Marv en peignoir, sorte d’ersatz de DSK, nous explique image à l’appui « comment prendre un bain ». Un blondinet se prépare un bain mousseux, tandis que Marv regrette le temps où les bains publics étaient ouverts aux deux sexes… alors que le cobaye se frotte soigneusement en cercle de plus en plus large. Dans les profondeurs de l’océan, l’équipage d’un sous-marin est voué à un trépas imminent…
Nous sommes piégés, comme l’équipe, non au fond de l’océan mais dans la magnificence du cinématographe. Les personnages surgissent du fin fond de l’image du néant tandis que notre regard est aspiré par le trou noir de l’écran. Guy Maddin s’enfonce dans une histoire du cinéma, dans celle des films perdus, de ceux restés à l’état de mots sur une page jaunie par le temps. Avec lui, nous nous perdons dans l’immensité de ces créations orphelines, d’images et de spectateurs. Projet fou et démentiel que cette Chambre interdite.
Les histoires incomplètes s’imbriquent les unes aux autres, fragile ruban de Möbius, chaotique et troué, qui trouve son unité dans une construction visuelle et amoureuse d’un Guy Maddin investi dans une quête sans fin. Après qu’ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : Amassez les morceaux qui restent, afin que rien ne soit perdu (Jean 6,12) – telle est la mission de Maddin. Morceaux de métrages perdus reconstitués pour notre plus grand bonheur. Nous retrouvons la force du cinéma des origines, l’odeur enivrante des boîtes de pellicule. Toute la saveur du cinéma refait surface. Le mélodrame, l’érotisme, le fantastique, l’obscure, les forces indomptables de la nature, c’est un cinéma total qui nous submerge et nous nous perdons dans ce maelstrom.
La Chambre interdite est une diabolique réussite. Chaque morceau fourmille d’idées, d’inventions et invitations aux rêves. On avance et on se love dans la mélodie nostalgique que susurre le film. Où sommes-nous ? Dans le songe d’un cinéma inquiétant, babylonien, sexy en diable, pulsionnel, pervers, peuplé de loups rouges, surnaturel. Dans ce ballet, le corps des acteurs se fond organiquement dans la matière cinématographique. Maddin plonge toujours plus profond dans le magma brûlant de l’image et dans la chair. Il exalte les désirs primaires, violents et excessifs. Son cinéma est un bloc de poésie barbare qui se réinvente à chaque plan, à chaque surimpression. Une filiation: Stroheim, Steinberg, Murnau, Eisenstein, Vigo…
Laissez-vous entraîner dans La Chambre interdite et n’hésitez pas à la nuit venue à y replonger afin que le rêve ne se termine jamais…
Fernand Garcia
La chambre interdite est édité en DVD-Blu-ray par ED distribution dans un digipack superbe. Le film est accompagné d’un travail éditorial remarquable, un livret de 20 pages sur le projet avec une iconographie de grande qualité. Un DVD pour le film et un autre entièrement dédié aux compléments. En point d’orgue de cette deuxième galette le passionnant documentaire d’Yves Montmayeur The 1000 Eyes of Dr. Maddin (68 mn). Montmayeur suit Guy Maddin durant le tournage de La Chambre interdite et revient sur son œuvre où se mélange, sa vie, ses rêves et son obsession : le cinéma. Le film d’Yves Montmayeur a reçu le Prix du meilleur documentaire sur le cinéma à la Mostra de Venise 2015. A cela s’ajoute des courts métrages expérimentaux de toute beauté réalisés dans le cadre de Séances : Once a chicken (6 mn), Ectoloop 1 (8 mn), The Living Poster (2 mn), le teaser du site internet Séances et les bandes annonces des films de Guy Maddin, La Chambre Interdite, Winnipeg mon amour et d’autres films édité par ED Distribution : Moonwalk One et Upstream Color.
La Chambre interdite (The Forbidden Room) un film de Guy Maddin co-réalisé par Evan Johnson avec Mathieu Amalric, Maria de Medeiros, Clara Furey, Roy Dupuis, Amira Casar, Udo kier, Jacques Nolot, Géraldine Chaplin, André Wilms, Louis Negin, Adèle Haenel, Slimane Dazi, Ariane Labed, Charlotte Rampling. Scénario : Guy Maddin, Evan Johnson, Robert Kotyk. Directeur de la photo : Stephanie Weber-Biron. Directeur de la photo (Paris) : Ben Kasulke. Couleur et effets : Evan Johnson, Galen Johnson. Décors : Galen Johnson. Costumes : Yso South, Elodie Mard, Julie Charland. Montage : John Gurdebeke. Producteurs : Phyllis Laing, Guy Maddin, David Christensen, Phoebe Greenberg, Penny Mancuso. Production : Phi Films – Buffalo Gal Pictures – National Film Board of Canada en association avec PHI Centre – Centre Georges Pompidou – KIDAM et la participation de Telefilm Canada – Manitoba Film & Music – SODEC. Canada – France. 2015. Couleurs. 1h59. Format image : 1.78 16/9e compatible 4/3. Son : 5.1. Stéréo. Distribution Salles et édition DVD-Blu-ray : ED Distribution. Sélection L’Étrange Festival 2015.