1870, dans les plaines perdues de l’Arizona, sous un soleil de plomb, Tom Jeffords (James Stewart) se dirige vers Tucson où le Colonel Bernall l’attend. En chemin, il aperçoit des buses tournoyer dans le ciel. « Un homme ou une bête allait mourir » se dit-il. Il ne s’agit pas d’une bête, mais d’« un être plus dangereux qu’un serpent » un Indien. Un de ces Indiens contre lesquels les blancs mènent depuis 10 ans une guerre sans merci. L’Indien est un jeune adolescent épuisé et blessé qui s’écroule. Jeffords lui porte secours et le soigne…
« J’aime beaucoup La Flèche brisée, parce que j’ai pu montrer dans cette l’œuvre l’Indien comme un homme d’honneur et de principes, comme un être humain et non comme une brute sanguinaire. » Delmer Daves (in Amis Américains, Bertrand Tavernier, Institut Lumière-Actes Sud, 1993)
La flèche brisée est une date dans l’histoire du western et, par voie de conséquence, dans l’histoire du cinéma. Pour la première fois, en tout cas de manière si affirmée, un film prenait en considération la culture indienne et adoptait le point de vue de l’Indien. A partir de ce film, on peut affirmer que l’idéologie qui dominait alors le genre allait changer, l’Indien ne serait plus un être sauvage, barbare et cruel tel que la mythologie américaine le décrivait. Cette volonté de modifier radicalement l’image de l’Indien est à mettre au crédit de Delmer Daves qui avait vécu parmi les Indiens, connaissait leurs traditions et les respectait profondément.
On s’éloigne de l’image habituelle, l’Indien n’est plus une simple figure qui s’oppose à l’arrivée des pionniers qui apporte le savoir, la connaissance, la civilisation et la Bible dans ces contrées vides. Le film est une attaque contre la bonne conscience américaine et la justification d’années de massacres et de luttes contre les Indiens. Le film de Delmer Daves, tout comme La porte du diable (Devil’s Doorway) d’Anthony Mann sorti la même année, est la première marche d’une reconnaissance de la culture indienne, de sa richesse et de sa beauté.
On retrouve les conventions habituelles dans La Flèche brisée : les Indiens parlent l’anglais, mais Delmer Daves nous avertit dès le premier plan par le biais de la voix off que le seul détail modifié est que les Indiens parlent anglais. Le héros apprend leur langue et dans les dialogues nous comprenons qu’ils s’adressent en langue indienne. On imagine facilement qu’en 1950 les faire s’exprimer dans leurs langues était commercialement inenvisageable pour le Studio. Autre convention, les rôles principaux d’indiens sont tenus par deux Américains, Cochise par Jeff Chandler (excellent), et la jeune Debra Paget pour l’indienne Sonseeahray, amoureuse de Jeffords. Il faut même reconnaître un certain courage aux acteurs pour incarner des Indiens, tant leur image était plus que négative dans l’opinion américaine. Comme le signale Bertrand Tavernier avec sagesse: ce qui compte, c’est la vérité des sentiments.
La Flèche brisée va modifier le regard sur les Indiens et permettre à d’autres films des années 50/60 de poursuivre dans cette voie et de relever l’histoire d’un peuple ignoré. Parmi ceux-ci, Branco Apache (Apache, 1954) de Robert Aldrich, La prisonnière du désert (The Searchers, 1956) et Les Cheyennes (Cheyenne Autumn, 1964) de John Ford, Le Jugement des flèches (Run of the Arrow, 1957) de Samuel Fuller, La Charge de la 8e brigade (A Distant Trumpet, 1964) de Raoul Walsh. Les grands chefs Indiens vont devenir les héros d’histoire plus ou moins fantaisistes, mais qu’importe, ses films vont habituer le public avec ses héros tragiques de l’histoire d’un peuple victime d’un génocide. Les grands chefs d’armées US vont être malmenés et renvoyés à l’étroitesse de leur esprit. A l’orée des années 70, le public américain va être prêt pour une remise en cause radicale de son histoire, de la conquête de l’Ouest et des massacres qui s’ensuivirent. Little Big Man (1970) d’Arthur Penn, Le Soldat Bleu (Soldier Blue, 1970) de Ralph Nelson, Fureur Apache (Ulzana’s Raid, 1972) de Robert Aldrich, Les Collines de la terreur (Chato’s Land) de Michael Winner, qui chacun à sa manière (liste non-exhaustive) remettait en cause avec force l’un des mythes fondateurs de la nation américaine, pour certains de ces titres il s’agissait aussi de la dénonciation de l’impérialisme américain dans le Sud-est asiatique.
La flèche brisée est un tournant important dans la carrière de James Stewart. Une évolution exemplaire dans sa carrière, le faisant quitter les rôles de grand dégingandé, naïf et généreux pour des rôles plus complexes. James Stewart est une grande star quand il accepte le rôle, il représente l’Américain moyen idéalisé. Le western va le propulser vers d’autres horizons. Après ce premier pas, c’est son association avec Anthony Mann pour une série de chefs-d’œuvre du genre qui vont définitivement installer James Stewart comme héros de western.
La Flèche brisée n’est pas qu’une date gravée dans le marbre, c’est un western profondément humaniste qui frôle avec bonheur le mélodrame. Les scènes d’amour entre Jeffords et Sonseeahray sont superbes, empreintes de respect, de frôlement et de non-dit, parfaitement orchestrées par Daves. La séquence au bord du ruisseau est de toute beauté et leur séquence finale déchirante. Au témoignage « ethnographique », se greffent des thèmes classiques du genre: la furie de la population blanche, la trahison, des gunfighters et une impressionnante attaque indienne, de l’épique et de l’intime, de quoi combler l’amateur du genre.
Fernand Garcia
La Flèche brisée, une édition combo (DVD + Blu-ray) de Sidonis Calysta dans la Collection Western de légende. En bonus deux présentations : Bertrand Tavernier, grand admirateur du film, « la première œuvre à prendre le point de vue indien (.) et d’essayer de comprendre de l’intérieur (.) leur mode de vie, leur religion, leur croyance, leur façon de traiter les femmes et les enfants, de ce point de vue ce film a été rarement égalé. (.) La flèche brisée est un immense film humaniste. » (16 minutes) ; et Patrick Brion, historien du western, pour qui La Flèche brisée est l’« une des dates les plus importantes de l’histoire du western hollywoodien » (22 minutes).
La Flèche brisée (Broken Arrow) un film de Delmer Daves avec James Stewart, Jeff Chandler, Debra Paget, Basil Ruysdael, Will Geer, Joyce MacKenzie, Arthur Hunnicutt… Scènario : Albert Maltz d’après le roman de Elliott Arnold. Directeur de la photographie : Ernest Palmer. Consultant couleur : Leonard Doss. Décors : Lyle Wheeler & Albert Hogsett. Costumes : Charles Le Maire. Effets photographique spéciaux : Fred Sersen. Montage : J. Watson Webb, Jr. Musique : Hugo Friedhofer. Producteur : Julian Blaustein. Production : 20th Century Fox. Etats-Unis. Technicolor. Format image : 1.33:1. Version : VF et VOSTF. Tous Publics.