Au XIXe siècle, dans un village polonais en ébullition, la jeune Jagna, promise à un riche propriétaire terrien, se révolte. Elle prend son destin en main, rejette les traditions et bouleverse l’ordre établi. Commencent alors les saisons de la colère…
Ambitieuse adaptation cinématographique du roman emblématique de la littérature et de la culture polonaise, Les Paysans de Wladyslaw Reymont, qui a été récompensé par le Prix Nobel de Littérature en 1924, La Jeune Fille et les Paysans est, sept ans après le déjà très remarqué La Passion Van Gogh (Loving Vincent, 2017), le nouveau film du couple formé par le cinéaste britannique Hugh Welchman et l’artiste peintre polonaise Dorota Kobiela Welchman (DK Welchman).
Diplômée des Beaux-Arts de Varsovie, après ses études en peinture et en arts graphiques, DK Welchman s’est tournée vers le cinéma et l’animation. Elle a réalisé cinq court-métrages avant La Passion Van Gogh, son premier long. Son mari, Hugh Welchman est co-scénariste et réalisateur de La Passion Van Gogh. C’est ensemble qu’ils co-signent le projet d’envergure qu’est La Jeune Fille et les Paysans, leur nouveau chef-d’œuvre d’animation.
« Je crois que j’ai été frappée par la beauté des descriptions que fait Reymont du village, des saisons et de la nature environnante. J’ai trouvé les personnages attachants, même drôles, bien plus que lors de ma première lecture, quand j’avais 17 ans. C’est un roman qui nécessite de la patience et un peu d’expérience de la vie. » DK Welchman.
Dans la lignée de Charles Dickens, Thomas Hardy ou Emile Zola, Les Paysans de Wladyslaw Stanislaw Reymont est un chef-d’œuvre de la littérature, portrait de la Pologne rurale catholique et conservatrice de la fin du 19e siècle, qui mérite amplement d’être découvert et reconnu hors de ses frontières. Après avoir étudié le roman lorsqu’elle était lycéenne, c’est adulte que DK Welchman a redécouvert le texte de Reymont dont les principaux tours de force résident dans ses descriptions d’une année de vie dans une communauté rurale, dans la maitrise poétique de ses descriptions de la nature et dans la maitrise tout aussi poétique de ses descriptions des émotions et des sentiments des différents personnages qui vont vivre des tragédies personnelles bouleversantes. Dans le même temps que le film vient rendre hommage au roman, La Jeune Fille et les Paysans vient magnifiquement traduire l’amour de l’auteur pour la vie et la nature humaine, comme son amour pour la nature et la terre.
Au fil des quatre saisons qui rythment le récit, de nombreuses tragédies se font jour à la fois pour les personnages que pour le village tout entier. La Jeune Fille et les Paysans montre parfaitement les influences que peuvent avoir les personnages les uns sur les autres ainsi que la synergie de leurs destins entremêlés. En contraste avec la beauté de la nature, le film montre aussi bien la sensualité que la brutalité de leur monde.
Dans le roman, et à l’époque, la violence physique fait partie de la vie quotidienne. Si tout le monde ne cautionne pas la violence domestique à l’époque, celle-ci est acceptée. Beaucoup moins violent que le roman, le film ne montre que la violence nécessaire à l’histoire. Quant à la sexualité, le carré amoureux, la passion et la jalousie, étant au centre de l’histoire, cette dernière se devait d’être représentée tout en laissant le film accessible aux plus jeunes. La violence et la sexualité sont montrées afin que le public puisse ressentir l’impact de la violence sur les personnages et s’identifier à eux en comprenant leurs émotions.
Pour adapter le roman, le couple de cinéastes a choisi d’utiliser le procéder technique d’animation peinte qui consiste à d’abord tourner des prises de vue réelles avec des comédiens, puis à peindre sur chaque image en post-production. Innovant et original, ce procédé leur a permis de raconter l’histoire tout en conservant la poésie et les nuances des descriptions de la nature. Il leur a permis de faire cohabiter une histoire dramatique forte et des visions picturales de la nature dans une harmonie parfaite.
« Nous avions envie de faire autre chose, de montrer tout ce qu’on pouvait faire avec les techniques d’animation au cinéma. Donner vie à un roman de plus de 1000 pages, c’était un défi intéressant, et c’était aussi l’occasion de montrer que ça marcherait aussi pour un drame. La Jeune Fille et les Paysans fonctionne à une tout autre échelle que La Passion Van Gogh. Il y a de la danse et des combats. Chaque image nous a demandé deux fois plus de temps de travail, en raison du style plus réaliste et des mouvements dynamiques de caméra. » Hugh Welchman.
Bien que La Jeune Fille et les Paysans utilise la même technique picturale que leur film précédent, La Passion Van Gogh, leur approche de l’animation peinte est ici très différente. Pour commencer, au cœur du film, il y a le récit de Wladyslaw Reymont. La peinture n’est qu’un outil pour inciter les spectateurs à s’immerger dans l’univers de la campagne polonaise du 19e siècle. Par conséquent, il n’est pas question ici de montrer autant de tableaux que possible mais plutôt de s’inspirer de certains artistes pour créer une ambiance et une atmosphère particulières.
« Nous nous sommes inspirés des œuvres de plus d’une trentaine de peintres, de Michał Gorstkin-Wywiórski à Ferdynand Ruszczyc, mais surtout de Józef Chełmonski, de l’école réaliste. Dans ses dernières œuvres, après son retour en Pologne, la campagne polonaise est très belle, très expressive. Ça correspondait exactement à ce qu’on voulait faire visuellement. » DK Welchman.
Concernant les inspirations visuelles du film, comme Reymont est un auteur de la « Jeune Pologne », mouvement moderniste dans les arts graphiques, la littérature et la musique en Pologne qui a mis en avant l’identité et la culture polonaises, pour donner vie à ses mots, les Welchman ont eu l’idée de lier le texte de l’auteur aux œuvres des peintres polonais qui lui étaient contemporains, de la fin du 19e et du début du 20e siècle. En parfaite harmonie avec les sentiments et les émotions des personnages, la palette de couleurs du film vient sublimer son discours. La poésie esthétique et visuelle du film décuple ainsi les émotions du spectateur qui traverse des tableaux vivants tous plus époustouflants les uns que les autres.
Plus de cent animateurs-peintres ont travaillé sur le film sur des unités PAWS (Painting Animation Work Stations, postes de travail d’animation peinte), conçues à cet effet et installées dans quatre studios en Pologne, Serbie, Lituanie et Ukraine. Même s’il s’agit d’un film d’animation, tous les personnages sont joués par des acteurs. Les comédiens ont tourné soit dans des décors spécialement conçus pour ressembler à des lieux réels, soit devant un écran vert. Des matte paintings et des images informatiques ont ensuite été utilisé en post-production. Les prises de vue réelles ont été tournées majoritairement en studio à Varsovie et quelques scènes ont été filmés en décors naturels. Ce sont les images en prises de vue réelles qui ont servi de référence aux animateurs-peintres qui ont ensuite reproduit le style (technique, couleurs, degré de détail) des tableaux de maître choisis en référence pour peindre la première image de chaque plan sur une toile de 67×49 cm. Puis, ils ont animé chaque plan en peignant toujours dans le même style les parties en mouvement de l’image suivante. Et ainsi de suite jusqu’à la dernière image du plan. Chaque peinture a ensuite été photographiée avec un appareil photo numérique à une résolution de 6K. Au final, ce sont plusieurs dizaines de milliers de peintures qui ont été réalisées par l’équipe d’animateurs-peintres. Lors de la production du film, les cinéastes ont dû faire face à la pandémie ainsi qu’à la guerre en Ukraine où 30% des animateurs travaillaient. Ce qui a évidemment eu un impact sur le budget comme sur le planning de production du film.
« C’est un superbe roman, truffé de descriptions à couper le souffle, mais ce qui m’attirait réellement dans l’idée de l’adapter, c’était Jagna. En tant que femme, j’ai moi aussi été injustement montrée du doigt de nombreuses fois dans ma vie. Je me reconnaissais vraiment en elle, ce qu’elle traversait me touchait. Au départ, on l’envie, elle est incomprise, puis, on la maltraite, on l’humilie et finalement, on la met à l’écart, tout ça parce qu’elle est jolie, rêveuse, artiste, qu’elle vit les choses avec passion, mais surtout parce qu’elle remet en question le patriarcat qui est soutenu par l’Église. » DK Welchman.
Si le personnage de Jagna est le plus marquant du roman, ce dernier raconter l’histoire de toute une communauté. Honnêtes face à leurs défauts et leurs faiblesses, les portraits que dressent les cinéastes de leurs personnages sont d’une compassion et d’un réalisme incroyables. Les paysans peuvent être avides, orgueilleux, mesquins, jaloux et intolérants. Le personnage de Jagna est la raison principale de cette adaptation qui est bien plus féministe que le roman de Reymont. Personnage majeur de la littérature polonaise, Jagna va connaitre des difficultés dans une société définie par les hommes du simple fait de son statut de femme. Contrairement à tous ceux qui l’entourent et qui ne pensent qu’à posséder des terres et des biens, Jagna ne se soucie pas des choses matérielles. Antek, son amant, est un anti-héros lamentable. Marié avec des enfants, il est odieux avec sa femme et fait passer son orgueil avant même les besoins de ses enfants. Pourtant, le village le comprend et l’accepte tel qu’il est. Contrainte par sa mère d’épouser Maciej, un vieux patriarche tyrannique qui n’est autre que le père d’Antek, Jagna, quant à elle, ne trouve pas sa place dans ce village, dans cette société. Son personnage symbolise aussi bien l’espoir de liberté des individus, l’émancipation des femmes, que le rejet et la mise au ban de la communauté dont on peut être victime lorsqu’on ne se conforme pas à la vision dominante même si celle-ci est inacceptable. A l’image des paysans qui luttent comme ils peuvent pour défendre leurs droits, Jagna recherche la liberté et son indépendance en devenant maître de ses choix, maître de sa destinée, de sa vie.
« On cherchait quelqu’un avec un côté rêveur, un peu fugace, et une sensibilité artistique. Mais aussi quelqu’un d’une beauté saisissante. […] Elle fait une formidable Jagna moderne parce qu’elle comprend ce que vit le personnage, dans le contexte actuel. » Hugh Welchman.
Dans le rôle de Jagna, la jeune femme victime de calomnies incessantes et qui se révolte contre les traditions de son époque, on découvre la magnifique comédienne polonaise Kamila Urzedowska dont l’impressionnante prestation peut être qualifier de contemporaine tant son personnage résonne encore (malheureusement) avec le monde d’aujourd’hui qui n’a manifestement pas beaucoup changé. En effet, Il y a toujours des femmes comme Jagna un peu partout, confrontées à des problèmes similaires dans un monde où les différences de traitement entre hommes et femmes existent toujours. La Jeune Fille et les Paysans raconte autant l’Histoire qu’il raconte aujourd’hui. Le parcours initiatique de l’héroïne de La Jeune Fille et les Paysans en fait un incroyable plaidoyer contre le patriarcat et les violences faites aux femmes. A l’instar des grands contes, la portée du film est universelle. La Jeune Fille et les Paysans est à découvrir dès le plus jeune âge. C’est le film idéal pour des projections scolaires, mais pas seulement…
« Dans le livre, il y a de nombreuses références à la musique et à la danse. J’adorais une chose, c’est que dans ces moments-là, il n’était plus question d’être mesquin, on oubliait les ragots et les conflits. On se rend compte que ces gens étaient des artistes et que c’était comme ça qu’ils s’exprimaient, de manière passionnée. » Hugh Welchman.
En raison des nombreuses fêtes de village présentes dans l’histoire, comme le mariage de Boryna et Jagna au cours duquel les invités boivent et dansent durant trois jours, La Jeune Fille et les Paysans est rempli de chansons et de danses inspirées de chants et airs traditionnels. Très présente dans le film, la musique y est donc très importante. A une époque où l’existence était dure, les hommes et les femmes adoraient faire la fête, chanter et danser au son de la musique. Composée par Lucasz « L.U.C. » Rostkowski et Rebel Babel Film Orchestra, la musique accompagne superbement les images de nature et vient magnifiquement se substituer aux non-dits des personnages. Elle souligne les émotions et vient traduire les sentiments des personnages. A la fois dépaysante, envoûtante et entrainante, ses airs des Balkans rappellent les musiques de Goran Bregovic avec par moments des intonations Celtes qui rappellent quant à elles l’univers de Yann Tiersen. A l’image du film, la bande originale est tout simplement splendide.
A travers les thématiques historique, culturelle et sociale (les traditions ; les mœurs et coutumes ; les luttes individuelles ou collectives…) qu’elle aborde avec intelligence, et l’éveil, à la fois de notre sensibilité et de notre curiosité, qu’elle nous offre, La Jeune Fille et les Paysans est une œuvre cinématographique aussi passionnante sur le fond que somptueuse sur la forme.
La Jeune Fille et les Paysans est une œuvre poétique immersive d’une puissance émotionnelle rare, pour ne pas dire inédite. Une expérience artistique et sensorielle unique. Un choc esthétique à voir, à vivre, absolument sur grand écran. Du grand cinéma. Du grand Art.
Steve Le Nedelec
La Jeune Fille et les Paysans (Chlopi) un film de Dorota Kobiela Welchman et Hugh Welchman, avec Kamila Urzedowska, Robert Gulaczyk, Miroslaw Baka, Sonia Mietielica, Ewa Kasprzyk… Scénario : Dorota Kobiela Welchman et Hugh Welchman d’après le roman de Wladyslaw Stanislaw Reymont. Image : Radoslaw Ladczuk et Kamil Polak. Directeur de l’animation : Piotr Dominiak. Costumes : Katarzyna Lewinska. Montage : DK Welchman, Patrycja Pirog et Miki Wecel. Musique : Lukasz « L.U.C. » Rostkowski et Waldemar Pokromski. Producteurs : Sean Bobbitt et Hugh Welchman. Production : BreakThru Productions – Digitalkraft – Art Shot – Polski Instytut Sztuki Filmowej – Canal+ Polska – Narodowe Centrum Kultury – Mazowiecki I Warszawski Fundusz Filmowy. Distribution (France) : The Joker Films (sortie le 20 mars 2024). Pologne – Serbie – Lituanie. 2023. 114 minutes. Couleur. Format image : 1.85 :1. Dolby Digital. Son : 5.1. Tous Publics.