Johnny Guitar (Sterling Hayden) chevauche depuis longtemps sur les chemins de montagne. Des explosions retentissent des flancs de la montagne s’effondrent, des ouvriers se précipitent dans un nuage de roches et de poussière. Il s’agit d’un chantier pour le futur chemin de fer. Plus loin, Johnny Guitar assiste, en contrebas dans la vallée, à une attaque d’une diligence par quatre hommes. Il n’y prête qu’un œil discret. Il arrive à destination, au Vienna’s, alors qu’une forte tempête de sable s’est levée. Johnny Guitar à rendez-vous avec la patronne du saloon, Vienna (Joan Crawford)…
Johnny Guitar, western hors norme, mélodrame, un opéra démentiel. Nicholas Ray préparait un film pour Joan Crawford : Lisbonne, mais la Paramount refuse d’investir dans le projet. Ray et Crawford se tournent vers Herbert J. Yates, patron de la Republic Pictures, petit studio de série B. Un nouveau projet est mis sur les rails, Crawford qui procède les droits d’un roman Johnny Guitar, propose de le porter à l’écran. L’auteur, Roy Chanslor avait dédié celui-ci à Joan Crawford et depuis avait écrit plusieurs versions scénarisées de son roman. Selon Ray, le roman « était tout à fait nul ». Nicholas Ray reprend le scénario, selon ses déclarations, avec Philip Yordan. Pourtant, la paternité scénaristique de Johnny Guitar reste floue. Ben Maddow, – inscrit sur la liste noire -, en revendique une partie avant de se dédire.
Le tournage vire rapidement au cauchemar avec une personnalité telle que Joan Crawford. Nicholas Ray avait eu une idylle avec Joan Crawford quelques années auparavant. Peut-être espérait-il faire avec Johnny Guitar une sorte d’hommage à l’actrice et entériner ainsi un amour défunt. Le film aura au-delà de ses espérances, mélange de sentiments exacerbés et réflexion sur la sauvagerie de l’époque (le maccarthysme en ligne de mire).
La force incandescente du film vient de la mise en scène de Nicholas Ray alimentée par de la tension et le fiel que distille Joan Crawford sur le plateau. Crawford mécontente du travail de Roy Chanslor, le renvoie au motif qu’il aurait trop développé le personnage de Mercedes McCambridge au détriment du sien. Le ressentiment entre les deux actrices atteint un tel degré qu’il en devient palpable dans les scènes qu’elles partagent. Nicholas Ray maintient cette tension. Le tournage devient au cauchemar.
La mise en scène de Nicholas Ray est un exemple d’intelligence visuelle et psychologique. Vienna est filmé dominant tous les hommes dans le saloon. Elle ne descend parmi eux que pour marquer une ligne de partage entre les « représentants » de la loi mené par Emma et les hommes de Dancing Kid. L’ordre et la loi, dans le pays, sont des instruments aux mains des éleveurs et de la banque. Emma dirige la banque, appuyée par le plus riche éleveur et propriétaire de la région, elle est au-dessus des lois. Le Shérif n’est qu’un guignol à leur service, et le reste de la population ne peut que suivre. La haine d’Emma découle d’une frustration sexuelle. Elle déteste ce que représente Vienna, en premier lieu sa liberté sexuelle. Emma, un parangon de vertu puritaine, se déchaîne entrainant toute la communauté dans son délire. Elle refuse jusqu’à l’idée du moindre changement. Les autres doivent se soumettre à sa volonté. Aucun doute n’est permis, Nicholas Ray montre un visage hideux de l’Amérique, celui de la chasse aux sorcières, ce piège dans lequel lui et d’autres sont tombés. Une blessure béante qui jamais ne se refermera et que Ray traînera de film en film.
Johnny Guitar déroute, Ray s’affranchit des schémas classiques du western. Les personnages féminins, de Vienna (Joan Crawford) et d’Emma (Mercedes McCambridge) sont uniques dans le genre. Vienna est habillée en homme, dans des teintes noires, libre de ses mouvements, Emma en robe aux couleurs tristes, engoncée. Les costumes et les couleurs ont une importance primordiale. A mesure que la tragédie se met en place, tous s’inversent. Vienna va vers la blancheur, Emma vers le noir. Les bons sont les méchants et les marginaux, les bons, mais tout n’est pas si simple. La bande de Dancing Kid ne sont pas des petits saints. Et le groupe qui les pourchasse, pas que des salauds, sorte de majorité silencieuse, pourtant, il laisse faire, incapable de se rebeller, jusqu’au lynchage.
Vienna, ancienne femme de bordel, est désormais la patronne. Johnny Guitar, un as de la gâchette, est un marginal. Ils sont comme des doubles de Crawford et Ray. De cet amour dont les braises sont encore prêtes à s’enflammer, né un des plus beaux poèmes d’amour. Emporté, par un romantisme désarmant, certaines séquences entre Johnny Guitar et Emma sont sidérantes d’une sincérité inédite dans le genre. Le dialogue est absolument magnifique.
Vienna : Il y a cinq ans, j’ai aimé un homme. Il n’était ni bon ni méchant, mais… je l’aimais. Je voulais l’épouser, travailler avec lui, construire quelque chose pour l’avenir.
Johnny : Ils auraient pu être heureux !
Vienna : Mais ils ne le furent pas. Ils ont rompu. Ils ne pouvaient s’imaginer emprisonnés dans une maison.
Johnny : Il semble que cette fille se soit montrée très maligne en se séparant de lui.
Vienna : Elle a fait beaucoup mieux encore. Elle a appris à ne plus aimer personne.
Johnny : Cinq ans, c’est long… il a dû y avoir pas mal d’hommes depuis ?
Vienna : Suffisamment !
Johnny : Que penses-tu qu’il arriverait si cet homme revenait ?
Vienne : Quand un feu s’éteint, tout ce qui reste, ce sont des cendres…
A la beauté baroque de Johnny Guitar, n’oublions pas la magistrale musique de Victor Young. Opéra des sentiments, le film de Nicholas Ray scintille encore sous les cendres du temps. Un chef-d’œuvre.
Fernand Garcia
Johnny Guitar une magnifique édition Silver de Sidonis – Calysta en combo (Blu-ray, DVD + livre) dans la collection ; Western de légende. Une édition truffée de complément sur le DVD : Une présentation par Martin Scorsese : « Johnny Guitar est construit comme un opéra. Du début à la fin, le film est paroxystique et exalté… » (3 minutes). Bertrand Tavernier s’interroge sur la paternité du scénario, les propos contradictoires de Ben Maddow, scénariste inscrit sur la liste noire, « Beaucoup de participant au film sont sur la liste noire », Philip Yordan ayant été souvent un prête-nom. L’auteur du roman, Roy Chanslor, selon Bertrand Tavernier semble avoir écrit le scénario, restructuré par la suite (certainement par Ray et Yordan). Joan Crawford fait vivre un cauchemar à l’équipe et en particulier à Nicholas Ray et Mercedes McCambridge « Ce tournage a été une expérience traumatique pour ceux qui ont participé au film » (document d’ARTE dans le cadre des Rencontres d’Oliver Père, 36 minutes). Le Clip Peggy Lee : Johnny Guitar (noir et blanc, 4 minutes). Bande-annonce musicale (3 minutes env.) et la bande-annonce originale (3 minutes env.). Sur le Blu-ray : La présentation de Martin Scorsese. Une présentation par Jean-François Giré (20 minutes), une autre par Patrick Brion (22 minutes). Cette édition s’accompagne d’un livre de Patrick Brion, sur tous les aspects de Johnny Guitar, richement illustré de photo des acteurs, du film et de reproduction d’affiches (80 pages).
Johnny Guitare (Johnny Guitar) un film de Nicholas Ray avec Joan Crawford, Sterling Hayden, Mercedes McCambridge, Scott Brady, Ward Bond, Ben Cooper, Ernest Borgnine, John Carradine, Royal Dano, Frank Ferguson, Paul Fix, Rhys Williams, Ian MacDonald… Scénario : Philip Yordan d’après le roman de Roy Chanslor. Directeur de la photographie : Harry Stradling. Décors : James Sullivan. Costumes : Sheila O’Brien. Montage : Richard L. Van Enger. Musique : Victor Young. Chanson interprétée par Peggy Lee. Producteur : Herbert J. Yates. Production : Republic Pictures. 1954. 110 minutes. TruColor. Format image : 1,37 :1. 16/9e. HD. Son : Version originale avec ou sans sous-titres en français et Version française. DTS-HD Mono 2.0. Tous Publics.