Avec La Favorite le dernier film du cinéaste grec Yorgos Lanthimos, Olivia Colman a gagné en janvier 2019 le Golden Globe de la meilleure comédienne et est nominée aux Oscars 2019. Elle incarne Anne une reine anglaise du 18ème siècle en difficulté à cause de sa santé mentale et physique, avec Emma Stone (Abigail) et Rachel Weisz (Sarah) comme rivales en lice pour accéder à son pouvoir.
Le dramaturge et scénariste australien Tony McNamara a travaillé avec Lanthimos pour adapter le scénario original de Deborah Davis. Cependant, le scénario soulève un certain nombre de remarques : La véridique histoire de la reine Anne est différente du scénario. La reine épouse en effet, son cousin, un prince protestant Georges de Danemark, frère du roi. Même si le mariage fut arrangé, l’union fut heureuse et ils restèrent fidèles l’un envers l’autre. Or, dans le film, ce prince est absent et la reine a des relations sexuelles avec Sarah et plus tard avec sa cousine Abigail.
Les limites de la dévotion sont constamment mises à l’épreuve dans le film alors que Sarah exploite l’infirmité d’Anne pour manipuler à son avantage la sphère politique divisée et celle de son mari, Lord Marlborough (Mark Gatiss), commandant en chef de l’armée britannique. Elle a également l’oreille du puissant homme politique Sidney Godolphin (James Smith), nominalement conservateur, mais aligné sur les Whigs adverses, qui souhaitent continuer la guerre entre l’Angleterre et la France et proposent de doubler l’impôt sur les propriétaires terriens pour la financer. Quand la reine Anne prédit que les hausses d’impôts vont mettre son peuple en colère, Sarah répond froidement : « Ils seront en colère quand les Français sodomiseront leurs femmes et planteront de l’ail dans leurs champs.«
Ces impressions initiales de la monarque décrivent la reine comme une sorte de bouffon triste et crédule, errant dans une douleur absorbée par elle-même, jetant des crises de colère, pleurant comme un enfant malade ou aboyant avec des ordres quand elle se sent négligée. Dans une scène pathétique mais touchante, la reine Anne révèle avec une grande tristesse que ses lapins sont des substituts des enfants qu’elle a perdus lors de son accouchement. Historiquement exacte, la reine Anne avait fait au moins dix-sept fausses.
La reine Anne, selon les historiens, avait été souvent capable d’imposer sa volonté à une époque de domination masculine et malgré ses problèmes de santé. Elle présida durant une période de progrès littéraires, artistiques, économiques et politiques qui furent rendus possibles par la stabilité et la prospérité de son règne.
L’amitié entre Anne et Sarah a bel et bien existé mais, Marlborough le mari de Sarah fut démis de ses fonctions par les souverains qui le suspectaient de conspirer avec les jacobitess, partisans de Jacques II et pas non à cause des conspirations d’Abigail. Sarah conseillait régulièrement à la reine de nommer plus de whigs pour réduire le pouvoir des tories qu’elle considérait à peine mieux que les jacobites et la reine fut de plus en plus déçue par Sarah.
En juillet 1708, la duchesse de Marlborough se rendit à la cour avec un poème grivois écrit par un « propagandiste » Whig qui sous-entendait une relation lesbienne entre Anne et Abigail allégation sans aucune preuve tangible.
Dans La Favorite la domination de Sarah sur la reine et, par extension, son influence sur le gouvernement du pays, est mise au défi avec l’arrivée à la cour de sa cousine Abigail (Emma Stone), qui a besoin d’un emploi de servante. Abigail est une ancienne aristocrate tombée dans la misère après que son père a abandonné leur domaine et, bien qu’elle prenne la position de femme de chambre, elle utilise rapidement ses artifices pour gravir les échelons. Cela nécessite d’abord de gagner la confiance de Sarah, – processus négocié au cours de plusieurs scènes amusantes où elles s’entraînent ensemble au tir au pigeon -, puis de s’insinuer dans les bonnes grâces de la reine. A mesure que les relations de la reine avec Sarah se détérioraient, elle se tourna vers Harley pour obtenir des conseils privés ainsi que vers Abigail.
Sarah supporte les pires malheurs, semblant s’alimenter de la menace d’une chute précipitée en rivalisant avec sa cousine Abigail. Mais ce qui est le plus mémorable dans la performance de Rachel Weisz n’est pas de donner corps à sa volonté de survie mais, le sentiment complexe qui l’anime envers Anne et Sarah. Le fait que, dans ses tentatives de chantage, Sarah se blesse le plus, est poignant. Elle est assez intelligente pour voir à travers la fausse flatterie d’Abigail et déceler de double jeu de la femme de chambre quand elle lui confie que l’ambitieux chef conservateur Harley (Nicholas Hoult) l’a approchée pour être ses yeux et ses oreilles à la cour. Tandis que Sarah est petit à petit dépossédée de son influence, Abigail avance ses pions, épouse un noble.
Au début, Emme Stone (Abigail) maintient des scintillements d’innocence et de vulnérabilité sous le calcul de son personnage. Mais la cruauté d’Abigaïl devient évidente lorsqu’elle réalise que Sarah s’opposera à ce qu’elle retrouve sa place et son équilibre en tant que femme. Tout est bataille comme cette scène de séduction dans les bois dans laquelle Abigail montre à Masham (Joe Alwyn), qu’elle ne craint rien. C’est ainsi qu’Harley, outrageusement poudrée, rouillée et coiffée et le bien plus malléable Masham, qui tombe amoureux d’elle au premier regard, se révèle utile à son plan, à son retour dans l’échiquier social.
La Favorite offre un mélange éclectique de comédie noire et de grande qualité cinématographique et bon nombre des choix esthétiques du film contribuent à enrichir le ton du film. Les choix de musiques éclectiques de Lanthimos contribuent à façonner ce ton changeant – des pièces classiques de Haendel, Bach, Purcell et Vivaldi aux compositeurs modernistes, expérimentaux ou électroniques comme Olivier Messiaen, Luc Ferrari et Anna Meredith, en passant par l’utilisation intermittente de cordes obsédantes qui rompent la surface.
Visuellement, Yorgos Lanthimos travaille pour la première fois avec le chef opérateur irlandais Robbie Ryan. Tournant en 35 mm, il passe de l’encadrement formel à des perspectives décalées, à des mouvements souples alors que la caméra se déplace dans des vastes cuisines vers les escaliers en bois, vers des couloirs résonnants, vers des salons spacieux et des chambres privées somptueuses du lieu principal, Hatfield House, une propriété jacobéenne du Hertfordshire. L’utilisation de la lumière naturelle dès les premières scènes lorsque les bougies clignotent sur le visage des acteurs la nuit, rappelle la veine satirique du Barry Lyndon de Stanley Kubrick.
La chef décoratrice Fiona Crombie garnit les chambres de la reine de tapisseries de brocart et de dorures, isolant davantage le monde hermétique du monarque. La costumière Sandy Powell habille souvent Sarah en pantalon, redingote et chapeau tricorne, à la manière d’un pirate. Cette impression s’intensifie à la fin du film lorsqu’un accident la défigurant, lui fait se couvrir l’œil avec un mouchoir en dentelle noire. Il n’y a pas de créateur de costumes plus doué que Powell pour apporter des touches de modernité à la garde-robe d’époque.
A noter que la reine Anne a été représentée déjà à l’écran par Josephine Crowell dans le film L’homme qui rit (The Man Who Laughs) de Paul Leni en 1928.
Norma Marcos
La Favorite (The Favourite) un film de Yorgos Lanthimos avec Olivia Colman, Emma Stone, Rachel Weisz, Nicholas Hoult, Joe Alwyn, James Smith, Mark Gatiss, Jenny Rainsford, LllyRose Stevens… Scénario : Deborah Davis et Tony McNamara. Directeur de la photographie: Robbie Ryan. Chef décorateur : Fiona Crombie. Costumes : Sandy Powell. Monteur : Yorgos Mavropsaridis. Producteurs : Ceci Dempsey, Ed Guiney, Lee Magiday, Yorgos Lanthimos. Production : Element Pictures – Scarlet Films – Film4 – Waypoint Entertainment – Fox Searchlight Pictures. Distribution : 20th Century Fox (sortie France : le 6 février 2019). Grande-Bretagne – Etats-Unis. 2018. 119 minutes. Couleur. Format image : 1.85 :1. Pellicule Kodak 35 mm. Dolby Digital. Tous Publics. Lion d’Argent – Grand prix du Jury, Mostra de Venise, 2018.
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