Printemps 1865. La guerre civile fait rage, dans ce chaos émergent des hommes d’un genre nouveau : Quantrill, Frank et Jesse James, les frères Younger, et bien d’autres, des renégats, braqueurs, assassins et pilleurs. C’est le règne du plus fort. Les villes s’organisent en milice, la loi s’efface au profit du lynchage. Perdue sur la ligne entre le Missouri (Nordiste) et l’Arkansas (Sudiste), Border City est une ville frontière administrée d’une main de fer par la maire, Madame Courtney (Nina Verela). Elle a mis en place ses propres lois et la ville s’est déclarée neutre. Il n’en fallait pas moins pour devenir le repaire des déserteurs, des hors-la-loi et des laissés-pour-compte. Ce jour-là, tous les habitants se sont regroupés pour assister à un nouveau lynchage…
La femme qui faillit être lynchée est un western pour le moins atypique puisqu’il s’agit d’une histoire de femmes ! Non pas qu’elles soient absentes du genre, loin de là, mais dans ce formidable film d’Allan Dwan, ce sont elles qui mènent la danse. Comme si par un mouvement de balancier, on avait remplacé les personnages masculins par des personnages féminins. Les hommes existent, mais ne sont plus le moteur de l’action, il ne s’agit pas d’une simple inversion des rôles, mais d’une fine analyse des mécanismes du pouvoir et de son utilisation.
Dès la première séquence, le ton est donné : un petit garçon se promène en ville. Il n’y a personne à part un vieil homme. « – Où sont-ils tous ? » « – Au lynchage ». Le petit garçon trouve l’endroit et cherche à se faufiler entre les hommes. On pourrait écrire à trouver sa place parmi les hommes. Sa mère l’arrête et le renvoi à la maison. Le lynchage est une saloperie d’hommes. Eh bien, non ! Le plan suivant sur une carriole, la maire apprécie le spectacle, à ses pieds tout le conseil municipal composé uniquement de femmes émoustillées par l’exécution.
La mise en scène de Dwan est d’un dynamisme remarquable. Exposition claire, concise et rapide, la situation est surprenante parce qu’elle est le fait de femmes. Dwan poursuit, tandis que la maire remonte la rue principale, elle égraine les différentes mesures qui ont permis de remettre de l’ordre en ville. C’est une femme à poigne, imposante, elle a interdit tout uniforme à moins de 8 km de la ville, nous sommes en pleine guerre de Sécession. Toutes ses mesures ne défendent pas un intérêt collectif mais les siens. La maire possède des mines de plomb des deux côtés de la « frontière ». Avec ses arrêtés et sa neutralité de façade, elle peut poursuivre son lucratif commerce en vendant du plomb au nord. Si en apparence tout semble aller bien, en sous-sol, la vermine prolifère. En quelques minutes, nous avons compris que le pouvoir, qu’il soit exercé par des hommes ou par des femmes, est totalement corruptible.
Sans plus, Dwan passe à une diligence, à l’intérieur un seul passager, ou plutôt une seule passagère, Sally Maris (Joan Leslie) de Sioux St. Marie. Une patrouille de nordiste arrête la diligence. Le commandant yankee (Richard Simmons) est aussitôt séduit par la belle passagère. En bon spectateur, on imagine immédiatement que l’histoire va s’articuler autour d’eux avec une belle romance à la clef, la routine en somme. Le beau commandant yankee, chevaleresque, décide d’accompagner la belle jusqu’à Border City où elle doit rejoindre son frère, évidemment « ces contrées sont dangereuses ». Le convoi est attaqué par la horde sauvage de Quantrill (Brian Donlevy). C’est un carnage, le régiment de cavalerie est décimé et le valeureux commandant abattu comme un chien. Stupeur chez le spectateur, que va-t-il advenir de la jeune femme maintenant aux mains de Quantrill et de sa femme Kate (Audrey Totter) ! Tout cela en 10 minutes à peine, la narration est un art. La Femme qui faillit être lynchée n’est vraiment pas un western classique et tant mieux.
L’héroïne, Sally, personnage formidable, n’est pas la jeune femme naïve que l’on croise généralement dans le western. Elle comprend rapidement les rapports de forces qui dominent la ville. Par un concours de circonstances, elle devient la patronne du saloon de la ville et entre en conflit avec la maire (le pouvoir légal) et Kate (le pouvoir illégal); entre deux feux, Sally doit s’affirmer pour survivre. La confrontation entre Sally et Kate est spectaculaire: haine, jalousie, avec en prime une époustouflante scène de crêpage de chignons. En plus de l’éphémère commandant yankee, Sally attire l’attention de deux hommes. Le fameux hors-la-loi Cole Younger (Jim Davis), un rustre, une brute, incapable de prendre en compte la volonté de l’autre et n’agissant que pour satisfaire ses propres désirs. Plus intéressant est Jesse James (Ben Cooper), adolescent gauche qui ne comprend pas encore ses sentiments. Quant à Quantrill c’est clairement un pervers qui se délecte des incartades de sa femme, Kate, de sa violence et des humiliations qu’elle subit.
Sally est jouée par une Joan Leslie, épatante, son jeu est d’une grande élégance et impeccable de justesse. Audrey Totter, à la taille de guêpe, s’est épanouie dans les films noirs. Là, où une simple attitude, un regard suffisent à caractériser une femme fatale, ici, Troter en rajoute un peu en surjouant les sentiments. Nina Varela, la maire, visage dur de celle à qui on ne la fait pas, est formidable. Curiosité, Brian Donlevy reprend ici son personnage de Quantrill, à l’identique de son interprétation dans l’excellent Kansas en feu.
La Femme qui faillit être lynchée est un des meilleurs films d’Allan Dwan tourné pour la Republic. Western tout à fait à part dans sa carrière et dans l’histoire du genre, peu de films mettront de cette manière les femmes au premier plan, il faudra attendre Nicholas Ray avec son Johnny Guitare (1954), une autre production de la Republic, pour trouver l’équivalent. Dwan livre une mise en scène d’une grande intelligence, tout dans le film échappe aux clichés. Il fait jouer les acteurs d’une manière si naturelle que l’action passe le plus naturellement du monde alors que le postulat de départ, une ville gérée entièrement par des femmes, n’était à la base pas si évident. Allan Dwan se permet une scène quasi unique dans l’histoire du western, un duel au pistolet entre deux femmes dans la rue principale de la ville !
La femme qui faillit être lynchée est un grand western jubilatoire.
Fernand Garcia
La Femme qui faillit être lynchée, une belle édition sous l’autorité de Sidonis – Calysta dans l’incontournable collection Western de légende. L’éditeur nous propose une triple présentation du film. « Un film que nous avons surévalué en le traitant de chef-d’œuvre absolu (.) mais qui reste jubilatoire » Bertrand Tavernier (35 minutes). Patrick Brion revient, comme à son habitude, sur les westerns de l’année 1953, et comme Tavernier, il n’est absolument pas d’accord avec Peter Bogdanovitch qui considère le film de Dwan comme une parodie. « Un film qui se voit avec un grand grand plaisir » (10 minutes). Enfin, Philippe Ferrari « dans l’histoire du western ce genre de personnages féminins n’étaient pas évidents » (10 minutes). La master HD du film est impeccable.
La Femme qui faillit être lynchée (Woman They Almost Lynched) un film d’Allan Dwan avec John Lund, Brian Donlevy, Audrey Totter, Joan Leslie, Ben Cooper, Nina Varela, Jim Davis, Reed Hadley, Ann Savage, Virginia Christine… Scénario : Steve Fisher d’après une histoire de Michael Fessier. Directeur de la photographie : Reggie Lanning. Décors : James Sullivan. Costumes : Adele Palmer. Montage : Fred Allen. Musique : Stanley Wilson. Producteur : Herbert J. Yates. Production : Republic Pictures. Etats-Unis.1953. 90 minutes. Noir et blanc. Format image : 1.33 :1. 16/9e Compatible 4/3. Son : VO avec ou sans sous-titres en Français et VF. Tous Publics.