Le père O’Shea (Humphrey Bogart) arpente les chemins escarpés d’une vallée rocheuse d’une province reculée de Chine. Il avance au rythme de son âne… un pistolet en main… Surpris de nuit par une pluie torrentielle, il décide de rejoindre une mission qu’il aperçoit au loin… Mais pour y parvenir il doit traverser un fragile pont de bois. Sous poids, celui-ci s’effondre et ses affaires sacerdotales s’en vont entraînées par le courant. O’Shea réussit à rejoindre la mission. Nous sommes en 1947, le pays est en ébullition. Son arrivée est un événement pour la petite communauté des expatriés et des villageois… pourtant le père O’Shea n’est pas l’homme que l’on imagine…
La Main gauche du Seigneur est un film hollywoodien classique, mélange d’aventures exotiques et de romance amoureuse avec deux stars, Humphrey Bogart et Gene Tierney. La mise en scène d’Edward Dmytryk met parfaitement en valeur ses personnages dans des grands espaces. Il utilise le CinémaScope avec un sens très sûr de la composition. Les travellings de Dmytryk sont d’une grande élégance. Il accompagne les déplacements des personnages tout en observant une composition rigoureuse de l’image. Ses enchaînements se font sans heurts, par de rapides fondus et ouverture au noir ou par de coupes invisibles. Chaque plan apporte son lot d’informations.
Dès les premières images nous savons que l’habit ne fait pas le moine. Très vite au cours du film, Dmytryk nous le rappelle, le père porte sur lui son pistolet. Ainsi l’idylle que nous entrevoyons entre lui et Anne Scott (Gene Tierney) peut se mettre en place. Le trouble, que va ressentir la jeune femme, ne pourra pas être alors perçu par le spectateur comme une transgression. Pourtant c’est ce sentiment interdit qui fait tout le piquant de la relation. Les situations ne seront ambiguës que pour les personnages mais absolument pas pour les spectateurs.
Le film élimine donc tout suspense pour se focaliser sur le père O’Shea. Quelle est sa véritable identité ? Telle est la question qu’on se pose d’emblée. Le film va retarder au maximum cette révélation afin de mettre en place les enjeux qui vont conduire O’Shea à n’être plus le même individu à la fin de l’histoire. Les divers événements auxquels il va être confronté vont agir « positivement » sur lui et faire de lui un nouvel homme.
En parallèle de l’histoire d’O’Shea, Dmytryk met en place le dilemme auquel Anne est confrontée. Si elle ne peut voir dans le prêtre un homme « normal », elle est néanmoins irrésistiblement attirée par lui. Il va de soi que le film reste dans les canons acceptables du désir d’une femme envers un homme. Elle est célibataire, catholique, fait le bien autour d’elle, et n’imagine même pas une aventure amoureuse avec un autochtone. Elle est à l’image de la femme idéale des années 50 véhiculée par Hollywood. Mais l’amour ne peut exister sur les bases fausses. Le final est à cet égard particulièrement éclairant, un unhappy end en quelque sorte. Quant à la vision de la Chine, elle découle d’une forme évidente d’impérialisme, l’évangélisation de ses terres lointaines allant de pair avec la mise en place de valeurs occidentales.
Sur ses bases solides, scénario, jeu des acteurs, mise en scène, La main gauche du Seigneur est le parfait exemple de l’efficacité hollywoodienne.
Fernand Garcia
La Main gauche du Seigneur est édité en DVD-Blu-ray dans une très belle version restaurée par Rimini Editions avec en suppléments sur le DVD, Edward Dmytryk par Patrick Brion. Comme toujours avec Monsieur Cinéma de minuit, son évocation de la carrière d’Edward Dmytryk est truffée d’informations et est de bout en bout passionnante (45 mn). Gene Tierney, entre l’ombre et la lumière, évocation de la star de Laura par Linda Tahi Meriau (26 mn) et, uniquement sur le Blu-ray, L’Image du prêtre à l’écran par l’historien de cinéma, Chrisitophe Champclaux (26 mn).
La Main gauche du Seigneur (Left Hand of God) un film de Edward Dmytryk avec Humphrey Bogart, Gene Tierney, Lee J. Cobb, Agnes Moorehead, E.G. Marshall, Jean Porter, Carl Benton Reid, Victor Sen Yung, Philip Ahn, Benson Fong. Scénario : Alfred Hayes d’après le roman de William E. Barrett. Directeur de la photographie : Franz Planer. Montage : Dorothy Spencer. Musique : Victor Young. Producteur : Buddy Adler. Production : 20th Century Fox. Etats-Unis. 1955. CinémaScope. Format image : 2.55 :1. – 16/9e compatible 4/3. Couleurs (DeLuxe). 83 mn. Mono. Langues : Français et Anglais, sous-titres Français. Tous Publics.