Il serait intéressant qu’un jour une cinémathèque ou un festival organise une rétrospective de John Guillermin. Certes ce n’est pas un auteur mais un efficace artisan et un metteur en scène d’action assez remarquable. La majorité de ses films, surtout de sa période anglaise, sont rarement diffusés et l’on les trouve difficilement en DVD. C’est au début des années 70 que John Guillermin accède à une reconnaissance internationale avec deux triomphes au box-office : La Tour Infernale (The Towering Inferno, 1974) et son remake de King Kong (1976).
Jean Yvon Guillermin est né le 11 novembre 1925 à Londres de parents expatriés français. Il passa toute sa jeunesse en Angleterre et termine ses études à l’Université de Cambridge. Durant la Seconde Guerre mondiale, Guillermin est pilote dans la Royal Air Force. A la fin de la guerre, il revient en France et débute comme assistant-réalisateur sur des courts-métrages et documentaires avant de passer à la réalisation et à la production de films documentaires. John Guillermin retourne toutefois à Londres à la fin des années 40. Il entre au service de l’un des plus importants producteurs et distributeur anglais J. Arthur Rank. Il débute en coréalisant avec Robert Jordan Hill une comédie policière High Jinks in Society (1949) et dirige en solo l’année suivante un film criminel Torment (1950). Guillermin enchaîne les petites productions, des séries B, à raison de deux films par an, des comédies, des thrillers, des films d’espionnage et des aventures exotiques pour les salles des quartiers populaires.
C’est avec Traqué par Scotland Yard (Town on Trial, 1957) que John Guillermin attire l’attention sur lui. L’histoire est simple mais solide. Un inspecteur mène une enquête sur un crime crapuleux dans une petite ville réfractaire à toute collaboration avec la police. Ce film noir est une réussite, Guillermin avait réuni dans les principaux rôles deux pointures : John Mills (l’inspecteur) et Charles Coburn. Ce succès lui permet d’avoir de meilleurs sujets, d’obtenir des castings plus importants et de quitter définitivement la télévision, où il œuvre sur une série pour des productions plus ambitieuses.
Il dirige Stewart Granger, George Sanders et Donna Reed dans Le crime était signé (The Whole Truth, 1958) agréable film noir dans l’ombre d’Alfred Hitchcock. Il réalise son premier film de guerre, genre dans lequel il excellera, avec Contre-espionnage à Gibraltar (I Was Monty’s Double, 1958), où il retrouve John Mills. L’histoire est basée sur un fait réel, durant la Seconde Guerre mondiale, un sosie du général Montgomery est utilisé comme leurre par les alliées. Le film, efficace, est un succès.
C’est pour la Paramount qu’il réalise un film d’aventures autour du personnage créé par Edgar Rice Burroughs, La plus grande aventure de Tarzan (Tarzan’s Greatest Adventure, 1959) est un grand succès. Gordon Scott y reprend pour la quatrième fois et avant-dernière fois le célèbre personnage de l’homme-singe. Il affronte un méchant particulièrement sadique interprété par Anthony Quayle. Signalons, dans un petit rôle, le futur James Bond, Sean Connery. Tarzan est une réussite, Guillermin y fait preuve d’un grand savoir-faire et utilise remarquablement les somptueux décors naturels à sa disposition. La plus grande aventure de Tarzan connaîtra une belle longévité dans les cinémas de quartier où le film sera programmé jusqu’à la fin des années 70 ! En 1962, Guillermin expédie Tarzan aux Indes (Tarzan goes to India) avec Jack Mahoney, qui succède à Gordon Scott décédé entre-temps.
Guillermin signe en 1962 avec Les Femmes du général (Waltz of the Toreradors) d’après La valse des Toréadors de Jean Anouilh l’un de ses meilleurs films. Cette belle tragi-comédie aux accents nostalgiques permet à Peter Sellers de composer l’un de ses personnages les plus émouvants. Le futur Inspecteur Clouseau de la série des Panthère Rose y partage l’affiche avec la française Dany Robin. Ce film rarement cité mérite d’être redécouvert. John Guillermin évoquera souvent ce film, le considérant comme son préféré.
En 1964, 20th Century Fox lui confie la réalisation d’un film d’aventures coloniales en CinémaScope Les Canons de Batasi (Guns at Batasi). L’histoire d’un bataillon anglais confrontée à une insurrection dans un pays imaginaire d’Afrique. Richard Attenborough y fait une savoureuse composition de Sergent-major de l’armée britannique et la jeune et frêle Mia Farrow y trouve son premier rôle. Cette production connaît un beau succès. La mise en scène dynamique de Guillermin est servie par une excellente photographie en noir et blanc de Douglas Slocombe (Le Bal des vampires, Rollerball, Les Aventuriers de l’Arche perdue…).
Guillermin se voit confier par la Fox une importante production en CinémaScope et couleurs Le Crépuscule des aigles (The Blue Max, 1966). Le film impressionne par ses spectaculaires scènes de combats aériens. Guillermin raconte l’histoire d’un ambitieux pilote allemand de la Première Guerre mondiale, il est interprété par un acteur élégant, George Peppard. La belle Suissesse Ursula Andress auréolée de son succès en bikini dans James Bond contre Dr No et l’impeccable James Mason entourent l’acteur américain révélé par Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany’s, 1961). L’entente est des meilleures entre Peppard et Guillermin. Ils récidivent pour deux autres films, produits par Universal, mais assez décevants, le polar Syndicat du meurtre (P.J., 1968) et Un cri dans l’ombre (House of Cards, 1968), film d’espionnage tourné en partie à Paris avec Orson Welles et la suédoise Inger Stevens dans le rôle d’une française !
John Guillermin va réaliser coup sur coup, entre 1969 et 1978, une série de films qui connaîtront de grands succès populaires, période que l’on peut définir comme son « âge d’or ». Elle débute avec Le pont de Remagne (The Bridge at Remagen, 1969) et prend fin avec Mort sur le Nil (Death on the Nile, 1978).
Le pont de Remagen reste l’un des meilleurs exemples de film de guerre Hollywoodiens de la fin des années 60. Si la distribution contrairement à bon nombre de films de guerre ne compte pas de stars en son sein, elle n’en est pas moins solide avec en tête d’affiche George Segal, Robert Vaughn, Ben Gazzara, E.G. Marshall et Hans Christain Blech, grand spécialiste des rôles d’officier allemand (Le Jour le plus long, La Bataille des Ardennes, etc.). Ce qui prime – c’est l’action. Dans ce film, Guillermin met en place d’incroyables mouvements de grue pour embrasser la totalité du théâtre des opérations. Et c’est avec un savoir-faire d’une grande efficacité qu’il passe de scène intime à d’impressionnantes séquences de combat. Pour ce film complexe, Guillermin s’assure les services d’un des plus grands chefs opérateurs du cinéma américain, Stanley Cortez (La Splendeurs des Amberson d’Orson Welles, La Nuit du Chasseur de Charles Laughton…). Il n’est pas étonnant, que bien des années plus tard, Steven Spielberg y trouve une source d’inspiration pour les scènes de combat de son Il faut sauver le Soldat Ryan (Saving Private Ryan, 1998). C’est avec Le pont de Remagen que Guillermin acquière une réputation de réalisateur intransigeant et dur. Le producteur David L. Wolper avouera n’avoir jamais eu affaire avec un réalisateur aussi difficile.
En plein déferlement du western spaghetti, John Guillermin réalise à Alméria en Espagne le réjouissant El Condor avec Lee Van Cleef, Jim Brown, Marianna Hill, Elisha Cook, Jr. et Patrick O’Neal. En pleine révolution mexicaine, des aventuriers tentent de prendre d’assaut la forteresse d’El Condor, où se trouvent les réserves d’or de la banque centrale de Mexico. Ce sympathique western est produit par le cinéaste André de Toth et le scénario est en grande partie de la plume de Larry Cohen. Comme souvent, Guillermin n’oublie pas ses origines et confie des postes clés à des compatriotes, Henri Persin (Angélique, marquise des anges) à la photo et Maurice Jarre (Lawrence d’Arabie) à la musique.
Le western est en voie d’épuisement aux Etats-Unis, – Sam Peckinpah en sonne le glas avec La Horde Sauvage (The Wild Bunch, 1969) – tandis qu’en Europe, il dégénère avec le parodique On l’appelle Trinita (Lo chiamavano Trinita, 1970) d’E.B. Clucher/Enzo Barboni. A Hollywood, c’est le film catastrophe que privilégient les studios après le triomphe du poussif Airport. Et c’est en surfant sur cette vague que la Metro-Goldwyn-Mayer confie la réalisation d’Alerte à la bombe (Skyjacked, 1972) à John Guillermin. Le scénario est assez habile et combine des éléments du film catastrophe avec ceux du thriller. L’équipage d’un vol de ligne se retrouve confronté à un pilote de l’air qui se trouve à l’intérieur mais dont ils ne connaissent pas l’identité. Le commandant de bord est incarné par Charlton Heston et dans le cockpit l’on retrouve Yvette Mimieux, James Brolin et Walter Pidgeon. Signalons au passage que la même équipe, Charlton Heston, Stanley R. Greenberg au scénario et Walter Selter à la production, se recomposera l’année suivante pour Soleil vert (Soylent Green) classique de la science-fiction que réalisera Richard Fleischer.
Après les excellentes recettes d’Alerte à la bombe, John Guillermin enchaîne toujours pour la MGM le brutal Shaft contre les trafiquants d’hommes (Shaft in Africa, 1973) avec le charismatique Richard Roundtree. Cette troisième et dernière aventure du détective emblématique de la blaxploitation, l’entraîne sur la piste d’un réseau d’esclavagiste entre l’Afrique et l’Europe. Le scénario est l’œuvre du prolixe Stirling Silliphant que John Guillermin va retrouver pour son film suivant.
Auréolé par le succès de son précédent film, L’Aventure du Poséidon, le producteur Irvin Allen, entreprend avec La Tour infernale sa plus ambitieuse et importante production. Il réunit le plus important casting de l’époque. En tête d’affiche Steve McQueen et Paul Newman, dans les seconds rôles : William Holden, Fred Astaire, Faye Dunaway et Jennifer Jones. De très fortes personnalités qu’il faut bien diriger, tache qu’Irvin Allen n’entend pas assumer se gardant pour lui, le plus simple, la réalisation des scènes d’action. Il engage John Guillermin bien que celui-ci soit décrit par ses collaborateurs comme un réalisateur irascible, difficile et mégalomaniaque, qu’importe, John Guillermin est aussi reconnu pour son sens de la direction d’acteur et l’habileté par laquelle il parvient à rendre des situations plus que banales intéressantes à l’écran. Le tournage n’est pas de tout repos tant les différents egos sont puissants. Nullement intimidé par son parterre de Stars, Guillermin n’hésite pas à reprendre les scènes et à multiplier les prises pour obtenir le meilleur résultat possible. L’énorme budget du film voit, chose rarissime, l’association de deux majors, la Warner Bros. et la 20th Century Fox. Le film est un succès mondial.
Guillermin débute le tournage de La Bataille de Midway, film de guerre à grand spectacle avec pléthore de stars, Charlton Heston, Henry Fonda, Robert Mitchum, James Coburn, Glenn Ford et l’acteur japonais Toshiro Mifune. Mais le caractère intransigeant et le perfectionnisme de Guillermin conduisent la production à le remplacer par le plus maniable Jack Smight.
Il accepte alors la proposition du producteur italien Dino de Laurentiis, de diriger le remake de King Kong, ceci après le refus de plusieurs cinéastes dont, Roman Polanski. Après un long casting, Laurentiis et Guillermin portent leur choix sur un mannequin, Jessica Lange, celle-ci à la lourde tache de succédé à Fay Wray dans le rôle de la belle ingénue dont la bête est « amoureuse ». Jeff Bridges et Charles Grodin complètent la distribution. Le scénario de Lorenzo Semple Jr, suit le script d’origine pas à pas tout en le modernisant. Guillermin prouve une fois de plus son extraordinaire sens de la mise en scène dans les scènes d’extérieurs. Le débarquement sur l’île dans le brouillard, la rencontre entre la belle et le roi Kong, et évidemment la fin au World Trade Center, sont de grands moments de spectacle.
Le tournage est difficile. La volonté de la production de créer un King Kong géant est une gageure qui ne sera résolu que par l’utilisation d’un vieux procédé. De son côté, Richard H. Kline réussit une remarquable photographie en surmontant bien des difficultés dont la principale consiste à éclairer de très grands espaces extérieurs. Entre deux colères homériques, Guillermin mène contre vent et marré le film à bon port. Le monteur Ralph E. Winters, s’en souvient encore. Un jour que Guillermin assisté à la projection du bout à bout du premier montage, il est tellement frustré par le résultat qu’il fracassa le siège devant lui. Mais le lendemain, il téléphone à son monteur pour le complimenté ! La sortie du film est un événement, l’attrait suscité par King Kong est toujours aussi grand auprès du public, résultat c’est un énorme succès. Le film irrite les gardiens du temple de la 7e merveille du monde qui hurlent en cœur à l’hérésie. Pourtant la version de Guillermin possède ses qualités propres et celui-ci ne gomme en rien l’érotisme qui était déjà présent dans la première version, ce ne sera pas le cas de la version de King Kong tourné en 2000 par Peter Jackson. Le réalisateur néo-zélandais du Seigneur des anneaux enfouira sous un déluge d’effets spéciaux, tous plus inutiles les uns que les autres, toute notion d’érotisme.
Après le succès du Crime de l’Orient express adaptation classieuse et talentueuse d’une enquête d’Hercule Poirot par le cinéaste américain Sidney Lumet. Les producteurs mettent en chantier une seconde adaptation de ces aventures où le polyglotte Peter Ustinov succède à Albert Finney dans le rôle du personnage imaginé par Agatha Christie. C’est à partir d’un excellent scénario d’Anthony Shaffer, auteur de Frenzy pour Alfred Hitchcock et du Limier de Joseph L. Mankiewicz, que John Guillermin entreprend en Egypte le tournage de Mort sur le Nil. Il retrouve quatorze ans après lui avoir donné son premier rôle dans Les Canons de Batasi, Mia Farrow, qui entre-temps est devenu une vedette. Le film est une charmante et élégante comédie policière. La distribution est impressionnante, Bette Davis, Jane Birkin, Lois Chiles, Jon Finch, Olivia Hussey, George Kennedy, Angela Lansbury, David Niven et Maggie Smith embarquent pour une croisière meurtrière. John Guillermin qui était un marin expérimenté avait l’habitude de diriger ses acteurs en usant de termes de la marine, ainsi il indiquait aux comédiens d’aller à tribord ou à bâbord. Le film rencontre un large public.
Après cette série de succès populaire, John Guillermin va réaliser au Canada un étrange film, Mr. Patman. Ce thriller psychologique particulièrement retord se déroulant en grande partie dans un asile psychiatrique, va passer totalement inaperçu. C’est dommage car cette histoire de manipulation est formidablement bien interprétée par James Coburn, qui trouve là l’un de ses meilleurs rôles, Kate Nelligan et Fionnula Flanagan. Ce film disparu des radars et dont il n’existe aucune édition DVD, mérite le détour. Mr. Patman est le dernier film de John Guillermin digne d’intérêt.
En 1983, John Guillermin quitte le tournage de Sahara à la suite d’un conflit qui l’oppose aux inénarrables producteurs de la Cannon, Menahem Golan et Yoram Globus, et c’est l’assez impersonnel Andrew V. McLaglen qui reprend le film.
Un drame personnel le frappe durant le tournage de Sheena, la reine de la jungle (1984) la disparition de son fils dans un accident de voiture. Sheena est l’adaptation sans grande conviction d’un comic-book avec la jolie Tanya Roberts, celui-ci bénéficie pourtant d’un scénario signé par David Newman (Bonnie & Clyde, Superman) et Lorenzo Semple Jr. (Papillon, Les Trois jours du Condor) et d’un montage efficace de Ray Lovejoy (2001, l’odyssée de l’espace). Quant à King Kong 2 (King Kong Lives, 1986) c’est un échec absolu. Son dernier film est en 1988 un western pour la télévision, Poursuite en Arizona (The Tracker) avec Kris Kristofferson, qui a de bons échos mais que nous n’avons pas vu.
Cinéaste aux succès populaire dont le nom est resté inconnu du public, John Guillermin est décédé d’une crise cardiaque à son domicile de Topagan Canyon en Californie du Sud, le 27 septembre 2015, il avait 89 ans.
Fernand Garcia