« Pendant toute une journée d’automne, journée fuligineuse, sombre et muette, où les nuages pesaient lourd et bas dans le ciel, j’avais traversé seul et à cheval une étendue de pays singulièrement lugubre, et enfin, comme les ombres du soir approchaient, je me trouvai en vue de la mélancolique Maison Usher. Je ne sais comment cela se fit, – mais, au premier coup d’œil que je jetai sur le bâtiment, un sentiment d’insupportable tristesse pénétra mon âme » Edgar Allan Poe, traduction Charles Baudelaire.
La Chute de la maison Usher, est publié pour la première fois dans The Americain Museum of Literature and the Arts à Baltimore en avril 1839. Nouvelle publié en France dans les Nouvelles histoires extraordinaires, dans une traduction de Charles Baudelaire absolument splendide. La nouvelle de Poe représente dans l’œuvre de Roger Corman un tournant majeur. Roger Corman et Richard Matheson développent intelligemment la nouvelle de Poe et réussissent à lui être particulièrement fidèles dans cette très bonne interprétation de La Chute de la Maison Usher. La nouvelle est courte et la matière littéraire « insuffisante » pour un film. Corman et Matheson quelques modifications et développent une intrigue afin d’obtenir la matière nécessaire à un long-métrage. Ainsi, le narrateur de la nouvelle devint Philip Winthrop, un personnage à part entier. Il n’est plus l’ami d’enfance de Roderick Usher, mais le fiancé de sa sœur, Madeline. Il vient dans le domaine des Usher dans le but de repartir avec Madeline afin de l’épouser.
Corman et Matheson poussent l’analyse Freudienne du contenu de la nouvelle et reportent cette grille de lecture sur le film. Les liens entre les Roderick sont poussés dans les derniers retranchements d’une relation maladive. L’inceste scelle la relation entre Roderick et Madeline. Roderick par son amour exclusif et maladif condamne sa sœur à être enterrée vivante. Si elle ne peut être à lui, elle ne sera à personne. L’amour fou de Roderick le condamne à une folie qui petit à petit va le ronger jusqu’à perdre totalement la raison. Madeline, revenue d’entre les morts, piège Roderick. Tout se fissure, sentiments exacerbés et maison. Philip assiste impuissant à l’effondrement définitif de la Maison Usher.
Les personnages du drame de la maison Usher sont extrêmement bien définis, chacun a ses motivations. Richard Matheson visualise les vers de Béranger placés en exergue de la nouvelle : « Son cœur est un luth suspendu ; sitôt qu’on le touche, il résonne ». Roderick Usher joue du luth, traduction immédiate de la grande sensibilité du maître de la maison.
Vincent Price est un Roderick Usher impeccable. Il a ce ton théâtral qui sied parfaitement au personnage. Grand oiseau aux ailes brisées, Price/Usher erre sur dans son immense demeure, terrorisant ses proches, mais aussi désarmant dans sa naïveté. Il s’agit de la première collaboration de l’acteur avec le jeune cinéaste. Vincent Price sera de toutes les adaptations de Poe, à l’exception d’une, L’Enterré vivant (The Premature Burial, 1962).
Premier film en CinémaScope et Eastmancolor de Roger Corman, La chute de la maison Usher, est en ce début des années 60, son budget le plus important. Roger Corman gagne avec ce film, après Mitraillette Kelly, en ambition. « Ce sont des films (le cycle des Poe) abondamment dialogués et pour donner un mouvement, je faisais bouger mes acteurs tout le temps, la caméra aussi. J’essayais de retrouver avec ma caméra la motivation de chaque mouvement, de chaque geste, de chaque déplacement. » Confesse Roger Corman à Bertrand Tavernier, Bernard Eisenschitz et Chris Wicking en mars 1964 (in Positif n°59). Corman s’applique à donner du sens à ses images. Depuis plusieurs années Floyd Crosby, vétéran d’Hollywood, oscar pour Tabou de Murnau en 1930, est son directeur de la photographie. Crosby est un banni depuis son inscription sur la liste noire. Il est l’une des pièces maîtresses du film avec Daniel Haller le directeur artistique. Haller conçoit un univers classique et singulier avec ses couloirs, ses grandes pièces et ses passages secrets. Le film est quasi-intégralement tourné en studio. Habilement, Corman, utilise quelques extérieurs et surtout un magnifique matte painting de la maison, qu’il réutilisera dans d’autres productions.
Roger Corman désarçonne ses producteurs, Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson, en refusant leur demande d’introduire un monstre dans l’histoire. Il réussit à les convaincre que le monstre, c’est la maison. Corman pose l’une des premières briques des demeures diaboliques qui vont faire le « bonheur » du cinéma de terreur que ce soit, au fil des ans, avec La maison du diable (The Haunting, 1963), La maison des damnés (The Legend of Hell House, 1973), Amityville, la maison du diable (The Amityville Horror, 1979) ou The Shining (1980). Réalisateur et producteur de films de petits films destinés le plus souvent aux drive-in (ce qui n’empêche nullement la qualité de ceux-ci), Corman impose aux dirigeants de l’American International Pictures, Edgar Allan Poe. Pour Nicholson et Arkoff, il s’agit d’un auteur tombé dans l’oubli aux Etats-Unis, à l’exception d’une poignée d’intellectuels et d’étudiants en lettres.
Pourtant, ils vont allouer un gros budget au film et accepter que Corman tourne en scope et en couleur. Le succès immédiat de La Chute de la maison Usher entraîne des commandes des cinémas pour d’autres films estampillés Poe. Le film attire l’attention sur Roger Corman, qui malgré son jeune âge, il a 34 ans, a déjà au moins 25 films à son actif ! La Chute de la maison Usher est un tournant dans sa carrière. Le premier pas pour une reconnaissance artistique qui verra la réévaluation de ses précédents films. Déjà à l’œuvre sur d’autres films, Corman accepte aussitôt de revenir à l’univers de Poe et Richard Matheson s’attaque à l’adaptation du deuxième volet du cycle La chambre des tortures (The Pit and the Pendulum, 1961)).
La chute de la maison Usher, résiste superbement à l’épreuve du temps et s’affirme comme l’une des grandes réussites du cinéma gothique américain.
Fernand Garcia
La Chute de la maison Usher une édition Sidonis-Calysta dans le superbe coffret de l’intégrale Corman-Poe (Blu-ray et DVD). Pour La Chute… l’éditeur propose une excellente intervention de Christophe Gans. Cinéaste, critique et fin connaisseur du cinéma fantastique, il évoque longuement la genèse du film, Corman, ses producteurs, Vincent Price dans « un de ses rôles les plus saisissants de toute la série (.) il y a quelque chose chez Price de l’ordre du surnaturel », la mise en scène. Une belle entrée dans l’univers du cycle (46 minutes). Une interview de Vincent Price à Malibu, juillet 1986 par Claude Ventura et Philippe Garnier pour la mythique série Cinéma Cinémas. Un très beau moment (11 minutes) et enfin, la bande-annonce d’époque.
La chute de la maison Usher (The Fall of the House of Usher / House of Usher), un film de Roger Corman avec Vincent Price, Mark Damon, Myrna Fahey, Harry Ellerbe… Scénario : Richard Matheson d’après la nouvelle d’Edgar Allan Poe. Directeur de la photographie : Floyd Crosby. Décors : Daniel Haller. Costumes : Marjorie Corso. FX : Pat Dinga. FX optique : Lawrence W. Butler et Ray Mercer. FX matte painting : Albert Whitlock (non-crédité). Montage : Anthony Carras. Producteurs exécutifs : James H. Nicholson et Samuel Z. Arkoff. Producteur : Roger Corman. Production : Alta Vista Productions – American International Pictures. Etats-Unis. 1960. 79 minutes. Eastmancolor. Format image : 2.35 :1. CinemaScope. Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française. DTS-HD Mono 2.0.