Une jeune femme est poursuivie dans les bois, tandis qu’un homme interpelle un homme d’affaires à la sortie d’un palais de justice. Elle est au Japon, lui – en Indonésie. D’elle, nous ne saurons rien; homme à ses trousses, la rattrape et l’enferme dans une pièce, attache à une chaise. Notre homme en Indonésie est journaliste, l’homme d’affaires et son avocat ne le tiennent pas en estime, et leurs gardes du corps le frappent. La jeune femme est torturée à mort par un élégant et svelte jeune homme. Une installation de caméras vidéos autour de la scène de torture, qui enregistrent la souffrance extrême de la jeune femme, elle meurt. Le montage de la séquence fait, son tortionnaire se rend dans un cybercafé et télécharge la vidéo. A Jakarta, le journaliste visionne le film sur son ordinateur portable. La scène l’horrifie et fascine tout à la fois. Pris en charge dans un taxi, le journaliste est victime d’une agression violente. En se débattant, il tue ses deux agresseurs. L’agression est filmée sur son téléphone portable. A son tour, il met les images de l’agonie d’un des agresseurs sur le Net. Le serial killer japonais prend alors contact avec lui…
Killers bénéficie d’un habile scénario et d’une mise en scène efficace. En montage parallèle pendant la majorité du film, Killers suit le parcours de deux hommes, aux motivations totalement différentes. Le japonais est un véritable psychopathe, trouvant une sorte de plaisir sadique dans la souffrance d’autrui, de préférences des femmes. L’indonésien est un journaliste d’investigation, profondément dégoûté par la corruption des élites. La fascination pour la violence va conduire le journaliste à une tentative de reproduction des actes du japonais. Mais si pour le japonais la violence entre dans le cadre d’une satisfaction psychologique, tout indique d’ailleurs qu’il est impuissant, pour l’indonésien par contre, c’est de justice sociale qu’il s’agit. Dans un pays corrompu, l’impunité, dont bénéficient les puissants, ne peut être stoppée que par l’élimination physique au regard du journaliste. Si le japonais poursuit ses actes coupables en solitaire, choisissant ses victimes isolées, l’indonésien, lui s’attaque à une véritable organisation structurée, dont les membres ne sont pas des proies solitaires. Pourtant ils s’enfoncent chacun à sa manière dans une spirale infernale de violence sans rapport aucun l’un avec l’autre.
Thriller prenant de bout en bout, la mise en scène des Mo Brothers (Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto) tire le meilleur de ses acteurs principaux, le japonais Kazuki Kitamura et l’indonésien Oka Antara, impeccables ! Et la mise en parallèle de ces deux mondes, de ces deux civilisations et cultures différentes, avec beaucoup de justesse et d’élégance. Les réactions et le comportement d’un indonésien et d’un japonais n’ont que peu de points communs. Le travail sur les décors est à cet égard remarquable, le moindre détail, renvoie à l’un ou l’autre des pays. Il serait incomplet de ne pas souligner l’excellent travail photo, où la gamme des couleurs et l’utilisation des lumières naturelles (lampes, néons, etc.) différencie avec subtilité les deux capitales, Jakarta et Tokyo. Quelques rares effets comiques et un accéléré mal venu écornent un peu les grandes qualités du film. La dernière partie de Killers est la plus faible. Point de junction entre les deux personnages, et surtout des deux réalités aussi distantes l’une de l’autre, s’avère être un piège. Là, où ces deux réalités devraient aboutir à une troisième réalité, les Mo Brothers s’emmêlent les pinceaux et s’en retournent vers le film de genre le plus basique. Dommage. Mais l’ensemble témoigne d’une vraie maîtrise de la part des Mo Brothers. Le plan final, nous met dans la position des jeunes enfants face à cette violence qui n’est qu’une impasse et perversion de la nature humaine quelque soit le pays.
Fernand Garcia
Killers, un film des Mo Brothers avec Kazuki Kitamura, Oka Antara, Rin Takanashi, Luna Maya, Ray Sahetapy, Mei Kurokawa. Scénario : Mo Brothers. Directeur de la photo : Gunnar Nimpuno. Musique : Aria Prayogi. Producteurs : Yoshinori Chiba, Shinjiro Nishimura, Mo Brothers, Takuji Ushiyama. Production : Nikkatsu – Guerilla – Merah Films – XYZ Films. Indonésie – Japon. Couleurs, 2.35 :1. Dolby Digital. 2014. 237 mn. Sélection Sundance 2014, Sélection en Compétition internationale à la XXe édition de l’Etrange Festival, 2014.