Jean Ziegler est un homme droit resté fidèle à ses « engagements », à ses combats de jeune homme. Issu d’un milieu bourgeois suisse, le jeune Ziegler est très vite en rupture avec sa famille. Il prend la mesure des inégalités qui régissent le monde capitaliste, de la colonisation, de la soumission des populations à la société de consommation. Ziegler va révéler les pratiques plus que douteuses des banques suisses et des multinationales qui s’adonnent à l’évasion fiscale, à la spéculation (sur les denrées alimentaires), etc. Ziegler n’aura de cesse de combattre ceux qui conduisent par leur attitude à l’appauvrissement des populations et contribue à l’accroissement des inégalités et de la misère. Le documentaire de Nicolas Wadimoff suit Jean Ziegler et sa femme Erica dans, entre autres, un voyage intime et personnel à Cuba. Document précieux qui plonge dans la mémoire d’un homme qui a plus de 80 ans et n’a rien perdu de ses idéaux.
Les yeux de Jean Ziegler s’illuminent dans la nuit cubaine. Le petit taxi le conduit à son hôtel avec sa femme, il traverse une ville silencieuse «sans panneaux publicitaires», sans tout ce qui fait l’animation nocturne des mégapoles mondialisées. Comme tout bon occidental, je me dis que derrière ces manques se cachent la misère et l’horreur de la dictature castriste. Le réalisateur se fait l’avocat du diable et titille Ziegler sur Castro et la révolution cubaine, sur l’idéal socialiste. Et pourtant un jour le capitalisme fera son entrée à Cuba, comme, il n’y a pas longtemps, dans les pays de l’Est, dans ses beaux habits de la liberté afin de mettre en place tout ce qui ira enrichir les trusts et ses familles affiliés. Tout ce qui relève du bien public se verra absorbé par l’appétit vorace de quelques-uns au détriment de la majorité. Ziegler le sait, il n’a que trop vu de dérives. Il les a dénoncé, jusqu’à devenir la bête noire des banques suisses, jusqu’à devenir un « mauvais suisse », un « traître à la patrie ». Ses combats contre le secret bancaire, l’opacité des comptes bancaires l’ont conduit devant les tribunaux et ruiné… mais l’homme saura rebondir…
Jeune homme, Jean Ziegler est pendant deux semaines le chauffeur de Che Guevara lors d’une conférence en Suisse. Le dernier jour, prenant son courage à deux mains, Ziegler lui demande de partir avec lui pour faire la révolution. Le Che regarde autour de lui, et que voit-il ? Des enseignes de banques, des panneaux publicitaires, le « bonheur » capitaliste de la société de consommation à outrance. Le Che lui conseille de faire la révolution là où il est né. Rencontre capitale et bouleversante qui va structurer toute la vie de Ziegler.
A Cuba, Ziegler rencontre un de ces anciens élèves qui a pris la décision de venir vivre et de se mettre au service de la continuation révolution cubaine. Rencontre émouvante et intéressante par tous les non-dits. Ziegler n’est pas un aveugle, la situation de l’île est aussi due en grande partie au blocus imposé par l’impérialisme américain, vestige d’un autre temps et pourtant toujours là. Ziegler rencontre des Cubains, un ancien de la révolution, intervient à la télévision, donne une interview à un journaliste, parle à des inconnus dans la rue et à la suite d’un malaise se retrouve sur un lit d’hôpital. Il y rencontre un personnel admirable, qui avec un matériel d’un autre temps, réussit des miracles. Longue discussion avec une infirmière qui va partir, dans le cadre d’un contrat commercial, plusieurs années dans un hôpital des Emirats Arabes, un comble.
Ziegler est un homme de gauche, d’action, diplomate, il poursuit son combat au sein des Nations Unis. Il s’oppose aux dérives du libéralisme économique et à la privatisation des services publics. Moments passionnants saisis par Nicolas Wadimoff des transactions en coulisses, comment les luttes d’influence étouffent dans les textes toutes idées de progrès collectifs aux bénéfices d’intérêts particuliers défendus par les pays riches. C’est le règne de la géopolitique et du chantage. Quelles que soient les embûches, les contretemps, Jean Ziegler poursuit inlassablement son combat pour un monde différent et meilleur.
Fernand Garcia
Jean Ziegler, l’optimisme de la volonté un film de Nicolas Wadimoff avec Jean Ziegler, Erica Deuber Ziegler, Dr. Roberto Fernandez Retamer, Segis Petschen, José Alberto de la Osa… Scénario : Nicolas Wadimoff et Emmanuel Gétaz. Images : Camille Cottagnoud et Joseph Areddy Images additionnelles : Nicolas Wadimoff. Son : Carlos Ibanez Diaz. Montage : Karine Sudan. Musique : Bill Laswell. Producteur : Emmanuel Gétaz, Coproducteurs : Irène Challand, Gaspard Lamunière, Claudia Bucher, Philippe Muller. Production : Dreampixies – RTS Radio Télévision Suisse – ARTE G.E.I.E. Distribution (France) : Urban Distribution (Sortie le 18 avril 2018). Suisse. 2017. 93 minutes. Couleur. sélection officielle Festival de Locarno, 2017. Tous Publics.