Jérôme Baron est ce que l’on pourrait appeler un « ciné-hyperactif ». Celui qui se décrit comme un « amoureux du cinéma de corps » se démène à la tête du Festival des 3 Continents (F3C) pour montrer un cinéma rare et inédit, mais transmet aussi quotidiennement sa passion au lycée Guist’hau où il enseigne… le cinéma bien sûr. Il nous livre ses impressions sur différents sujets développés dans ce premier numéro de Preview.
Preview : Une place importante est laissée au cinéma colombien cette année, pourquoi l’intérêt du F3C s’est porté sur ce pays ?
Jérôme Baron : Ce que l’on veut c’est interroger la vitalité du cinéma colombien. On est face à un territoire en pleine mutation, avec des évolutions de société incroyables. A la fin de l’année le pays sera devenu la 3e puissance du continent sud-américain, le tourisme se développe à une vitesse jamais vue, tous les voyants sont au vert. Ils ont même réussi à réduire de manière significative la violence.
Il est impossible quand on parle de ce pays de se séparer de la violence, elle se ressent aussi dans le cinéma, bien sur, mais on ne veut pas montrer que ça. On veut tracer une carte beaucoup plus complexe, montrer cette société extrêmement riche et hétéroclite.
En tout une trentaine de films sera présentée, notamment celui dont est tirée l’affiche, El Rio de Las Ramblas.
P : Yu Lik-wai est l’un des invités d’honneur de cette édition sur le thème « Chimères du monde moderne et réalité numérique », pouvez vous nous en dire plus ?
J. B. : Yu Lik-wai est un immense cinéaste chinois, il est notamment directeur de photographie du célèbre Jia Zhang-ke (révélé au F3C, ndlr). Il est aussi un grand réalisateur et nous avons programmé deux de ses films : All Tomorrow’s Party et Love Will Tear Us Apart.
- On a voulu faire référence aux chimères modernes de ce pays : les promesses déchues de la croissance effrénée d’un régime qui ment à son peuple. Le miracle économique n’a pas eu lieu pour la plupart des chinois.
- Le numérique nous permet de prendre le pouls de ce qui se passe réellement là-bas. La rareté des sources journalistiques est parfois comblée par des témoignages directs permis par le numérique. Des contenus cinématographiques très intéressants sont créés dans une clandestinité souvent totale.
- Les films, pour être autorisés par les autorités, ne doivent pas être critiques envers le système : dès qu’un réalisateur se permet de sortir des versions officielles, il n’obtient pas le fameux dragon sur carré vert synonyme de validation officielle.
P : Le F3C a été un précurseur dans la découverte des films des pays émergents. À l’heure des échanges numériques ultra-rapides et face à une multitude d’événements consacrés à ce cinéma, a t-il encore réellement sa place ?
J. B. : Pendant très longtemps le F3C était le seul à aller chercher des films aussi loin, à faire ce travail de repérage. Mais dans les années 90 il a complètement perdu son monopole. Ce phénomène s’explique par une raison simple, les productions des pays émergents sont devenues branchées : tout le monde veut programmer du cinéma honkongais, ou passer des films sud-américains. Souvent même, les réalisateurs de ces pays font des films formatés pour être repérés par les festivals.
En plus de cela, l’avancée technologique révolutionne le monde du cinéma, et fait exploser les échanges via internet. Le film devient mobile et le F3C doit se repositionner. A l’origine, notre mission était de créer un stock de films inédits suffisamment intéressants et venant de loin. Puis, notre rôle s’est inversé jusqu’à être un véritable tamis qui sélectionne intelligemment les films remarquables dans un flux constant et en extension permanente de productions cinématographiques de toute la planète.
On est un festival qui se doit de choisir, d’être modeste, de « re-rencontrer » son public et de créer une atmosphère créative et intelligente autour des films. Nous voulons reconstruire une identité au F3C.
P : Comment ce F3C « new-look » parvient t-il à diversifier son public, à s’ouvrir à de nouveaux spectateurs ?
J. B. : Pour moi les films ne choisissent pas leur public, nous essayons, nous, de faire un festival le plus ouvert possible. Un festival de cinéma doit être un lieu où on fait des expériences ensemble, je suis très attaché à cette notion de proximité. Et c’est comme ça que l’on fabrique le F3C : comme un cadre pour vivre le cinéma en confrontant les organisateurs, les réalisateurs et le public.
Nous mettons aussi une vraie énergie à développer toujours plus notre relation avec le public jeune notamment via des activités avec les scolaires. Nous travaillons toute l’année en parallèle avec les dispositifs « primaires, collégiens et lycéens au cinéma ». Je suis prof moi même et ces questions me sont sensibles. Notre public est d’ailleurs de plus en plus jeune depuis deux ans et les réalisateurs que nous accueillons ont, hormis quelques exceptions, une trentaine d’années en moyenne.
Propos recueillis par Armel Baudet
Cet entretien est réalisé dans le cadre d’un partenariat Kinoscript/Preview.
L’intégralité de cet entretien sera disponible sur le site de notre partenaire Preview