Jess Franco était peut-être dans la forme, le dernier cinéaste Wellesien en activité. Réalisateur de la seconde équipe sur Falstaff, il avait beaucoup appris au contact du maître américain. Pourtant Franco tournait déjà depuis plusieurs années, son premier court métrage date de 1957 El árbol de España, et il avait été l’assistant de Juan Antonio Bardem, qu’il considérait comme son mentor.
Toutefois c’est au contact de Welles qu’il a saisi toutes les possibilités de mise en scène et de manipulation de l’image par le montage dans le contexte d’une économie de guérilla. Un acteur de face peut laisser sa place à un autre en amorce dans un champ contrechamp, un même décor peut être plusieurs lieux à la fois, la postsynchronisation permet de mettre une autre voix sur un acteur, voir de réécrire complètement les dialogues. Welles était un génie et Franco, quoiqu’auteur déjà d’une dizaine de films dont L’horrible Docteur Orlof, a retenu la leçon. Là, où Welles expérimentait et finissait par abandonner dans une boite 35 les bribes de son génie, Franco utilisait chaque mètre de pellicule jusqu’à en obtenir le métrage livrable par contrat.
Les films de Jess Franco s’apparentent à des morceaux de Free Jazz, ses œuvres ont une logique mais surtout un rythme propre, qui ne se soucie généralement d’aucun développement scénaristique traditionnel. Ses films étaient tout aussi bien, commerciaux, qu’avant-gardiste. Franco a utilisé les figures emblématiques du cinéma populaire: Dracula, Frankenstein, Jack l’éventreur, Fu Manchu, Zorro, etc. et toutes sortes de freaks, sadiques et pervers, aussi bien pour satisfaire les attentes du public qu’en réaction contre l’autre Franco, le général de sinistre mémoire.
Sa carrière est riche de… combien de films d’ailleurs, 180 ? 200 ? Plus ? Sa filmographie est comme un labyrinthe de titres, un film peut connaitre plusieurs déclinaisons, suivant les pays, la censure, les nécessités économiques de la co-production. Caviardage sauvage par des producteurs peu scrupuleux, de version soft en version hard ou l’inverse. Combinaison de deux films pour en obtenir un troisième avec l’accord ou plus généralement contre l’avis de Franco. Lui-même brouillait les cartes par une série de pseudonymes (Clifford Brown, Jess Frank, etc.) souvent en lien avec des Jazzmen, composant ainsi une sorte de Jazz Band idéal et imaginaire.
Cinéaste d’un cinéma d’un autre temps, Jess Franco confectionnait des films pour des salles populaires mixant films d’horreurs, aventures exotiques, érotiques et thrillers pour des spectateurs constitués d’immigrées, de chômeurs, d’étudiants, de clodos. Cinéma du bricolage, de la passion et de l’envie, Franco naviguait entre d’honnêtes budgets et des budgets de misère. Il tournait partout en Europe avec des petites équipes et des acteurs fidèles. Cinéma du désir et la pulsion sexuelle, il trouva en Lisa Romay sa muse, elle sera dans quasiment tous ses films. Lisa a incarné avec élégance et sensualité, la femme libérée de l’après-68.
Influencé aussi bien par Sade que Sacher-Masoch, Jess Franco, cinéaste de la pop-culture, est l’auteur d’une œuvre qui reste à découvrir et à réévaluer par les cinéphiles de ce début de XXIe siècle.
Jesús Franco Manera est décédé le 2 avril 2013, il avait 82 ans.
August Tino