Cruel constat que va faire Lucas (Mads Mikkelsen), 40 ans, ancien professeur devenu puériculteur, qui va voir sa vie basculer du jour au lendemain suite à une remarque, un mensonge lourd de conséquence, qui se répand comme un virus invisible dans ce petit village du Danemark. Se propagent alors dans la communauté, stupeur et méfiance avant de très vite plonger dans l’hystérie collective. Livré à la vindicte populaire, la vie de Lucas plonge dans le chaos et le désarroi.
La parole de l’enfant. Le mensonge est-il envisageable ?
Deux ans après son sublime Submarino (2010), Thomas Vinterberg revient avec, une fois encore, un film qui divise et provoque le débat. Le sujet sulfureux de La Chasse dérange.
Depuis Festen (1998), Vinterberg nous livre des drames intimistes au travers desquels il distille le malaise avec une intelligence rare. Pas assagi, il traque toujours les faiblesses humaines. Mais si le traitement reste ici le même (Rythme lent, mais sans longueur, plans fixes,…), la forme a changée. Le sujet difficile est brillamment traité. C’est un véritable exercice de style. Mais même si il a abandonné les préceptes du Dogme pour nous proposer un scope parfait digne des meilleurs western, T.V. aborde ici de manière frontale un des thèmes de Festen, la pédophilie. Festen déconstruisait la mécanique du silence face à l’inceste. A l’inverse, La Chasse suit l’évolution d’une rumeur qui se répand comme une épidémie. Dans le premier, la parole libère, sauve. Ici, la parole enferme, tue. Mais ne nous trompons pas, le sujet est bien le portrait d’une communauté prête à brûler ou à pendre haut et court l’un des siens. Le parti-pris inverse d’un film comme Polisse est totalement assumé. C’est le lent poison que sont les rumeurs et les on-dit que l’on observe. Dès le début du film, on sait Lucas innocent. Thomas Vinterberg évacue ainsi tout suspens malsain.
Comment mettre fin à la calomnie quand il s’agit d’aller à l’encontre de la parole d’un enfant, symbole même de l’innocence… Ce drame psychologique noir et glacial aux allures de thriller et de western nous invite à réfléchir et à nous interroger sur notre propre conscience. Il est subversif car il remet en cause des principes moraux établis et inattaquables. Le spectateur vit littéralement de l’intérieur la descente aux enfers de cet homme, victime de la désagrégation d’une communauté et de la violence qui en sort.
Que vaut la vérité face à la rumeur ? La bonne conscience cache forcément des démons, et pas des moindres. Ce portrait à charge de la société danoise que dresse Vinterberg crée le malaise. Ce brûlot à l’atmosphère anxiogène dénonce un côté particulièrement obscur de la nature humaine qui peut être désastreux, dévastateur.
Mads Mikkelsen (Pusher, Casino Royale, Le Guerrier silencieux) est époustouflant et bouleversant dans le rôle de Lucas. Sa présence extraordinaire lui a valu le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes 2012.
Avec La Chasse, Thomas Vinterberg ausculte le fait divers et propose une étude de mœurs sans concession tout en évitant intelligemment de tomber dans le pathos. Il effectue un traitement clinique sur le lynchage social. Un uppercut en pleine face.
Steve Le Nedelec
La Chasse, un film de Thomas Vinterberg, avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Annika Wedderkoppe, Susse Wold, Anne Louise Hassing, Alexandra Rapaport. Scénario : Tobias Lindholm, Thomas Vinterberg. Photo : Charlotte Bruus Christensen. Musique : Nicolaj Egelund. Producteurs : Sisse Graum Jorgensen, Morten Kaufmann, Thomas Vinterberg. Production : Film i Vast – Zentropa Entertainments. Format image : 2,35 :1. Couleur. Dolby Digital. Danemark. 2012. 115 mn. Distribution salles : Pretty Pictures. DVD-Blu-ray : StudioCanal