Une comète perdue dans l’espace, débris du début des temps… Un visage de femme, respiration haletante, uniquement vêtue de l’obscurité de la forêt qui l’entoure, elle est assise contre un arbre, une membrane visqueuse glisse de sa cuisse… deux plans énigmatiques dont la signification profonde ne se révélera à nous qu’à la fin d’un long voyage dans les sentiments les plus troubles.
De cette femme nous ne connaîtrons que son prénom Veronica (Simone Bucio). A l’hôpital, à l’infirmier qui la soigne, elle évoque l’attaque d’un chien. Elle le trouve beau. Fabian (Eden Villavicencio) et elle se lient d’amitié. Fabian est homosexuel. Son histoire d’« amour » avec Angel (Jesus Meza) touche à sa fin. Il a décidé de rompre. Angel est arpenteur, marié à la sœur de Fabian et père de deux enfants. Angel déteste les homosexuels et exprime à tout moment la suprématie de sa virilité hétérosexuelle. Sa femme Alejandra (Ruth Ramos) le supporte, confinée dans son rôle de femme au foyer. La séparation de Fabian et d’Angel va fissurer ce monde des apparences, de mensonges et de faussetés. Veronica propose à Fabian de rencontrer son amant dont elle se sépare et dont elle ne sait s’il est homme ou femme… Fabian accepte et c’est vers un ailleurs qu’il est entrainé, vers un autre monde où les sens atteignent à la pureté… Voyage sans retour pour Fabian.
Amat Escalante met en place une cartographie des sentiments, des désirs et de refoulement qui sont à l’image d’une société où l’hypocrisie est la norme. Progressivement nous entrons dans l’intimité du couple Angel / Alejandra. Jusqu’aux prémices de la fêlure, dans une superbe séquence en plan fixe où le couple au lit passe littéralement de l’autre côté du miroir tandis que la télévision débite sont lots d’images inutiles. Alejandra finit par découvrir la vraie nature de son mari et tout s’effondre. Dans une autre magnifique scène, Veronica avoue à Alejandra la trouver belle, Alejandra esquisse alors un sourire qui exprime toute sa foi en l’avenir. C’est le début pour Alejandra d’une prise de conscience.
La Région sauvage est celle où l’on s’accepte dans toute sa complexité, et au contact d’une entité surnaturelle, à qui Alejandra s’abandonne totalement, elle reprend le contrôle de son corps, de ses sens et de sa vie. Mais pour cela faut-il encore pouvoir dominer ses sentiments. Ce qui est le cas d’Alejandra mais non de Veronica, condamnée à errer et à quémander du plaisir et encore moins des hommes. Dans ce superbe paysage humain, les femmes ont encore en elles cette beauté pure, simple et naturelle à l’instar des petits enfants et que les hommes ont totalement perdue.
La Région sauvage est un film complexe d’une grande richesse, qui charrie une multitude de thèmes au sein d’une ligne directrice d’une grande clarté. A travers la sexualité des personnages, Escalante passe au crible la société mexicaine : la corruption qui mine le pays, la religion qui entrave tous désirs d’émancipations et le machisme qui détruit toutes les relations humaines.
Escalante, après trois films remarqués (Sangre, Los Bastardos et Heli) au réalisme exacerbé, s’aventure avec La Région sauvage sur un autre territoire, celui du fantastique. Il n’en abandonne pas pour autant le réalisme brut de son cinéma mais l’associe à une dimension surnaturelle. Il arpente des terres déjà sillonnées par Lars von Trier (Antéchrist), Michael Haneke (Caché) et bien évidemment par Andrzej Zulawski (Possession), mais son approche est différente avec un résultat moins désespéré et sombre, plutôt marqué, à travers le personnage d’Alejandra et ses enfants, par un profond désir de vivre. Véritable tour de force, La Région sauvage est une réussite indéniable grâce à une mise en scène d’une grande intelligence et une photographie de premier ordre (signé par Manuel Alberto Claro, Melancholia, Nymphonaniac) basculant par d’infimes touches de lumières dans l’angoisse des personnages. La réussite n’aurait pas été totale sans l’apport considérable d’un quatuor d’acteurs exceptionnels (Ruth Ramos, Simone Bucio, Jesus Meza, et Eden Villavicencio). Ils jouent sur toute une gamme de sentiments intérieurs des plus violents aux plus doux. Comme tous les grands films, La Région sauvage renferme une dimension secrète qu’il appartient à chaque spectateur de découvrir.
Fernand Garcia
La Région sauvage (La Región salvaje) un film d’Amat Escalante avec Ruth Ramos, Simone Bucio, Jesus Meza, Eden Villavicencio, Kenny Johnston… Scénario : Amat Escalante et Gibrán Portela. Directeur de la photographie : Manuel Alberto Claro. Montage : Fernanda de la Peza, Jacob Secher Schulsinger. Musique : Guro Moe, Lasse Marhaug, Martín Escalante. Producteurs : Jaime Romandía, Fernanda de la Peza, Amat Escalante. Production : Mantarraya Producciones – Tres Tunas – SnowGlobe, Le Pacte, The Match Factory, Mer Film, Adomeit Film, Copenhagen Film Fund. Mexique-Danemark-France. Distribution (France) : Le Pacte (Sortie le 19 juillet 2017). 2016. 102 mn. Ratio image : 1.66 :1. Couleur. DCP. Lion d’argent de la meilleure réalisation, 73e Mostra de Venise, Sélection L’Étrange Festival 2016. Interdit aux moins de 16 ans.