Pour sauver sa ferme de la faillite, Virginie, une mère de famille célibataire se lance à corps perdu dans l’élevage risqué de sauterelles comestibles et développe avec elles un étrange lien obsessionnel. Elle doit faire face à l’hostilité des paysans de la région et de ses enfants qui ne la reconnaissent plus.
Né en 1982 en région parisienne, Just Philippot est diplômé d’un Master en cinéma qu’il obtient en 2007 à la Faculté de Paris VIII. Scénariste et réalisateur, il est l’auteur de quatre courts métrages, A Minuit tout s’arrête (2011), Ses Souffles (2015), Gildas a quelque chose à nous dire (2016) et Acide (2018). La Nuée est son premier long métrage.
Afin de subvenir aux besoins quotidiens, de payer son loyer ou encore d’élever et d’assurer un avenir à ses enfants, seule, Virginie va devoir donner bien plus que des pesticides ou de la nourriture pour assurer le bon rendement de son élevage de sauterelles. Elle va donner une part d’elle-même. Elle va se dévouer corps et âme, se sacrifier. Son produit est de qualité mais son coût de revient de production est trop élevé pour être vendu à un prix abordable au plus grand nombre. Pour gagner sa vie et éviter la faillite, Virginie va donc devoir trouver des solutions pour faire des économies sur ce coût. L’issue du terrifiant engrenage dans lequel elle va se perdre ne pourra être que violente.
La Nuée est un film audacieux et étonnant qui, à travers sa dimension « fantastique », nous parle de nos sociétés et du profond déséquilibre qui affecte le monde en général et l’agriculture en particulier avec pour principale cause la course à la production massive au moindre coût. La Nuée nous parle et nous questionne sur aujourd’hui et sur notre avenir. La Nuée nous parle de nous.
L’aliénation au travail est-elle inévitable dans la production d’ une alimentation saine et alternative ? Si l’élevage d’insectes comestibles reprend le schéma catastrophique actuel de notre système industriel agroalimentaire, celui-ci représente-t-il réellement l’agriculture de demain ? Les sauterelles de La Nuée évoquent un parallèle pertinent avec les Dix Plaies d’Égypte et nous rappellent que le fléau aujourd’hui n’est autre que l’ultra capitalisme et, par extension, l’Homme lui-même. C’est par ses propres névroses que l’Homme détruit son environnement et, par la même occasion, qu’il s’autodétruit.
Concentré sur ses personnages et leur quotidien au travail, en dénonçant une profession à l’agonie, La Nuée est ancré dans le réel. Si une sauterelle toute seule est paradoxalement plutôt mignonne, quand il y en a une nuée assoiffée de sang, ce n’est plus tout à fait la même chose. La nuée de sauterelle a été choisie pour l’intérêt de son motif. Mais attention, pas question ici de sauterelles mutantes ou démoniaques, le réalisme du sujet et de son traitement donne plutôt au film des accents de thriller d’anticipation ou de film catastrophe dans lequel la figure du monstre est créée et volontairement décalée à partir du personnage de cette mère qui va devenir capable de mettre en danger ses enfants.
« Ce qui m’a intéressé avec les sauterelles, c’est le motif du nuage, du nombre, plus que celui de l’insecte seul. C’était la forme de ce nuage, de cette nuée, d’une masse indomptable. » Just Philippot.
Véritable défi technique pour la mise en scène, de différentes natures, les effets spéciaux du film sont parfaitement contrôlés et intégrés à l’histoire. Au service du film, les effets visuels ne déconnectent jamais le spectateur des enjeux dramatiques de l’histoire. Comme en témoignent la maîtrise de nombreuses scènes et séquences d’action, qu’ils soient mécaniques en prise directe sur le plateau de tournage, de maquillages ou numériques, invisibles, les effets spéciaux sont utilisés dans un subtil équilibre qui participe au réalisme de l’ensemble et à la réussite du film. Sobres et efficaces, conçus par le superviseur VFX Antoine Moulineau à qui l’on doit entre autres les effets de nombreux blockbusters hollywoodiens comme Avatar (2009) de James Cameron ou encore The Dark Knight (2008) de Christopher Nolan, les effets spéciaux de La Nuée refusent le spectaculaire gratuit car, avant toute chose, le film raconte l’histoire d’une famille et tout ce qui arrive reste crédible. Les effets intégrés à l’histoire, chaque plan du film reste donc très « naturel » et devient ainsi d’autant plus effrayant. D’une qualité exceptionnelle, les effets visuels du film servent et, dans le même temps, dirigent l’histoire. Grâce à eux, la nuée de sauterelle devient un personnage à part entière du film.
Construit autour d’un personnage féminin fort et humain qui va peu à peu basculer dans la folie, avec son scénario et sa mise en scène, La Nuée est un film qui avant tout, fait la part belle à ses personnages. Pour incarner le personnage de Virginie, le rôle principal du film, le cinéaste crée la surprise en choisissant la comédienne Suliane Brahim, pensionnaire puis sociétaire de la Comédie-Française, peu connue du grand public et que l’on a notamment pu voir à l’affiche de Hors Norme (2019) d’Eric Toledano et Olivier Nakache. Un risque mesuré au vu de son interprétation remarquable à la fois énergique et physique. Le montage rythmé et la mise en scène rapide du film viennent faire écho à l’énergie débordante de la comédienne et du personnage de Virginie dont la personnalité contribue elle aussi, par son charisme, sa détermination et son sacrifice, à donner au film une dimension humaine et réaliste. Suliane Brahim est incontestablement la révélation du film.
Dans le rôle de Karim, le viticulteur voisin de Virginie, on retrouve le comédien Sofian Khammes que le réalisateur avait déjà dirigé dans Acide (2018), son quatrième court métrage qui traitait déjà d’une famille aux prises avec un dérèglement climatique. Les jeunes Marie Narbonne et Raphaël Romand qui jouent respectivement Laura et Gaston, les enfants de Virginie, sont impressionnants de maturité et de justesse dans leurs interprétations de ces personnages dont l’aventure va les faire brutalement passer à l’âge adulte.
Fortement ancré dans une réalité sociale, le scénario de La Nuée est signé Jérôme Genevray et Franck Victor d’après une idée originale de Jérôme Genevray. Comme point de départ, ce dernier souhaitait, d’un point de vue personnel, raconter une histoire en tant que parent, à savoir comment parvient-on à concilier notre besoin de travailler avec l’amour et le temps que l’on doit à nos enfants. Ce n’est qu’ensuite avec Franck Victor qui est végan qu’est arrivée l’idée des sauterelles, allégorie de l’addiction au travail, et de l’alimentation de demain, puis, le portrait de cette agricultrice mère célibataire qui va se laisser dépasser par son travail et les nécessités de la vie. Sujet de société contemporain traité du point de vue de la protection des enfants et de l’instinct maternel, le genre horrifique est ici plus efficace car il nous touche plus fortement.
Le côté naturaliste et écologique de l’histoire, de son traitement et de la mise en scène fait immanquablement penser à l’excellent Take Shelter (2011) de Jeff Nichols, mais La Nuée rappelle évidemment d’autres classiques incontournables du genre comme Les Dents de la Mer (Jaws, 1975) de Steven Spielberg, Les Oiseaux (The Birds, 1962) d’Alfred Hitchcock ou encore évidemment Phase IV (1974) de Saul Bass dans lequel des fourmis attaquent des humains. Traitant de la transformation d’un homme en insecte, La Mouche (The Fly, 1986) de David Cronenberg a également été une grande source d’inspiration pour les auteurs et le réalisateur dans son traitement organique de l’horreur. Des références indéniables pour les scénaristes et le cinéaste cinéphiles, admiratifs des œuvres de cinéastes comme Henri-Georges Clouzot, Maurice Tourneur ou Georges Franju. Just Philippot déclare également beaucoup aimer certains documentaires comme ceux de Raymond Depardon ou encore par exemple Anaïs s’en va en guerre (2014) de Marion Gervais qui montre le combat quotidien d’une femme courageuse de 25 ans qui, par amour pour son travail, se lance, seule contre tous, dans la production d’herbes, de coriandre, de basilic… et que l’on compare à la haute couture de l’arôme. A la manière d’un documentaire sur le milieu rural, à la fois fluide et rapide, toujours au plus près de ses personnages, la mise en scène de Just Philippot se réapproprie les codes du cinéma d’épouvante pour rendre le film vraisemblable et instaurer une atmosphère particulièrement angoissante.
Né de la résidence d’écriture « So Film de genre » lors de laquelle le film s’est développé dans un véritable esprit d’équipe entre les scénaristes et le réalisateur, co-produit par Capprici Films et The Jokers Films, La Nuée a également bénéficié de la nouvelle aide du CNC pour le cinéma de genre dont le comité de sélection comprenait entre autres professionnels les cinéastes Julia Ducournau (Grave, 2016) et Quentin Dupieux (Rubber, 2010; Wrong, 2012; Réalité, 2014; Au Poste, 2018; Le Daim, 2019;…).
Inattendu et unique, à la fois film fantastique naturaliste à la facture visuelle ambitieuse, film d’épouvante, film catastrophe, thriller rural d’anticipation mais aussi drame social et drame familial intimiste, La Nuée est en fait, tout simplement, un film d’auteur singulier et maîtrisé qui réussit le pont entre le réel et l’imaginaire. Mais pas n’importe quel film d’auteur. C’est aussi, et c’est un fait suffisamment rare pour être souligné ici, un excellent film de genre français. Du cinéma à voir sur grand écran. Impressionnant.
Steve Le Nedelec
La Nuée un film de Just Philippot avec Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne, Raphaël Romand, Victor Bonnel, Vincent Deniard, Guillaume Bursztyn, Stephan Castang… Scénario : Jérôme Genevray et Franck Victor d’après une idée original de Jérôme Genevray. Images : Romain Carcanade. Décors : Margaux Mémain. Costumes : Charlotte Richard. Montage : Pierre Deschamps. Musique : Vincent Cahay. Producteurs : Manuel Chiche et Thierry Lounas. Production : The Jokers Films – Capricci Films Coproduction : ARTE France Cinéma – Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma avec la participation de Canal+ / Ciné +. Distribution (France) : The Jokers Films / Capricci Films (Sortie en salle reporté en 2021). France. 2020. 100 minutes. Couleur. Format image : 2.39 :1. Son : 5.1. Label Semaine de la critique – Cannes 2020. Interdit aux moins de 12 ans.