Présentation et programme
Festival de la Cinémathèque : Sans la connaissance de notre passé, notre futur n’a aucun avenir. C’est pourquoi le passé est un présent pour demain.
Le Festival de la Cinémathèque (ex Toute la mémoire du monde), le Festival international du film restauré fête ses 11 ans avec une riche sélection de restaurations prestigieuses accompagnées d’un impressionnant programme de rencontres, de ciné-concerts et de conférences.
La Section Judit Elek, propose six restaurations récentes de films en hommage à une des grandes réalisatrices du cinéma hongrois, un temps pionnière du cinéma direct. En sa présence.
« Je voulais filmer mes idées en me servant d’un réel non déterminé par moi, mais par lui seul. » Judit Elek.
Cinéaste hongroise, Judit Elek est née en 1937 à Budapest. Elle appartient à la génération des réalisateurs qui, diplômée de l’Ecole supérieur d’art dramatique et cinématographique de Budapest, a commencé à se manifester au début des années 60. Pionnière du « cinéma direct », issu du documentaire, en faisant entrer de manière aussi originale que singulière, l’intimité du quotidien dans le cinéma hongrois, le parcours de Judit Elek en Hongrie ne ressemble à aucun autre.
Entre documentaire et fiction, ancrée dans la voie du cinéma du réel, son œuvre est marquée par l’exigence de son engagement total. Inséparable de la vie qu’il peut aider à faire comprendre, le cinéma est à ses yeux un médium altruiste. Dès son premier film, Rencontre (Találkozás, 1963), Judit Elek travaille la question de la représentation de la vérité et développe dans un style singulier certaines de ses thématiques majeures comme la solitude des êtres, la complexité des relations humaines, la transmission générationnelle et la détresse qu’elles engendrent, mais aussi le désir de les dépasser en communiquant avec l’autre. Film après film, Judit Elek n’aura de cesse d’exposer et d’analyser ses thèmes toujours inscrits dans une temporalité marquée par la durée vécue de ses personnages.
En 1969, Judit Elek réalise La Dame de Constantinople (Sziget a szárazföldön), son premier long métrage de fiction, portrait d’une vieille dame seule obligée de se séparer de son appartement devenu trop coûteux. Les années 70 sont celles de sa grande œuvre documentaire marquée par un intense projet de terrain qui va se traduire par le diptyque Un village hongrois (Istenmezején 1972-73-ban, 1971) / Une simple histoire (Egyszerű történet, 1975), chronique de la vie de deux adolescentes sur une durée de cinq ans.
Après la réalisation d’Une simple histoire (Egyszerű történet) en 1975, Judit Elek décide d’abandonner l’expérience de « cinéma direct » parce qu’elle estime en avoir épuisé les potentialités mais surtout par scrupule, car l’intrusion de la caméra et du cinéma dans la vie de ceux qu’elle filme peut les mettre en danger. A travers les « personnages » qu’elle filme, à la fois profonds et denses, les films de Judit Elek témoignent avec honnêteté de la solitude des individus comme de la complexité de leurs relations et, dans le même temps, se révèlent être le miroir de la société hongroise contemporaine, de son histoire, de ses traumas et contradictions. Artiste, au sens le plus noble du terme, cinéaste sans concession, l’œuvre sociale et humaniste de Judit Elek est aussi bien marquée par la passion que par l’exigence de l’authenticité.
La Dame de Constantinople (Sziget a szárazföldön, 1969) de Judit Elek – 77 mn – Avec Manyi Kiss, Éva Almási, László Bathó…
Devenu trop coûteux, une dame d’un certain âge, seule, est contrainte d’abandonner son appartement rempli de souvenirs. Ses rencontres incongrues avec les inconnus intéressés par l’offre vont ébranler son quotidien et sa vie solitaire.
« Dans La Dame de Constantinople, c’est la première fois que je crée et construis un personnage, d’abord sur le papier, puis avec l’aide d’un acteur. (…) Le problème ici devient : comment garder la force et la spontanéité de la réalité à travers une construction donnée, quasi dramaturgique ? » Judit Elek.
Dans un mélange de style direct et de fantaisie, Judit Elek peint le portrait d’une solitude, ainsi qu’un formidable tableau de la capitale hongroise. Sélectionné à Cannes, ce premier long métrage de fiction annonce la tendresse et l’amertume de l’œuvre à venir de la cinéaste.
Restauration numérique 4K par le département Film Archive et Film Lab du NFI en Hongrie en 2021 à partir du négatif et d’une copie positive 35 mm d’origine. Étalonnage numérique supervisé par le chef opérateur Elemér Ragályi. La projection de La Dame de Constantinople sera suivie d’un « Dialogue avec Judit Elek ».
Le Procès Martinovics (Vizsgálat Martinovics Ignác szászvári apát és társai ügyében, 1980) de Judit Elek – 131 mn – Avec János Ács, Tamás Fodor, Gábor Deme…
Pendant la Révolution française, le procès de l’abbé Martinovics (intellectuel, espion révolutionnaire et chef des Jacobins de Hongrie), condamné à mort pour haute trahison en 1796. Le drame judiciaire fait écho aux procès staliniens des années 50, et la censure hongroise l’interdit pendant huit ans. Une œuvre forte et rare, qui retrace la lutte chimérique pour une société utopique et traverse les époques.
Numérisation 2K par le département Film Archive du National Film Institute hongrois. Séance présentée par Judit Elek.
La Fête de Maria (Mária-nap, 1984) de Judit Elek – 120 mn – Avec Sándor Szabó, Edit Handel, Éva Igó…
Septembre 1866. La famille Szendrey célèbre la fête de la jeune mariée, Maria. Or, la sœur de Maria, Julia, fut l’épouse du poète et patriote Sándor Petőfi, mort dix-sept ans plus tôt sur le champ de bataille de Segesvár. Une fête chez les Szendrey n’est donc pas une fête ordinaire…
La Fête de Maria est basé sur le journal de Júlia Szendrey, veuve du poète national Sándor Petőfi, le récit d’une réunion familiale un jour d’été 1866. Placé sous le signe de la mort et dans le même temps habité par une irrépressible pulsion de vie, avec une lumière automnale qui rappelle les tableaux de Manet et une tonalité mélancolique qui rappelle Tchekhov ou Bergman, Judit Elek recueille les tensions et le poids du passé d’une famille aristocrate décadente, écrasée par les aigreurs et la maladie. Si les deux héroïnes du film sont sublimes, c’est bien à la mort que les condamne la maladie. Une passionnante réflexion sur l’identité hongroise, acclamée au Festival de Cannes.
Restauration numérique 4K en 2022 par le département Film Archive et Film Lab du NFI (Hongrie), à partir du négatif 16 mm d’origine et d’une bande-son magnétique. Étalonnage numérique supervisé par le chef opérateur Emil Novák. Séance présentée par Judit Elek.
Mémoires d’un fleuve (Tutajosok, 1989) de Judit Elek – 140 mn – Avec Sándor Gáspár, András Stohl…
A la fin du XIXe siècle, en Hongrie, Eszter Solymosi, une jeune servante chrétienne disparaît à Tiszaeszlár. Des rumeurs de meurtre rituel juif sont propagées dans un contexte d’antisémitisme croissant. Un berger juif, David Herskó, et ses compagnons sont accusés à tort du meurtre commis par la servante et torturés jusqu’à ce qu’ils finissent par avouer cet acte qu’ils n’ont pas commis…
Mémoires d’un fleuve est un des premiers films hongrois à mettre en lumière, de manière explicite, l’antisémitisme. S’inspirant de l’affaire de Tiszaeszlár, procès truqué qui déchira la Hongrie en 1882, la cinéaste ausculte la montée de la violence et revient sur un épisode fondamental de l’histoire de l’antisémitisme, sept ans avant son documentaire Dire l’indicible avec Elie Wiesel. Comme souvent dans le cinéma de l’Est de l’Europe, Mémoires d’un fleuve est une allégorie historique qui met clairement en parallèle ces événements et les procès staliniens des années 40 et 50. Judit Elek a dû patienter vingt ans avant de pouvoir mettre en scène cet épisode pénible de l’histoire hongroise. « C’était impossible à l’époque de parler ouvertement d’antisémitisme… pourtant il faut savoir qui on est, ce que l’on peut devenir, et cela reste impossible sans découvrir les racines du passé. » Judit Elek.
Restauration numérique 4K en 2022 par le département Film Archive et Film Lab du NFI en Hongrie, à partir du négatif 35 mm d’origine et d’une bande son magnétique. Étalonnage numérique supervisé par le chef opérateur Gábor Halász. Séance présentée par Judit Elek.
L’Eveil (Ebredés, 1994) de Judit Elek – 111 mn – Avec Fruzsina Eszes, Judit Hernádi, András Kern…
Budapest, 1952. À la mort de sa mère, la jeune Kati se retrouve seule dans un appartement communautaire. Inapaisable et livrée à elle-même, elle se lie avec un vieil érudit, quelques garçons, organise une fête et partage son quotidien avec le fantôme de sa mère. Puis, elle rencontre un apprenti libraire.
Judit Elek filme ici le passage à l’âge adulte, dans les tons bruns et bleutés d’un réalisme auréolé de magie, et réalise avec L’Eveil, un film à la fois doux et touchant. Restauration numérique 4K en 2022 par le département Film Archive et Film Lab du NFI en Hongrie, à partir du négatif et d’une copie positive 35 mm d’origine. Étalonnage numérique supervisé par le chef opérateur Gábor Balog. Séance présentée par Judit Elek.
Retrace (Visszatérés, 2019) de Judit Elek – 86 mn – Avec Kathleen Gati, András Demeter, Philip Zandén…
Le retour en Roumanie d’une survivante de la Shoah durant les années sombres de l’ère Ceausescu. Heureux et effroyables, les souvenirs resurgissent, déroulant le fil de récits imbriqués, parfois issus du propre passé de la cinéaste. L’enfance, la famille, l’amour, la culpabilité et l’exil sont autant de thèmes qui témoignent de la complexité des relations humaines, individuelles et sociales.
Numérisation 2K par le département Film Archive du National Film Institute hongrois. Séance présentée par Judit Elek.
Moment privilégié de réflexion, d’échange et de partage qui met l’accent sur les grandes questions techniques et éthiques qui préoccupent cinémathèques, archives et laboratoires techniques mais aussi, bien évidemment (on l’espère encore !), éditeurs, distributeurs, exploitants et cinéphiles, le Festival de la Cinémathèque, né dans le contexte de basculement du cinéma dans l’ère du numérique, propose une fois de plus, cette année encore, une programmation exceptionnelle en donnant à voir aux spectateurs les chefs d’œuvre comme les œuvres moins connues (curiosités, raretés et autres incunables) du patrimoine du cinéma. Avec toujours un élargissement « Hors les murs » dans différentes salles partenaires de la manifestation à Paris et banlieue parisienne, puis, dans la continuité du festival francilien, en partenariat avec l’ADRC (Agence nationale pour le développement du cinéma en régions), plusieurs films qui tourneront après le festival dans des cinémas en régions, pour sa onzième édition, le Festival International du film restauré, renommé cette année « Festival de la Cinémathèque », s’affirme comme étant l’immanquable rendez-vous dédié à la célébration et à la découverte du patrimoine cinématographique mondial.
Créé par La Cinémathèque française en partenariat avec le Fonds Culturel Franco-Américain et Kodak, et avec le soutien de ses partenaires institutionnels et les ayants droit essentiels aux questions de patrimoine, ce festival est incontournable pour les cinéphiles passionnés, les amoureux du patrimoine cinématographique, les archivistes, les historiens, les chercheurs et autres curieux. Riche et foisonnante, la programmation du festival nous propose un panorama très éclectique des plus belles restaurations réalisées à travers le monde et salue ainsi non seulement le travail quotidien des équipes des différentes institutions, mais nous fait également prendre toute la mesure de la richesse incommensurable de cet Art qui n’a de cesse de témoigner tout en se réinventant tout le temps.
Cinq jours durant, dans 9 cinémas (La Cinémathèque française, La Filmothèque du Quartier Latin, Le Christine Cinéma Club, L’Ecole Cinéma Club, La Fondation Jérôme Seydoux – Pathé, L’Archipel, L’Alcazar, Le Vincennes et Le Reflet Médicis) le Festival de la Cinémathèque propose cette année encore, près d’une centaine de séances de films rares et/ou restaurés présentés par de nombreux invités et répartis en différentes sections pour célébrer le cinéma de patrimoine et fêter en beauté son onzième anniversaire.
Afin de ne rien manquer de cet évènement, rendez-vous à La Cinémathèque française et dans les salles partenaires du festival du 13 au 17 mars.
Steve Le Nedelec