Andrea Bild, journaliste, séparé de sa femme Hélène, noie son spleen dans l’alcool. Le passage du jour de l’an est l’occasion de faire le deuil d’une année et se forcer à voir l’idée d’un renouveau. Pourtant, il n’en sera rien. L’intrigue de Journée noire pour un Bélier s’étend sur les six mois. Cet espace-temps va mettre en lumière tous les non-dits et les zones troubles des différents protagonistes qui composent le petit monde d’Andrea. Ce temps va être chaotique, fait de rupture et d’accélération. Temps fort avec ses meurtres, long, douloureux, sadique, à l’arme blanche. Autour d’Andrea et de son ex-femme les morts s’amoncellent.

Se dessine par touches, comme sous l’effet d’un révélateur, un espace mental, qui définit à tour de rôle les différents protagonistes. Plongées vertigineuses écrasent les individus dans leurs contradictions, personnalités doubles – image dédoublée dans les miroirs -, ombres chinoises, silhouettes en contre-jour, l’image est la dimension psychologique d’un univers du refoulement.

Journée noire pour un Bélier est un giallo à petit budget d’un cinéaste totalement méconnu Luigi Bazzoni. Son scénario, écrit à la suite du succès du film de Dario Argento, L’oiseau au plumage de cristal, est une commande. On retrouve les éléments classiques du genre, le tueur pervers, les gants de cuir, le sadisme, le voyeurisme, l’érotisation des meurtres, l’homosexualité. Dans cet immuable cahier des charges, Bazzoni  fait œuvre d’auteur. Il y projette ses obsessions et son « mal-être », la difficulté de vivre pleinement, à la lumière du jour, son homosexualité. Ce sous-texte parcourt le film et qui se loge au cœur de certaines séquences, que nous ne dévoilerons pas, rend ce métrage particulièrement attachant.

Journée noire pour un Bélier tire sa force de la puissance visuelle d’évocation psychanalytique de l’image. A ce titre, le travail de Vittorio Storaro est en tout point admirable. Ce grand directeur de la photographie, l’homme des Bertolucci ou d’Apocalypse Now, par le cadre – démultiplication des cadres dans l’image -, les lumières, – rasantes, détourant les personnages -, et les couleurs – superbes nuits bleutées -, et l’utilisation remarquable de focales courtes, de fisheye, définit parfaitement les enjeux cachés et les personnages et du film.

Le montage est aussi particulièrement élaboré d’Eugenio Alabiso (Et pour quelques dollars de plus, Le Bon, la Brute et le Truand…) fragmente certaines séquences en une myriade d’actions parallèles, accélère ou ralentit le récit, raccords impeccables, utilisant autant la lumière, que des mouvements d’objets dans le cadre (le jet d’une boulette de papier enchainé avec un ballon de football)  et qui, in fine plonge le spectateur dans une angoisse diffuse et intrigante. Il faut reconnaître que la musique d’Ennio Morricone y contribue pour sa part grandement, tout autant en contrepoint qu’en accompagnement subtil.

La distribution réunie par Bazzoni est de première qualité. Franco Nero à la beauté froide de l’observateur, le regard bleu perçant de celui qui entrevoie à travers le brouillard les plus sombres secrets de l’âme humaine.

Des seconds rôles tout à fait convaincants. Des rôles féminins d’une grande densité :  Silvia Monti  (ex-femme d’Andrea, minée par une sourde culpabilité), Ira de Fürstenberg (manipulatrice), Agostina Belli (juvénile et dévoyée), Pamela Tiffin (jouisseuse et amorale), Rossella Falk (handicapée acariâtre et délaissée). Des personnages masculins ambigües, manipulateurs, débauchés et malsains : Wolfgang Preiss, Edmund Purdom, Renato Romano, Maurizio Bonuglia.

Le Chat qui fume a eu l’excellente idée d’accompagner cette édition d’un document, produit par Freak-O-Rama, D’ombres et de lumières, où Vittorio Storaro (photo ci-dessous) et Franco Nero s’expriment longuement sur Luigi Bazzoni. Ils lèvent le voile sur une personnalité attachante, auteur d’une poignée de films.

Storaro évoque sa profonde amitié pour Bazzoni. Son refus de faire Profession Reporter d’Antonioni pour suivre Bazzoni sur Journée noire pour un Bélier. Les projets avortés de Bazzoni dont une adaptation de L’Exorciste à laquelle aucun producteur de la péninsule ne croit. Franco Nero rappelle que Storaro en pleine gloire, délaisse Hollywood, pour une série documentaire sur Rome que dirige Bazzoni. Belle amitié et fidélité de Storaro envers Bazzoni; il est son directeur de la photographie sur tous ses films. D’ombres et de lumières est un document précieux et émouvant sur un auteur discret.

Fernand Garcia

Journée noire pour un Bélier, un DVD, dans un magnifique digipack 3 volets, édité par Le Chat qui fume. En Complément de programme, D’ombres et de lumière réalisé par Federico Caddeo (28 mn), et le film annonce ainsi que ceux de la collection (L’affaire de la fille au pyjama jaune, Le venin de la peur et L’Antichrist).

Journée noire pour un Bélier (Giornata nera per l’Ariete), un film de Luigi Bazzoni avec Franco Nero, Silvia Monti, Wolfgang Preiss, Ira Fürstenberg, Edmund Purdom, Rossella Falk, Pamela Tiffin, Renato Romano, Guido Alberti, Luciano Bartoli, Agostina Belli, Maurizio Bonuglia. Scénario Mario Di Nardo, Mario Fenelli & Luigi Bazzoni d’après « The Fifth Cord » de D.M. Devine. Directeur de la photographie : Vittorio Storaro. Décors : Gastone Carsetti. Musique : Ennio Morricone. Montage : Eugenio Alabiso. Producteur : Manolo Bolognini. Production : B.R.C. produzione film s.r.l. – Dario s.r.l. – Jumbo Cinematografica. Italie. 1972. Couleur (Eastmancolor). Mono. Format image : 1.81 :1. 16/9e. 89 mn. VOSTF.