Né le 5 août 1906 à Nevada dans le Missouri et mort le 28 août 1987, John Huston est le fils unique du comédien Walter Huston et de la journaliste Rhea Gore. John Huston est un cinéaste américain qui se situe entre la génération de réalisateurs comme John Ford, Howard Hawks, Raoul Walsh, William Wyler ou encore William A. Wellman, et celle qui arrivera après lui et qui sera représentée par des metteurs en scènes comme Robert Aldrich ou Nicholas Ray.
Après avoir beaucoup voyagé et exercé différents métiers comme boxeur professionnel ou encore cavalier dans la cavalerie mexicaine, publié des nouvelles et une pièce en 1930, John Huston débute sa carrière hollywoodienne en 1931 comme dialoguiste du film Orages (A House Divided) de William Wyler pour qui il a joué dans quelques films entre 1928 et 1930. Huston devient ensuite scénariste et auteur de scripts d’abord chez Universal puis pour la Warner à la fin des années 1930. La Warner qui, depuis les années 1930, produisait des films au rythme frénétique d’un ou deux par semaine est à son apogée au début des années 1940. John Huston participe notamment à l’écriture de Orages (A House Divided, 1931), L’Insoumise (Jezebel, 1938) ou encore Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights, 1939) tous les trois réalisés par William Wyler ; de Double assassinat dans la Rue Morgue (Murders in the Rue Morgue, 1932), film fantastique réalisé par Robert Florey d’après l’œuvre d’Edgar Allan Poe ; du western Law and Order (1932), film sombre, violent et atmosphérique d’après le roman Saint Johnson de William Riley Burnett, réalisé par Edward L.Cahn et avec Walter Huston en tête d’affiche ; de Le Mystérieux Dr Clitterhouse (The Amazing Dr Clitterhouse, 1938), réalisé par Anatole Litvak d’après la pièce de Barre Lyndon ; de La Balle magique du Docteur Ehrlich (Dr. Ehrlich’s Magic Bullet, 1940) réalisé par William Dieterle ; de Sergent York (Sergeant York, 1941) réalisé par Howard Hawks, et signe surtout, à nouveau d’après W.R. Burnett mais aussi avec sa collaboration, le scénario de La Grande Évasion (High Sierra, 1941) réalisé par Raoul Walsh qui révèle Humphrey Bogart au public.
Satisfait et impressionné par son travail chevronné, le prestigieux studio annule le réalisateur Jean Negulesco (Le Masque de Dimitrios, 1944 ; Comment épouser un Millionnaire, 1953…) et lui donne sa chance en lui confiant la réalisation d’un premier film en 1941, Le Faucon Maltais. Servi par une distribution sublime, on retrouve aux côtés de Bogart, Mary Astor, parfaite en séductrice vénéneuse et menteuse pathologique, Elisha Cook, inoubliable et le duo Peter Lorre-Sydney Greenstreet qui campe un couple crapuleux explosif.
De sa fidèle adaptation du roman de Dashiell Hammett publié en 1930 et reconnu comme un classique de la littérature policière américaine, qui est la troisième que produit la Warner, naîtra non seulement une œuvre majeure et fondatrice, un chef-d’œuvre qui fera d’Humphrey Bogart une star et de son réalisateur, l’un des plus grands d’Hollywood, mais aussi tout un courant. Un courant dur et violent qui ressemble aux années qu’il traverse, les années qui ont suivi la grande crise de 1929. Un courant à la morale salutaire qui transpose la violence quotidienne et donne au genre sa noblesse. Un courant qui va s’inscrire comme étant la tradition romantique du film noir. Le film de Huston se distingue principalement des deux autres versions déjà existantes, par le relief et la savoureuse ambiguïté qu’il a su apporter aux personnages avec humour et modernité, mais aussi par sa mise en scène épurée, le soin particulier apporté à la photographie et l’introduction de ce qui va devenir sa thématique de prédilection, la quête absurde. Succédant aux gentlemen détectives des années vingt et trente, avec Le Faucon Maltais (et Bogart) apparaît le personnage du privé. Le policier non officiel, en marge de la loi. Feutre mou, imperméable, complet-veston, revolver, whisky, cigarette. Le mythe du privé dur à cuir et cinglant qu’incarne Bogart pour toujours. Avec Le Faucon Maltais, Huston va insuffler un nouveau souffle à la carrière du comédien. Véritable coup de maître pour un premier film, Le Faucon Maltais ne se contente pas de marquer la renaissance d’un grand acteur et la naissance d’un immense cinéaste, Le Faucon Maltais pose les codes du film noir. John Huston tourne ensuite deux longs métrages dont un à nouveau avec Bogart, Griffes Jaunes (Across the Pacific) en 1942.
Enrôlé pendant la guerre et mobilisé, sous la direction de Frank Capra, dans l’équipe des cinéastes militaires de l’U.S. Army, Huston réalise trois magnifiques et déchirants documentaires remarqués (Report From the Aleutians, 1943 ; The Battle of San Pietro, 1945 et Let There Be Light, 1946, ce dernier, document important sur le traitement psychiatrique des blessés de guerre longtemps interdit en raison de la dureté de ses images) dans lesquels, il insiste de manière humble sur les tragédies humaines que provoquent les guerres sans hésiter à filmer les civils et les blessés, et à travers lesquels on peut également comprendre pourquoi, d’un point de vu esthétique et moral, le cinéaste n’a jamais abordé le genre du film de guerre dans sa carrière. Durant cette période, ce dernier s’initie aux techniques de l’hypnose et se familiarise ainsi avec l’œuvre de Freud.
À son retour, il enchaîne deux nouveaux films avec Humphrey Bogart qui sortiront tous les deux en 1948, Le Trésor de la Sierra Madre, dans lequel il dirige également son père, et Key Largo, autre grand classique du polar.
Au cœur d’un monde maudit, perdu, écroulé, Le Trésor de la Sierra Madre est une œuvre sombre et désespérée qui explore la limite fragile qui sépare le bien du mal. Abordant entre autres les thèmes l’échec, de la paranoïa, de l’obsession ou de la peur irrationnelle avec intelligence et efficacité, le film délivre avec simplicité une histoire sur la noirceur de la nature humaine au puissant sens moral. La vie est une énorme farce face à laquelle la plus grande des sagesses est de rire de tout, à commencer de soi-même. Film incontournable sur l’avidité, Le Trésor de la Sierra Madre est tout simplement l’un des meilleurs films à suspens jamais réalisés et les interprétations époustouflantes des comédiens figurent parmi les plus remarquables du cinéma américain.
À sa sortie, Le Trésor de la Sierra Madre reçoit à la fois un excellent accueil critique et commercial. Il séduit dans le même temps les adeptes du genre et le grand public. Seront principalement mis en avant, sa densité psychologique, son esthétique réaliste, son intérêt ethnologique et la qualité de sa mise en scène à la fois élégante et très travaillée qui conjugue habilement l’aventure et les grands espaces avec le drame psychologique et l’intime. À la cérémonie des Oscars de 1949, Walter Huston remporte celui du Meilleur acteur dans un second rôle et John Huston ceux du Meilleur scénario comme adaptation et du Meilleur réalisateur.
Western moderne reprenant, avec l’histoire d’un groupe d’hommes qui se disputent la possession d’un trésor qui échappera à tous, le canevas du Faucon Maltais, toujours plus intéressé par ses personnages, leurs relations et leurs conditions que par l’action elle-même, appuyé par une thématique de l’échec et de la fatalité symbolisée ici avec le vent qui disperse la poudre d’or durement conquise par les aventuriers, avec Le Trésor de la Sierra Madre, John Huston parvient au statut d’auteur.
Après Le Trésor de la Sierra Madre, Huston co-écrit avec Richard Brooks et réalise Key Largo à nouveau avec son acteur fétiche, Humphrey Bogart. Le film est adapté d’une pièce de Maxwell Anderson. Avec son histoire de gangsters bloqués chez l’habitant, Key Largo reprend une thématique classique du théâtre américain. Aux côtés de Bogart, on retrouve au casting du film l’acteur Edward G. Robinson et Lauren Bacall avec qui il partage ici l’affiche pour la quatrième et dernière fois. Ils ont en effet déjà partagé l’affiche du Port de l’Angoisse (To Have and Have Not, 1945), film avec lequel l’actrice, alors âgée de 19 ans, commence sa carrière et sur lequel ils se sont rencontrés avant de se marier ensemble l’année suivante, et du Grand sommeil (1946) réalisés par Howard Hawks, mais aussi du film Les Passagers de la Nuit (Dark Passage, 1947) de Delmer Daves.
Le cinéaste, passionné de littérature, a beaucoup servi les genres du cinéma hollywoodien, en particulier le film noir américain dont il a lui-même créé le courant à travers une forme âpre et une technique de mise en scène bien spécifique. Sa filmographie, hétéroclite, comprend de nombreuses et ambitieuses adaptations littéraires et théâtrales auxquelles, soucieux et avide d’autonomie, il apportera toujours sa marque personnelle.
Quand la ville dort (The Asphalt Jungle, 1950), autre jalon incontournable dans l’histoire du film noir et du film de gangsters lié à l’insécurité urbaine dans lequel Huston ajoute à l’atmosphère crépusculaire, de la poésie, du lyrisme et la fatalité des tragédies grecques. Réalisé en pleine période de chasse aux sorcières à Hollywood, la noirceur du film vient traduire l’ambiance de délation, de trahison et de règlements de comptes qui sévissait dans le milieu du cinéma à l’époque du maccarthysme. Co-écrit avec Ben Maddow, Quand la ville dort est une nouvelle fois l’adaptation d’un roman éponyme de W.R. Burnett qui estime que le film est la meilleure adaptation effectuée d’une de ses œuvres. Travaillant pour la première fois avec la M.G.M. (Metro-Goldwyn-Mayer), Huston a bénéficié de la meilleure équipe technique de l’époque et n’a pas hésité à choisir lui-même et à imposer au studio, les comédiens avec qui il souhaitait travailler sur ce film. Pour incarner les anti-héros de cette histoire de cambriolage qui échoue lamentablement, on retrouve au casting du film les comédiens Sterling Hayden qui campe ici un inoubliable truand, Louis Calhern et une débutante nommée Marilyn Monroe. Une débutante que retrouvera le cinéaste dix années plus tard pour Les Désaxés (The Misfits, 1959), le dernier film achevé de la comédienne.
La Charge victorieuse (The Red Badge of Courage, 1951), d’après le roman classique de Stephen Crane avec Audie Murphy et Bill Mauldin, traite de la guerre de Sécession vue par un jeune engagé. Dénaturé au montage par la M.G.M., Huston reniera son film. The African Queen (1951) d’après le roman de C. S. Forester avec Katharine Hepburn et Humphrey Bogart, est un des films les plus célèbres de John Huston. À l’exception des scènes dans lesquelles Bogart et Hepburn sont dans l’eau et qui ont été tournées en studio en Angleterre, The African Queen a été tourné dans le milieu naturel (marécages, rapides,…) où se déroule l’intrigue. À mi-chemin entre la comédie romantique, le film de guerre et le film d’aventures, The African Queen vaut plus pour ses comédiens qui occupent seuls l’écran la majeure partie du film et leurs interprétations que pour son histoire elle-même. Comme nous le montre le roman de Peter Viertel, White Hunter, Black Heart (Chasseur Blanc, Cœur Noir) paru en 1953 et inspiré par l’écriture du scénario et la préparation du tournage d’African Queen, le film vaut plus pour tout ce qui l’entoure que pour lui-même. En effet, ayant dû affronter les pires difficultés (crocodiles, fourmis rouges cannibales, moustiques, sangsues, pluies diluviennes, malaria, dysenterie,…), le tournage d’African Queen à été une aventure digne de celle du film. Après l’échec de La Charge victorieuse, John Huston retrouve Bogart et le succès public et critique avec The African Queen. Bogart obtiendra l’oscar du Meilleur acteur, le seul de sa carrière, pour son interprétation dans le film qui marque sa cinquième collaboration avec le cinéaste.
Moulin Rouge (1952), somptueuse biographie d’après le roman de Pierre La Mure avec José Ferrer, Zsa Zsa Gabor, Claude Nollier et Suzanne Flon, est un film pour lequel l’inspiration picturale de Huston va parfaitement retranscrire l’univers de Toulouse-Lautrec à l’écran. Moby Dick (1956) d’après l’œuvre de Herman Melville avec Gregory Peck, Richard Basehart et Orson Welles. Après le faucon et l’éléphant, la baleine est une pièce de taille à ajouter au bestiaire mythique du cinéaste. Toujours à la recherche d’aventures également techniques, pour Moby Dick, Huston et son chef opérateur Morris vont travailler et façonner une incroyable image à la fois sépia, ocre, bleue et grise afin de lui donner une texture onirique originale. Co-écrit avec l’écrivain de science-fiction Ray Bradbury, qui lui aussi, à l’instar de Peter Viertel, écrira un roman inspiré de sa collaboration avec Huston (La Baleine de Dublin), le Moby Dick de John Huston est probablement la meilleure des adaptations du célèbre roman de Melville.
Dieu Seul le Sait (Heaven Knows, Mr Allison, 1957) d’après l’œuvre de Charles Shaw avec Deborah Kerr et Robert Mitchum est un film qui, avec sa vision plus large et sa narration plus souple, annonce un changement de ton dans la carrière de Huston. Un duel drôle et tendre entre un marine et une nonne sur une île du Pacifique. Un face à face remarquable entre deux comédiens exceptionnels. Signé John Lee Mahin, le scénario particulièrement inventif du film qui mêle habilement aventure, désir sexuel et humour sera parfaitement exploité et réapproprié par le cinéaste.
Les Racines du Ciel (The Roots of Heaven, 1958) d’après l’œuvre de Romain Gary qui obtint pour son roman le Prix Goncourt 1956, avec Errol Flynn, Juliette Gréco, Trevor Howard et Orson Welles et dont la morale nous dit d’apprendre à ne plus tuer les éléphants pour peut-être apprendre à ne plus nous entretuer, tire son titre d’un proverbe arabe : « Les Racines du Ciel sont profondément enfouies dans l’âme humaine ; mais du Ciel lui-même, l’Homme ne connaît rien d’autre que ses racines.». Un sujet paradoxal pour John Huston qui est un chasseur notoire. Tourné au Tchad, à l’image du tournage d’African Queen, devant à nouveau faire face à la chaleur, à la maladie mais aussi aux problèmes d’Errol Flynn avec l’alcool, celui des Racines du Ciel fût tout aussi compliqué et éprouvant.
Le Vent de la Plaine (The Unforgiven, 1960) d’après le roman de Alan Le May avec Audrey Hepburn, Burt Lancaster et Lillian Gish. Tourné à Durango au Mexique, Le Vent de la Plaine est un western, le premier de John Huston et le seul de la carrière d’Audrey Hepburn, auquel le réalisateur apportera un puissant souffle opératique. Comme La Charge victorieuse dix ans plus tôt, Le Vent de la Plaine subira plusieurs coupes et sera dénaturé lors de son montage final.
Le Dernier de la liste (The List of Adrian Messenger, 1963) d’après l’œuvre de Philip MacDonald avec George C. Scott, Dana Wynter, Clive Brook, John Merivale, Herbert Marshall, Kirk Douglas, Tony Curtis, Burt Lancaster, Frank Sinatra, Robert Mitchum,… Film dans lequel toutes les stars sont grimées et dont le but consiste à deviner qui est qui. La Nuit de l’iguane (The Night of the Iguana, 1964) d’après la pièce de Tennessee Williams avec Richard Burton, Ava Gardner, Deborah Kerr et Sue Lyon. Le portrait de personnages à la recherche de leur dignité et de leur équilibre avec leurs défauts et leurs échecs. Grandeur et dérision de la condition humaine. Comme pour Les Désaxés, La Nuit de l’iguane est un film dont l’idée du sujet est proche du caractère du cinéaste.
Reflets dans un Œil d’Or (Reflections in a Golden Eye, 1967) d’après l’œuvre éponyme de Carson McCullers publiée en 1941, avec Elizabeth Taylor et Marlon Brando qui trouve ici son meilleur rôle depuis dix ans. Film aux accents de conte gothique sur la folie et les déviances dans lequel l’atmosphère est principalement suscitée par le traitement dans un bain aux pigments jaunes et le tirage sépia de la pellicule. Mais, le public dérouté et le studio de production déçu par son côté trop austère, le film ressortit dans une version classique. Avec ses personnages qui se détruisent sans pouvoir l’expliquer ni même comprendre pourquoi, qui parlent pour ne rien dire et qui meurent sans avoir véritablement parlé, Reflets dans un Œil d’Or démontre le talent du cinéaste pour mettre en scène le « caché », l’inexprimé, l’inexprimable, l’inconscient. Soulignons également que Reflets dans un Œil d’Or est un des rares films de l’époque à traiter de l’homosexualité.
Le Piège (The Mackintosh Man, 1973) d’après l’œuvre de Desmond Bagley avec Paul Newman, Dominique Sanda et James Mason. Film d’espionnage écrit par Walter Hill avec pour cadre le contexte de la guerre froide. L’Homme qui voulut être Roi (The Man Who Would Be King, 1975) d’après l’œuvre de Rudyard Kipling avec Sean Connery, Michael Caine et Christopher Plummer, est un film d’aventure que souhaitait réaliser Huston depuis près de 25 ans. Il pensa à l’époque le tourner avec Humphrey Bogart et Clark Gable. Il pensa ensuite à Kirk Douglas et Burt Lancaster, puis à Peter O’Toole et Richard Burton et proposa les rôles en dernier lieu à Robert Redford et Paul Newman qui l’incita, pour une question de véracité, à choisir deux comédiens britanniques. Sean Connery et Michael Caine prouvent avec leurs interprétations mémorables qu’ils étaient le meilleur choix. Emprunt de la liberté de ton et de style caractéristique des dernières œuvres de Huston, tourné au Maroc et appuyé par les magnifiques décors conçu par Alexandre Trauner, L’Homme qui voulut être Roi restitue merveilleusement le panache, l’ambiguïté et la nostalgie de l’œuvre de Kipling.
Le Malin (Wise Blood, 1979) d’après l’œuvre de Flannery O’Connor avec Ned Beatty, Harry Dean Stanton et Brad Dourif, offre un incroyable témoignage sur la profusion et les dangers des sectes et des faux prophètes aux États-Unis. Adaptation audacieuse à la distribution inspirée, Le Malin est une satire sans concession des déviations religieuses. Au-dessous du Volcan (Under the Volcano, 1984) d’après l’œuvre de Malcolm Lowry avec Albert Finney et Jacqueline Bisset. Le film retrace, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’histoire et la fin tragique de Geoffrey Firmin, consul britannique à Cuernavaca au Mexique, qui sombre dans l’alcoolisme. Loin des clichés et de la vision hollywoodienne, avec un ton personnel, le réalisateur nous donne ici sa vision du Mexique comme étant une terre tragique et désolée, hantée par son passé, hantée par la mort.
Ou encore Gens de Dublin (The Dead, 1987) d’après la nouvelle de James Joyce avec Anjelica Huston et Donal McCann, avec lequel, pour sa dernière réalisation, le cinéaste, alors âgé de plus de quatre-vingts ans, nous fait le cadeau d’une bouleversante et admirable réflexion sur la mort et la vie en mettant principalement l’accent sur les sentiments et les émotions. Gens de Dublin est une œuvre intimiste éblouissante et intemporelle dans laquelle il nous semble connaître intimement les personnages dont on partage les espoirs, les joies, mais aussi les peurs et les angoisses.
Autant d’œuvres prestigieuses et exigeantes qui, toujours magnifiquement adaptées de manière singulière, font de son auteur le principal intermédiaire entre la littérature et l’industrie hollywoodienne. Plus que de réaliser de « simples » adaptations littéraires, Huston cherche à créer des œuvres équivalentes à celles qu’il transpose. Huston a toujours recherché à donner du sens à ses films, recherché à donner du sens à son geste créatif. À sa (ses) manière(s) et toujours avec le plaisir manifeste de conter, Huston a recherché à donner du sens au cinéma.
Devenu, au sens propre comme au sens figuré, grand aventurier du cinéma non seulement avec ses tournages exotiques et techniquement audacieux se déroulant tantôt en Irlande, tantôt au Mexique, au Congo, au Tchad, au Japon, aux Caraïbes, aux États-Unis, en France ou encore en Angleterre, mais également par les trois pays dans lesquels il vécut (États-Unis, Mexique et Irlande), nous devons à John Huston d’autres œuvres majeures et d’autres œuvres aussi diverses et variées, plus ou moins soignées et plus ou moins académiques, comme par exemple : Les Insurgés (We Were Strangers, 1949) avec Jennifer Jones et John Garfield qui aborde les thèmes de la rébellion et de la tyrannie en Amérique Latine se veut la passionnante autopsie d’un complot politique contre un dictateur.
Plus fort que le Diable (Beat the Devil, 1953) avec Humphrey Bogart, Gina Lollobrigida et Jennifer Jones. Plus fort que le Diable est une comédie noire dont la distribution féminine est est à contre-emploi. Brillamment écrit en collaboration avec Truman Capote et réalisé avec une vraie liberté de ton, le film est un pastiche du Faucon Maltais qui, deux ans après The African Queen, marque la sixième et dernière collaboration entre le cinéaste et Bogart. Les Désaxés (The Misfits, 1959) avec Clark Gable, Marilyn Monroe, Montgomery Clift et Eli Wallach. Tirée d’une nouvelle éponyme d’Arthur Miller, alors mari de Marilyn Monroe, l’idée du sujet de cette œuvre crépusculaire est proche du caractère et de la personnalité du cinéaste. Tourné en noir et blanc par choix artistique, Les Désaxés est un drame intimiste, un poème désenchanté et grinçant sur la fin des mythes américains (l’Ouest, l’innocence, la liberté,…). Son échec commercial en fera également un film représentatif de la fin de l’âge d’or Hollywoodien. Les Désaxés sera le dernier film de Clark Gable et de Marilyn Monroe.
Freud, passions secrètes (Freud, the secret passion, 1962) avec Montgomery Clift et Susannah York. Pour ce film retraçant les débuts du père de la psychanalyse, le cinéaste a confié l’écriture du scénario du film à Jean-Paul Sartre, qui ne sera pas crédité, et a utilisé des contrastes surexposés pour les scènes de flash-backs afin de créer une sensation d’exploration particulière et nouvelle pour le spectateur. Freud, passions secrètes est un film aussi audacieux qu’ambitieux qui allie remarquablement la maturité et la liberté du cinéaste. La Lettre du Kremlin (The Kremlin Letter, 1970) avec Bibi Andersson, Richard Boone, Nigel Green, Orson Welles et Max von Sydow.
Juge et Hors-La-Loi (The Life and Times of Judge Roy Bean, 1972) avec Paul Newman, Ava Gardner, Anthony Perkins et Stacy Keach. Western picaresque et nostalgique écrit par John Milius et réalisé avec une furieuse inventivité aussi bien narrative que technique.
Fat City (1972) avec Stacy Keach et Jeff Bridges. Écrit par Leonard Gardner qui s’est inspiré de son roman éponyme, Fat City, qui en argot aux États-Unis veut dire Eldorado, est la magnifique évocation de boxeurs déchus. Sublimé par l’admirable photographie de Conrad Hall qui refuse les conventions habituelles, Fat City est une ballade mélancolique qui, avec une compassion tragique, fait la part belle à ses personnages, à leurs errances, leurs conversations et leur solitude, mais aussi à l’univers social dans lequel ils (sur)vivent. L’échec et l’alcool pour le surmonter, l’alcool pour oublier, l’alcool pour fuir la réalité de la vie. Film très personnel qui évoque l’univers des clubs de boxe de seconde zone que le cinéaste a bien connu dans sa jeunesse, Fat City est un sublime constat social noir et douloureux remarquablement interprété.
À Nous la Victoire (Victory, 1981) avec Sylvester Stallone, Michael Caine, Pelé et Max von Sydow, est un drame se déroulant dans le milieu du sport pendant la Seconde Guerre mondiale. Ou encore L’Honneur des Prizzi (Prizzi’s Honor, 1985) avec Jack Nicholson, Kathleen Turner, Robert Loggia et Anjelica Huston. L’Honneur des Prizzi est un thriller satirique, une comédie irrespectueuse qui caricature le mythe de la Mafia et dans le même temps, un témoignage cinglant de la corruption des valeurs et des idéaux de l’Amérique moderne.
Autant de classiques incontournables de l’histoire du cinéma.
En 1953, Peter Viertel signe White Hunter, Black Heart (Chasseur Blanc, Cœur Noir), un roman inspiré par l’écriture du scénario et la préparation du tournage d’African Queen, où il dresse un portait hors du commun de l’artiste. À la fois aventurier excentrique, boxeur, militaire, chasseur, cavalier, peintre, écrivain, acteur, cinéaste passionné, mais aussi joueur et grand buveur, John Huston est le héros de sa propre fiction. En 1990, Chasseur Blanc, Cœur Noir sera magnifiquement adapté et interprété au cinéma sous le même titre par Clint Eastwood.
« Cinéaste classique » à ses débuts, sa soif d’indépendance et sa quête de liberté le libéreront de la forme hollywoodienne et révéleront son goût pour le naturalisme, son excentricité et sa modernité. Surprenante de recherches esthétiques et riches de créativité en formes plastiques, l’œuvre du cinéaste est à l’image de l’homme et de sa carrière singulière : insatiable, avide de grandes aventures et de défis techniques. À l’image de l’homme et de sa carrière singulière, l’œuvre est inspirée. L’œuvre de John Huston nous montre également que ce dernier, plus que la réussite, le résultat ou le succès, est amoureux de l’élan qui anime les hommes avec toutes leurs complexités et leurs ambiguïtés. L’œuvre de John Huston témoigne de l’amour que porte ce dernier pour les personnages aux vies « ratées ». La réflexion sur l’intérêt de l’effort face à la fatalité de l’échec est une constante dans l’œuvre de l’auteur. Dans Le Faucon Maltais, qui est déjà le récit d’une enquête inutile et d’une quête vaine et absurde, la statuette est fausse. Dans Le Trésor de la Sierra Madre, le vent disperse la poudre d’or durement conquise par les aventuriers. Dans Les Insurgés, les efforts accomplis par les révolutionnaires cubains sont inutiles.
Dans Quand la ville dort, le dénouement du vol de bijoux soigneusement préparé est un échec pitoyable. Dans The African Queen, l’obstination de l’héroïne à poursuivre seule la guerre est absurde. Dans Les Désaxés, face à la prétention de l’effort, c’est l’échec qui est le plus acceptable. Dans Moby Dick, l’intrigue allégorique symbolise la lutte que livre l’homme pour appréhender le Divin, l’inconnu. Une lutte qui, cherchant à égaler Dieu, entraîne l’homme à sa perte. Une lutte qui, cherchant à détruire Dieu, entraîne l’homme vers le chaos. Grand film d’aventure, Moby Dick marque l’apogée de la grande thématique de l’échec du cinéaste. Dans La Nuit de l’iguane, les personnages cherchent à s’accepter avec leurs défauts et leurs échecs. Dans Fat City, tout est écroulé, tout est en démolition, la ville, le monde, les hommes et leurs espoirs… Chez Huston, il y a loin du rêve à la réalité. Le héros hustonien n’atteint pas son but. L’échec est devenu la thématique hustonienne par excellence. Mais qu’importe le résultat, ce sont les personnages et leurs actions qui comptent. Qu’importe le but qu’elle poursuit, qu’importe qu’elle l’atteigne ou non, c’est l’aventure en elle-même qui compte. Qu’importe l’arrivée, c’est le chemin parcouru que l’on regarde.
Auteur de ce que l’on pourrait définir comme des « farces grotesques », avec ses personnages usés et fatigués de se battre contre la vie et le destin, John Huston est indéniablement le cinéaste le plus représentatif de ce que l’on appelle la « génération perdue ». Au fil de sa carrière, même si on pouvait le constater dès son premier film, Huston est de plus en plus intéressé par les personnages, leurs conditions, leurs errances, leurs conversations, leurs relations et leurs actions, même si ces dernières s’avèrent « inutiles ». Il est plus intéressé par l’atmosphère et par le caractère social que par le lieu ou l’intrigue des films à proprement parler qu’il traitera d’ailleurs souvent de manière secondaire voir même abstraite. Dans le cinéma de Huston, les personnages comptent plus que l’intrigue. Toujours bienveillant et toujours de cœur avec ses personnages, sans tomber dans l’écueil du misérabilisme, Huston dresse ses portraits avec compassion. Avec une variété de tons et de moyens qui fait la richesse de son œuvre, les héros de ses films sont des parias, des proscrits dont les actes révèlent les contradictions et le conformisme du monde dans lequel ils évoluent. Passionné par l’aventure intérieure et la recherche métaphysique, le regard du cinéaste s’affine dans son observation ironique et singulière de la condition humaine. Contrairement à ce qui est apparent et conscient pour les personnages des films eux-mêmes, derrière leurs quêtes absurdes et leurs échecs se cache le fait que le héros hustonien est inconsciemment à la recherche de sa propre personnalité, à la recherche de lui-même. Ce n’est pas ce qui est conscient chez les personnages qui intéresse le cinéaste mais bien ce qui leur échappe, leur inconscient, l’inconscient qui les anime et les détermine. Avec sa vision à la fois matérialiste et mystique de l’existence, Huston, existentialiste cynique, rythme ses récits sur les mouvements intérieurs de ses personnages et nous montre la condition humaine dans ce qu’elle a de grand mais aussi dans ce qu’elle a de dérisoire.
De tous les grands metteurs en scène américains, John Huston est un des rares dont la carrière n’a pas connu de déclin ou de soumission. Sans jamais s’enfermer dans un style propre, auteur d’une œuvre aussi ambitieuse que personnelle, auteur d’une œuvre unique, représentative de sa modernité et de son audace intellectuelle, toujours en prise directe avec son temps, Huston, aura su ignorer les « recommandations » des dangereux décideurs incultes qui prétendent connaître les attentes du public et n’aura (à deux ou trois exceptions près) jamais fait de concession. Durant toute sa carrière, Huston sera resté un cinéaste singulier, libre, indépendant et créatif. L’auteur d’une œuvre à son image. Aventureuse et désinvolte.
Notons également que Huston a également poursuivi une carrière d’acteur et qu’après avoir joué dans quelques films de William Wyler entre 1928 et 1930, il a notamment été dirigé par Otto Preminger dans The Cardinal en 1963 ou par Roman Polanski dans Chinatown en 1974. Toujours féconde, traversant les générations, l’œuvre incontournable de John Huston ne retrace pas moins de 40 ans de l’Histoire du cinéma américain. Celle-ci continue de fasciner, d’inspirer et d’influencer nombre de cinéastes comme par exemple William Friedkin qui s’est autant inspiré du Trésor de la Sierra Madre que du Salaire de la peur (1953) d’Henri-Georges Clouzot pour réaliser Sorcerer (1977), le chef-d’œuvre que l’on connaît. Jules Dassin s’est inspiré de la peinture détaillée du hold-up de Quand la ville dort pour réaliser Du Rififi chez les hommes (1954). Jacques Becker s’inspirera du même Quand la ville dort pour concevoir la forme de Touchez pas au Grisbi (1954). Le Coup de l’escalier (Odds Against Tomorrow, 1959) de Robert Wise est un polar qui descend directement du même Quand la ville dort. Stanley Kubrick, au début de sa carrière, sera le réalisateur des deux derniers films noirs majeurs de l’époque, Le Baiser du Tueur (Killer’s Kiss, 1954) et L’Ultime Razzia (The Killing, 1956), inspirés par l’œuvre de Huston. Fasciné par le genre, Jean-Pierre Melville, trouvera lui aussi chez Huston, la base de son cinéma comme on peut le voir avec la forme et l’approche de Bob le Flambeur (1956) qui doivent également beaucoup à Quand la ville dort. Nicolas Winding Refn reconnaît l’influence sur son travail de Fat City qu’il a découvert en salle à l’âge de six ans. Nombre de ses films personnels se terminant mal, on constate le rapport étroit qu’entretient Clint Eastwood avec la notion d’échec. Dans Chasseur Blanc, Cœur Noir (White Hunter, Black Heart, 1990) qu’il réalise également, Clint Eastwood ira jusqu’à incarner Huston lui-même.
Steve Le Nedelec