16 avril 1843, dans la petite bourgade d’Independence, au Missouri, les préparatifs battent leur plein pour le grand départ vers l’Ouest. Lije Evans (Richard Widmark) réprimande son fils, Brownie (Michael McGreevey), qui ne peut s’empêcher de lorgner Mercy (Sally Field), une jeune fille de son âge, assise à l’arrière d’une charrette. Les pionniers affluent de toutes parts, nourrissant l’espoir de découvrir en Oregon une terre « noire comme du charbon et douce comme les mains d’une femme ». À l’extérieur de la ville, le sénateur William J. Tadlock (Kirk Douglas), organisateur de cette expédition, tente de convaincre le meilleur éclaireur de l’État, Dick Summers (Robert Mitchum), de se joindre à lui…
La route de l’Ouest est mis sur les rails hollywoodiens en 1951, deux ans après la parution du roman d’A.B. Guthrie, Jr., lauréat du prix Pulitzer. John Wayne est d’abord envisagé pour le rôle du sénateur, puis Charlton Heston est approché. En 1956, la structure de production Hill-Hecht-Lancaster, fondée par James Hill, Harold Hecht et Burt Lancaster, récupère le projet. A.B. Guthrie, Jr., qui a déjà écrit pour eux The Kentuckian (un western mis en scène avec un certain panache par Burt Lancaster), est également le scénariste d’un des classiques du genre, L’Homme des vallées perdues (Shane, 1953), pour lequel il fut nommé aux Oscars.
La route de l’Ouest est alors annoncé avec Burt Lancaster, James Stewart, et Gary Cooper, et l’adaptation est confiée au dramaturge Clifford Odets. Pourtant, le projet n’aboutit pas. Harold Hecht ne se décourage pas et, en 1966, relance l’idée en confiant l’adaptation à Ben Maddow, un scénariste connu pour son travail avec John Huston sur Quand la ville dort (The Asphalt Jungle, 1950) et Le vent de la plaine (The Unforgiven, 1960). Maddow, inscrit sur la liste noire, avait également travaillé dans l’ombre pour Philip Yordan (Johnny Guitar, Le Petit Arpent du Bon Dieu, entre autres).
Harold Hecht confie la réalisation à Andrew V. McLaglen, un enfant de la balle. Fils de l’acteur Victor McLaglen (le « V » de son nom fait bien sûr référence à Victor), Andrew suit son père sur les tournages, en particulier ceux de John Ford, dont Victor McLaglen est un habitué. Ce dernier avait d’ailleurs remporté l’Oscar du meilleur acteur pour Le Mouchard (The Informer, 1935). C’est donc naturellement qu’Andrew passe à l’assistanat en 1945.
Il fait ses débuts en tant que réalisateur en 1956 avec Man in the Vault, un polar écrit par Burt Kennedy, qui lui ouvre ensuite la voie pour Légitime défense (Gun the Man Down), son premier western, avec James Arness et Angie Dickinson. Les deux films sont produit par Batjac, la société de production de John Wayne. Mais c’est à la télévision que Andrew V. McLaglen va faire ses armes en se spécialisant dans le policier et le western. À la fin des années 50, il devient un véritable spécialiste du western sur le petit écran. Il dirige Clint Eastwood à six reprises dans la série Rawhide (1959-1962). En parallèle, il réalise pas moins de 116 épisodes de la série Have Gun – Will Travel avec Richard Boone (1957-1963) et 96 épisodes de Gunsmoke avec James Arness (1956-1965).
Andrew revient ensuite au cinéma sous les bons auspices de son ami John Wayne, qui lui confie la réalisation de Le Grand McLintock (McLintock!, 1963). Il devient alors le réalisateur attitré de la Batjac, et le réalisateur préféré de John Wayne. McLaglen apporte une certaine modernité dans ses récits, tout en respectant la tradition avec une approche plutôt figurative. Son savoir-faire lui permet également de mettre en scène de grandes scènes spectaculaires. D’une certaine manière, il contribue à maintenir des acteurs de l’âge d’or du cinéma hollywoodien en haut de l’affiche durant les années 60, et surtout dans les années 70.
La Route de l’Ouest commence de manière classique, avec le départ des pionniers vers l’Ouest. Le scénario, digne des westerns des années 30, reflète l’enthousiasme, l’optimisme et la détermination des premiers colons. On y retrouve les scènes habituelles : la traversée épique d’une rivière, l’accueil de nouveaux pionniers en cours de route, et les pluies torrentielles qui les mettent à l’épreuve. Tout semble respecter les codes du genre. Cependant, un premier accroc vient fissurer ce vernis de classicisme. Cela se produit lors d’une scène apparemment anodine entre Lije (Richard Widmark) et sa femme Becky (Lola Albright). Lije exprime un désir évident pour sa femme, mais elle se refuse à lui, tout en manifestant son désaccord quant à leur départ pour l’Oregon. Elle ne veut pas qu’il use de leur intimité pour la convaincre. La scène, assez brute, se termine malgré tout sur les lattes d’un lit dépourvu de matelas. Finalement, la famille Evans rejoint à son tour « le train de la liberté » en direction de l’Oregon. Pourtant, malgré ce bref moment de tension, le récit semble rapidement retrouver une certaine normalité, avec son lot de scènes typiques.
Mais au cours du voyage, après avoir fait connaissance avec certains des pionniers, une esquisse d’histoire d’amour prend forme entre Johnnie Mack (Michael Witney), un homme marié, et la jeune Mercy. Cette dernière fantasme sur Johnnie, bien plus que sur le fils de Lije. De son côté, Johnnie est frustré sexuellement : sa femme, Amanda (Katherine Justice), est terrifiée par l’acte et se refuse à lui, l’appelant encore « M. Mack ». « Je vais te prendre avec ou sans ton consentement », lui lance-t-il, mais les cris et les pleurs d’Amanda le renvoient hors du lit de fortune dans leur charrette. Ces relations hommes/femmes constituent l’un des aspects les plus intéressants du film. Le personnage d’Amanda, qui dans de nombreux westerns aurait incarné la blonde idéale avec une touche de bigoterie, se révèle ici névrosé et castrateur. À l’inverse, Mercy est « la flamme et le péché », un personnage féminin dans la veine de Lolita (Stanley Kubrick, 1962) l’ambiguïté en moins. Mercy et Johnnie vont alors céder à la tentation, presque sous le regard et avec l’approbation tacite d’Amanda. La Route de l’Ouest marque ainsi une sorte de tournant dans la représentation des relations amoureuses dans un western à gros budget, un basculement inconcevable quelques années auparavant. Le sénateur, veuf, n’hésite d’ailleurs pas à jeter son dévolu sur la femme de Lije, ajoutant une autre couche de transgression. La liaison entre Johnnie et Mercy aboutit finalement à une tragédie : la mort accidentelle d’un enfant indien, un événement qui fait basculer l’histoire dans une toute nouvelle direction.
La scène avec le chef indien et son enfant mort sur une chaise à dos de cheval est surprenante. L’image et la représentation des Amérindiens ont beaucoup évolué dans le western américain au fil des années. La Route de l’Ouest arrive après une série de films considérés comme pro-Indiens, tels que La Flèche brisée (Broken Arrow, 1950) ou Les Cheyennes (Cheyenne Autumn, 1964), pour n’en citer que deux. Dans le film d’Andrew V. McLaglen, le chef indien réclame simplement justice pour pouvoir enterrer dignement son enfant. Le film leur donne raison, et dans une séquence d’une grande intensité dramatique, le coupable est pendu par le sénateur sous le regard des pionniers.
La Route de l’Ouest est un film hybride, à mi-chemin entre le respect de la tradition, avec ses scènes grandioses et spectaculaires, et une approche plus intime. Ce mélange donne au film un aspect parfois hésitant, avec une multitude de personnages dont certains sont à peine esquissés. Andrew V. McLaglen avait d’ailleurs exprimé son amertume après que le studio eut coupé plus de vingt minutes de présentation des personnages au début du film. Peut-être que ces scènes manquantes auraient atténué l’impression que le trio de stars — Kirk Douglas, Richard Widmark et Robert Mitchum — est sous-exploité, en particulier les deux derniers. Il a été rapporté que Kirk Douglas et McLaglen ne se sont pas vraiment entendus, l’acteur tentant de diriger lui-même les scènes où il apparaissait. Cela a provoqué des frictions, y compris avec ses deux partenaires.
La Route de l’Ouest bénéficie d’une splendide photographie en Scope signée William H. Clothier. Son sens de l’espace est admirable, capturant les vastes étendues sans jamais reléguer les acteurs au second plan face à la beauté des paysages. Clothier a signé dix films pour Andrew V. McLaglen, du début de leur collaboration (le premier McLaglen) jusqu’à Chisum en 1970. La Route de l’Ouest est leur sixième projet ensemble. John Wayne l’avait engagé sous contrat avec sa société Batjac, pour une vingtaine de films. Clothier avait commencé sa carrière comme cameraman sur Les Ailes (Wings) de William A. Wellman en 1927. Il retrouvera d’ailleurs Wellman à plusieurs reprises, mais travaillera également avec des réalisateurs tels que John Ford, Raoul Walsh, Gordon Douglas, Samuel Fuller, Budd Boetticher et Sam Peckinpah, parmi d’autres. Bien qu’il ait exercé ses talents dans divers genres, tels que la science-fiction ou le film noir, c’est dans le western que Clothier aura donné le meilleur de lui-même.
La Route de l’Ouest mérite une réévaluation, tant il renferme des séquences étonnantes et des moments spectaculaires impressionnants, à l’image de la traversée d’un ravin. C’est l’une des meilleures superproductions western des années 60, combinant grandeur épique et instants intimes avec une maîtrise visuelle remarquable.
Fernand Garcia
La route de l’Ouest, une édition dans la collection Silver – Western de légende (Combo DVD-Blu-ray) de Sidonis – Calysta. Le film est présenté dans un superbe Master Haute Définition. En complément : Une présentation du film par Patrick Brion « On sent que Kirk Douglas tire beaucoup le film à lui » et que le film souffre d’un manque de présentation des différents personnages (7 minutes). Robert Mitchum Star hors-normes, document de Jean-Claude Missiaen, portrait d’une star majeur du cinéma hollywodien (7 minutes). Une galerie de onze photos et la bande-annonce américaine d’époque (3’18’’).
La route de l’Ouest (The Way West) un film de Andrew V. McLaglen avec Kirk Douglas, Robert Mitchum, Richard Widmark, Lola Albright, Katherine Justice, Sally Field, Jack Elam, Stubby Kaye, Harry Carey Jr., Michael Witney, Nick Cravat, John Mitchum, Elisabeth Fraser, Connie Sawyer… Scénario : Ben Maddow et Mitchell Lindemann d’après le roman de A.B. Guthrie, Jr. Directeur de la photographie : William H. Clothier. Décors : Edward S. Haworth. Costumes : Norma Koch. FX : Daniel Hays. FX photographique : Albert Whitlock. Montage : Otho S. Lovering. Musique : Bronislaw Kaper. Chef d’orchestre : André Prévin. Producteur : Harold Hecht. Production : Harold Hecht Company – United Artists. Etats-Unis. 1967. 2h02. DeLuxe color. Panavision. Format image : 2,35:1. 16/9e Son : Version originale sous-titrée en français et Version française. DTS-HD Dual mono. Tous Publics.