Jeff Heston (Charles Bronson) est amoureux. Il passe de merveilleux moments avec Vanessa (Jill Ireland) en mer. De retour au port, ils sont pris en chasse par des tueurs. Bloqué sur une petite place, Heston est sérieusement blessé tandis que Vanessa s’enfuit…
La cité de la violence est l’un des meilleurs avec Bronson ou plutôt du couple Bronson – Ireland. Sur une trame de film noir, Sergio Sollima livre une belle et tragique histoire d’amour. En 1970, Sergio Sollima a derrière lui, deux chefs-d’œuvre du western italien, réalisé coup sur coup avec Tomas Milan, Colorado (La resta dei conti, 1967) et avec Lee Van Cleef et Le Dernier face à face/Il était une fois en Arizona (Faccia a faccia, 1967) et avec Gian Maria Volonté. Il en réalise un autre à la suite Saludos, hombre (Corri uomo corri, 1968) sur un mode plus mineur. Il est le troisième Sergio, après Leone et Corbucci, du genre. Arrigo Colombo et Giorgio Papi de la Joly films, producteur de Pour une poignée de dollars (Per un pugno di dollari, 1964), contact Sollima pour réaliser La cité de la violence. Sollima n’aime pas le traitement qu’il considérait comme une enfilade de cliché, mais il ne peut résister à la tentation de réaliser le film aux Etats-Unis. Il réécrit le scénario avec l’ex-assistante de Federico Fellini et réalisatrice Lina Wertmuller.
Jeff Heston renvoie à une double association : Jef Costello, le solitaire du Samouraï de Jean-Pierre Melville et à… Charlton Heston, peut-être le dernier acteur à incarner encore en cette fin des années 60 le héros classique du cinéma américain. Sergio Sollima pense d’abord à Jon Voight, découvert dans Macadam Cowboy (Midnight Cowboy, 1969), pour son tueur à gages, et à Sharon Tate pour Vanessa, avant de se rabattre sur Tony Musante et Florinda Bolkan. Charles Bronson tombe sur le script et fait part de son intérêt. Star dans le monde entier, les producteurs et Sergio Sollima n’hésite pas un instant. Bronson demande que sa compagne Jill Ireland incarne Vanessa.
Charles Bronson et Jill Ireland se sont rencontré sur le tournage de La Grande évasion (The Great Escape) en 1962. Jill est alors l’épouse de David McCallum. Ils divorcent en 1967 et Jill Ireland épousa Charles Bronson en 1968. Elle apparaît à ses côtés dans une scène de Pancho Villa (Villa Rides, 1968) de Buzz Kulik et dans Le Passager de la pluie (1970) de René Clément. La Cité de la violence est le film où éclate à l’écran leur amour. Sergio Sollima saisit quelques gestes d’une profonde tendresse entre eux. Jill Ireland ne sera jamais aussi sexy à l’écran que dans ce film. Même si Sollima ajoute quelques plans de nudité, un sein dénudé dans la séquence de « viol », Bronson et Ireland n’y participe pas. Nino Baragli, le monteur, les inserts d’une manière fort habile dans l’action. Sollima a la chance d’avoir un vrai couple fusionnel à l’écran. Jill Ireland n’est peut-être pas l’idéal en femme fatale, mais l’authenticité de sa relation avec Bronson imprègne le film. Cette sincérité des sentiments rend parfaitement crédibles les hésitations du tueur à gages. La Cité de la violence arrive au moment opportun, il scelle leur amour, dans une relation que seule la mort peut séparer.
La Cité de la violence est une date importante dans la carrière de Charles Bronson. Il y peaufine tout ce qui était en gestation dans ses autres films (en Europe), une animalité silencieuse, jusqu’à en faire une sorte de matrice pour ses films suivants. Jeff Heston est l’une de ses meilleures interprétations, celle en tout cas où il livre le plus de sentiments à nu. Jill Ireland y est pour beaucoup. Le film s’apparente à un rêve ponctué par des soubresauts cauchemardesques. Un Eyes Wide Shut pour Bronson à la recherche d’un amour qui toujours s’échappe pour mieux revenir.
Sergio Sollima opte pour une narration non linéaire, l’histoire morcelée se révèle petit à petit. Deux vies qui s’éloignent et se croisent, Jeff est irrémédiablement entraîner vers le gouffre dans une chute vertigineuse, l’autre, Vanessa s’élève vers le pouvoir. Le point de non-retour final est un magnifique moment, lyrique et romantique. La fusion de deux êtres. La mise en scène de Sollima s’inscrit dans les recherches artistiques des années 70. Il y a quelque chose d’Antonioni, de Blow-Up (1966), dans la longue séquence de préparation et d’attente de Jeff lors de la course automobile.
Evidemment, le film est dans les pas du Point de non-retour (Point Blank, 1967) de John Boorman. Les mêmes éléments, un tueur obsessionnel avec son désir de vengeance dans une ville, un pays, gangrené par la violence et dirigé l’organisation. Le style de la mise en scène extériorise les sentiments extrêmes de Jeff ou contradictoires de Vanessa. La cité de Sollima n’a pas vraiment de nom, la richesse côtoie la misère la plus sordide. Le cynisme est généralisé, l’argent est le but ultime, le pouvoir le Graal de la domination sans limite.
Sollima délivre un sous-texte politique d’une grande noirceur. La violence est au coin de la rue pour ceux qui veulent la voir. L’avocat (Umberto Orsini) de Vanessa, s’en moque totalement. Vanessa ne la voit que quand elle est avec Jeff. Al Weber, le parrain (Telly Savalas) l’utilise, mais n’attache aucune importance à la douleur qu’elle engendre. Les actionnaires de l’organisation s’en accommodent sans le moindre état d’âme. Jef est dans la violence en permanence, elle est sa raison d’être. Toutes ses formes cohabitent dans les différentes strates de la société.
La Cité de la violence, admiré par Quentin Tarantino et Nicolas Winding Refn, est une grande réussite.
Fernand Garcia
La Cité de la violence, édition combo et la première fois en Blu-ray sous la bannière de Sidonis-Calysta dans sa collection Charles Bronson. En complément : Fragments d’une mort annoncée, analyse filmique en une longue promenade dans le film par Jean-Baptiste Thoret (31 minutes). Une présentation par François Guerif sur différents aspects du film, dont l’insistance sur le regard (13 minutes). Tourner La Cité de la violence, interview de Sergio Sollima, le film, l’Amérique, les Bronson, Savalas (14 minutes). Reportage promotionnel sur le tournage du film avec une présentation par Sergio Sollima (2 minutes env. / Noir et blanc). Et enfin plusieurs bandes-annonces du film (7 minutes). Sidonis-Calysta ajoute à cet ensemble déjà riche, un excellent livret : La Cité de la violence ou le néo-polar selon Sergio Sollima par Olivier Père (32 pages).
La Cité de la violence (Città violenta / Violent City), un film de Sergio Sollima avec Charles Bronson, Jill Ireland, Telly Savalas, Michel Constantin, Umberto Orsini, Ray Saunders… Scénario : Sauro Scavoloni, Gianfranco Galligarich, Lina Wertmuller et Sergio Sollima. Histoire : Dino Maiuri et Massimo De Rita. Directeur de la photographie : Aldo Tonti. Décors : Francesco Bronzi. Costumes de Jill Ireland : Giulio Coltellacci. Cascades : Rémy Julienne. Montage : Nino Baragli. Musique : Ennio Morricone. Producteurs : Arrigo Colombo et Giorgio Papi. Production : Jolly Film – Unidis – Fono Roma – Universal Productions (France). Italie – France. 1970. 108 minutes. Technicolor. Techniscope. Format 2,35 :1. Son : Version anglaise (avec doublage italien pour les scènes coupés) avec ou sans sous-titres français et Version française. Tous Publics.