory est impulsif et violent. Le récit se ressert sur les liens qui vont unir, Malory, la Juge et son éducateur Yann (Benoît Magimel).
L’évolution des enjeux au fil des rencontres entre la juge et Malory puis avec son éducateur, sont parfaitement rendue. Tout le cheminement éducatif de Malory est sur l’écran tout à fait passionnant à suivre. Même si les institutions sont un peu trop idéalisées et la Juge est la compassion personnifiée, il n’en reste pas moins que le film est d’une grande justesse. Ainsi chaque rencontre dans le bureau de la Juge est un grand moment de confrontation auquel participe pleinement la qualité du jeu des acteurs, du dialogue mais aussi de la mise en scène, sobre et inventive dans sa progression.
Les relations entre les personnages sont claires et parfaitement définies. Dans le bureau de la Juge, c’est par le biais des jeux de regards et non-dits que nous entrevoyons les liens qui unissent la Juge à l’éducateur de Malory. Autant la Juge est une personne forte, autant l’éducateur est un écorché vif. Délinquant dans sa jeunesse, il a été suivi par la Juge. Malory fonctionne sur lui en effet miroir. Sa relation avec Malory le conduit à des moments de déprime que renforce sa vie affective bancale. Un petit bémol toutefois, hors bureau, la Juge et Yann se tutoient, alors qu’en toute logique il devrait la vouvoyer. Petit détail de rien, mais dans un film si bien documenté chaque élément participe de l’édifice. Autre bémol, la jeune garçonne Tess (Diane Rouxel), fille d’une prof de centre éducatif, que rencontre Malory. Ce personnage a du mal à exister pleinement, la faute à une trop grande proximité « physique » (cheveux rasés, boxe française) avec les autres jeunes en résidence alors que rien ne le justifie, sauf peut-être une sorte de fascination pour ses jeunes. Il en va de même pour la romance cousue de fil blanc que nous devinons dès le premier regard entre les adolescents. Cette relation réussit à s’extraire des convenances scénaristiques par une remarquable séquence, une scène d’amour, où Malory ne peut se satisfaire sexuellement qu’en faisant ressortir son côté bestial: incapable du moindre geste d’amour et devant les larmes de la jeune fille, il reste figé dans l’incompréhension.
En juge de tribunal pour enfants, Catherine Deneuve est impeccable, sa présence, son autorité valident d’emblée toutes ses rencontres avec Malory. Benoît Magimel campe avec une grande sincérité en éducateur de terrain saisi par la volonté de réussir et le doute inhérent à sa tache. Rod Paradot est un Malory entre une enfance en jachère et une vie d’adulte encore bien flou, c’est dans cet entre-deux que Malory évolue en lutte contre tout ce qui l’entoure. Il y a dans ce personnage quelque chose du Jake La Motta de Raging Bull, dans ses surgissements de violence incontrôlable. Contrairement au film de Scorsese, Malory ne se remet jamais en cause, ce qui fait la force du personnage mais aussi sa limite. Finalement, le film est plus la description du milieu des éducateurs sociaux et des juges pour enfants que le portrait d’un jeune à la dérive. Dommage qu’Emmanuelle Bercot termine son film sur la volonté de faire entrer Malory dans « le droit chemin » en tant que père d’un enfant. Il sort « libre » du tribunal, alors que le scénario l’enferme dans une volonté purement romanesque justifiant ainsi son titre.
August Tino
La tête haute, un film d’Emmanuelle Bercot avec Catherine Deneuve, Rod Paradot, Benoît Magimel, Sara Forestier, Diane Rouxel, Elizabeth Mazev, Anne Suarez, Christophe Meynet, Martin Loizillon. Scénario : Emmanuelle Bercot & Marcia Romano. Directeur de la photo : Guillaume Schiffman. Décors : Eric Barboza. Montage : Julien Leloup. Producteurs : François Kraus & Denis Pineau-Valencienne. Production : Les Films du Kiosque – France 2 Cinéma – Wild Bunch – Rhône-Alpes Cinéma – Pictanovo. Distribution (France) : Wild Bunch Distribution. France. 2015. Couleurs. 2,35 :1. 119 mn. Sélection officielle Festival de Cannes 2015 – Film d’ouverture, hors compétition.