Un mardi comme tant d’autres, Schneider est à la maison quand son « patron » lui confie une nouvelle mission – éliminer le romancier Ramon Bax. Schneider exerce, en secret bien évidemment, la profession de tueur à gages. Cette commande est apriori des plus simples : l’écrivain vit en ermite dans un cabanon perdu dans un parc naturel. Schneider promet à sa femme de revenir à la maison pour son dîner d’anniversaire…
Sur une situation de départ, somme toute assez classique, matrice de bon nombre de films de genre, Alex van Warmerdam réussit à nous entraîner sur des chemins de traverse, où la beauté du cadre n’atténue en rien l’intelligence du propos. Bien au contraire. Sans entrer dans les détails de l’histoire, ce qui serait dommage, Schneider doit tuer Bax. De cet affrontement d’homme à homme, ce sont les valeurs d’un monde à la masculinité exacerbée, que Schneider et Bax « s’esquintent » à faire perdurer, qui petit à petit se révèle à nous. Autour d’eux gravite quelques femmes : épouse, filles, maîtresse, prostituées – toutes victimes de leurs aveuglements. Le cœur du film est une autopsie des rapports filles (femmes) père (voire grand-père). Constat effroyable auquel se livre van Warmerdam. Incapable de s’assumer autrement que par des rapports de mâles dominants, Bax/Schneider ont cloisonné leurs femmes/filles dans un univers qui les mène directement à la frustration et à la névrose. Bax évoque auprès de sa maîtresse, sa fille Francesca comme une coincée du cul et une hystérique insupportable, oubliant au passage, qu’il en est, lui et son père, amplement responsable, ce que nous découvrirons au fur et à mesure. La grande force du film vient de la maîtrise scénaristique d’Alex van Warmerdam, il réussit à faire évoluer notre regard sur les protagonistes au fur et à mesure de l’avancement de l’histoire et de ses rebondissements. Notre « jugement » sur Bax, Schneider, Francesca au bout du voyage n’est plus celui du début.
A la blancheur de l’intérieur de la maison de Bax répond le soleil écrasant, qui s’abat sur le marécage, où se tapit Schneider. Alex van Warmerdam fait de son espace naturel, les marécages, où se débâtent les protagonistes, une extériorisation de leurs psychés. Le cabanon de Bax est à son image tout comme la maison de Schneider à la sienne, toutes deux baignent dans une lumière blanche immaculée. Mais cette blancheur n’est qu’un leurre, tout est sombre et glauque, l’apparence est plus que trompeuse. A leurs maisons (sorte d’idéal de bonheur) répond comme en écho la petite cabane à l’abandon au fond des bois, lieu des pires perversités, où se clôturera de manière magistrale et morale cette sombre aventure.
Ajoutons qu’Alex van Warmerdam filme admirablement la nature, la progression des protagonistes dans les marécages, le mouvement des roseaux ; l’on retrouve dans sa mise en scène la puissance tellurique des films muets de Sjöström, de Kurosawa. Alex van Warmerdam, neuf films en trente ans, s’affirme au fil du temps comme l’un des auteurs les plus singuliers et passionnants du paysage cinématographique européen.
Fernand Garcia
La peau de Bax (Schneider vs. Bax), un film d’Alex van Warmerdam avec Tom Dewispelaere, Alex van Warmerdam, Maria Kraakman, Henri Garcin, Annet Malherbe, Gene Bervoets, Eva Van de Wijdeven, Loes Haverkort. Scénario : Alex van Warmerdam. Directeur de la photographie : Tom Erisman. Montage : Job ter Burg. Musique : Alex van Warmerdam. Producteur : Marc van Warmerdam. Production : Graniet Film. CZAR. Mollywood. VARA. Distribution : Potemkine Films (sortie France : 18 novembre 2015). Pays-Bas. 2015. 2.35 :1. 96 mn. Couleurs. DCP. Tous publics avec avertissement. Grand Prix Nouveau Genre, L’Etrange Festival 2015. Sélection officielle, Festival de Locarno, 2015