Dans le paysage dévasté du cinéma lituanien, Sharunas Bartas avec son film Indigène d’Eurasie se présente comme une figure messianique. Malgré quelques vagues reproches de la presse lituanienne pour avoir « trahi » son style, le film de Sharunas Bartas n’a pourtant rien de commercial et suit fidèlement le sillon de sa création. Si dans son nouveau film il a commencé à utiliser la parole de manière plus fonctionnelle, avec un dialogue construit, cela n’empiète en rien sur ses thématiques de prédilections.
Les personnages de ses films sont toujours issus de milieux pauvres, mais l’œuvre de Bartas n’appartient pas au cinéma social, la pauvreté chez lui est une sorte d’état d’existence. Depuis toujours Sharunas était attiré par la ville, ses vieux immeubles dégradés, la boue et le linge étendu dans les cours intérieures. Le cinéaste met accent non pas sur l’état misérable des lieux mais leur interaction avec l’individu, la prééminence de la nature sur l’artifice créé par l’humain. L’histoire déguisée en polar se préoccupe tout d’abord de l’existence de ses personnages et du décor dans lequel ils évoluent.
Cette-fois le personnage principale (joué par Sharunas Bartas lui-même) Géna est un trafiquant de drogue vieillissant qui habite en Lituanie – carrefour du commerce légal ou illégal entre l’Est et l’Ouest. Géna traverse l’Europe de long en large mais désire d’arrêter son activité pour enfin jouir d’une vie paisible avec sa petite amie d’origine italienne en France. Il part en Russie afin de récupérer la dette d’un mafieux mais tout ne se passe pas comme prévu. Poursuivi toute à la fois par la mafia et par la police, Géna fuit avec une amie prostituée russe Sacha.
La frontière entre le documentaire et la fiction est très mince, comme son ami le réalisateur ukrainien Sergei Loznitsa, avec qui ils ont partagé le même monteur pour leurs films Danielius Kokanauskis. L’intrigue d’Indigène d’Eurasie ne tient en une page, le plus important c’est la peinture d’endroits réels, authentiques, que ce soit en Russie, en Pologne, en Belorussie ou en Lituanie, cette ambiance très particulière que Sharunas parvient à transmettre ne se trouve que dans ses films.
On assiste à quelques grands moments de cinéma quand Géna échappe à la police polonaise dans une forêt puis frigorifié se réchauffe près d’un feu. C’est le voyage expiatoire d’un criminel qui trouve refuge dans la nature.
La sincérité du ton, la photo sublime, la musique méditative d’Alexander Zekke – tout se marie pour tisser un film plutôt réussi.
Rita Bukauskaite
Indigène d’Eurasie, un film de et avec Sharunas Bartas avec Klavdiya Korshunova, Erwan Ribard, Elisa Sednaoui. Scénario : Sharunas Bartas, Catherine Paillé. Photo : Sharunas Bartas. Musique : Alexander Zekke. Producteur : Grégoire Debailly. Production : Kino Bez Granits – Lazennec Films – Studio Kinema. Format image : 1.85 :1. Dolby. France – Lituanie – Russie. 2010. 111 mn. Edition DVD : ARTE Editions