Un jeune couple d’amoureux, Roy (Matt Birman) et Mandy (Mitch Martin), passe du bon temps au bord d’un lac. En ville, Tim (Duncan McIntosh) fait un étrange rêve : une femme prisonnière dans une chambre des tortures… La nuit, au bord du lac, Mandy (qui joue à la petite qui ne couche pas) entreprend une partie de cache-cache. Dans une remise abandonnée, Mandy est violée. Son petit copain essaie de la protéger mais il a affaire à plus fort que lui et meurt sous les coups… Arrivé depuis peu, avec sa fille Jenny (Erin Noble), Sam Cordell (John Cassavetes) est le médecin-chef de l’hôpital de la ville. Appelé au petit matin par le shérif Walden (John Ireland), Sam prend en charge Mandy dans un état critique…
Incubus fait partie de ces films qui laissent une impression durable de malaise et un sentiment trouble, glauque. L’histoire en elle-même n’a rien de particulier, elle est des plus classiques : dans une petite ville, des meurtres mystérieux s’avèrent être l’œuvre d’une entité diabolique. Il faut chercher ailleurs les raisons qui font que cet Incubus hante les mémoires depuis si longtemps.
C’est le processus créatif dirigé par John Hough qui va aboutir à cette œuvre étrange. Hough a eu l’intelligence de laisser John Cassavetes investir son personnage et de lui laisser la possibilité de travailler le scénario, au jour le jour. L’apport de Cassavetes est indéniable pour ceux qui connaissent bien ses films. Sa manière de construire en cours de route son personnage, de lui donner cette impression filante qui dynamise les relations entre les personnages est totalement perceptible dans Incubus. Un flottement « douteux » s’installe immédiatement dans les rapports entre Sam et sa fille, Jenny. Une construction simple : il rentre tard chez lui et aperçoit sa fille nue sortant de la douche. La porte de la salle de bain est entrouverte, elle ne le voit pas. Le regard qu’il porte sur sa fille est troublant. Un sentiment incestueux imprègne la séquence. Dès le début, le rôle de Sam n’est pas clairement défini, on pourrait le prendre pour un inspecteur, mais non, il est le médecin-chef de l’hôpital. Sam / Cassavetes est au centre du dispositif.
Incubus déstabilise d’emblée par la crudité du langage, inhabituel dans le genre. Les détails des agressions sur les filles sont donnés, des litres de sperme déversés dans leurs vagins. On assiste à un glissement vers le polar, à une série de viols, avant que le médecin ne découvre que le sperme est celui d’une seule et même personne. Le film est sérieux, même si l’on se dit que l’Incubus aura bien du mal à se « reproduire » en défonçant de la sorte ses pauvres victimes. Qu’importe, le déroulement en vaut la peine.
Le scénario tire sa force de sa réécriture. L’approfondissement de l’aspect psychologique de Sam, son transfert sur la journaliste Laura (Kerrie Keane). Tout est déstabilisant et c’est tant mieux. John Hough profite au maximum de John Cassavetes, le plaçant au milieu des autres acteurs pour saisir tout le flottement et les hésitations qui peuvent surgir de jeux diamétralement opposés. Cassavetes pousse au maximum le scénario (et ses partenaires de jeu) vers une zone d’incertitude. Incubus est flippant parce que fonctionnant à plusieurs niveaux et chaque strate ajoute une dimension à glacer le sang.
John Hough reste un réalisateur insaisissable. Sa carrière est partagée entre œuvres singulières et films estampillés Walt Disney production. Une sorte de grand écart pour un cinéaste à la personnalité plus affirmée que des réalisateurs maison comme Robert Stevenson ou Vincent McEveety. John Hough est né à Londres en 1941 dans un milieu ouvrier. Passionné de cinéma, il réussit à entrer dans l’industrie et grâce à l’octroi d’une bourse par un syndicat, il peut suivre des tournages et exercer toutes sortes de fonctions. A force de suivre de grands réalisateurs comme Michael Powell, Hough acquiert une technique capable de tranquilliser n’importe quel producteur.
John Hough accède au poste de réalisateur en 1968 sur Chapeau melon et bottes de cuir, après avoir été assistant-réalisateur sur la série. Il réalise son premier film, une coproduction anglo-américaine, Les Inconnus de Malte (Eyewitness, 1970), un thriller écrit par Ronald Harwood (futur scénariste du Pianiste de Roman Polanski). La Hammer le repère et il dirige pour la célèbre firme Les sévices de Dracula (Twins of Evil, 1971), production très sexy avec les sœurs jumelles Mary et Madeleine Collinson et l’incontournable Peter Cushing. Contrairement à ce que laisse supposer le titre français, le film n’a strictement aucun apport avec Dracula. Il s’agit d’une adaptation de Carmilla de Sheridan Le Fanu. La Maison des damnés (The Legend of Hell House, 1973), adaptation par Richard Matheson de son propre roman, l’histoire d’un groupe de scientifiques dans une maison hantée, produit par la 20th Century Fox, est un succès. Réalisateur tous terrains, il se retrouve aux commandes d’une course-poursuite haletante : Larry le dingue, Mary la garce (Dirty Mary Crazy Larry, 1974) avec Peter Fonda et Susan George. Durant les années 70, Hough réalise pour Disney, La Montagne ensorcelée (Escape to Witch Mountain, 1975), Les visiteurs d’un autre monde (Return from Witch Mountain, 1978) et Les yeux de la forêt (The Watcher in the Woods, 1980). Il réussit l’exploit de bien s’entendre avec Bette Davis.
John Hough dirige John Cassavetes pour la première fois dans La Cible étoilée (Brass Target, 1978), film de guerre autour de la mort du général Patton et du vol de l’or de la Reischbank, avec Sophia Loren. Des frictions éclatent entre Loren et Cassavetes. L’actrice lui reproche de ne pas suivre le dialogue alors qu’elle est à la virgule près, tandis que Cassavetes improvise dans l’esprit du script. Loren demande même son renvoi. Le studio refuse. Le tournage se poursuit et John Hough doit se dépatouiller avec deux techniques de jeux différentes. Expérience positive, puisque Hough n’hésite pas à rempiler avec l’acteur pour Incubus.
L’association Cassavetes – Hough fonctionne admirablement, mais il ne faudrait pas minimiser l’apport du réalisateur. Hough réussit de formidables scènes graphiquement très élaborées où tous les meurtres qui ponctuent l’action sont de grands moments de cinéma. L’excellente musique de Stanley Myers soutient l’ensemble avec une indéniable force. Un autre élément est à mettre en avant, l’ambiance sonore du film est vraiment terrifiante. Incubus va au-delà d’un simple terror movie pour ados. Par bien des aspects, c’est un film de genre adulte.
Fernand Garcia
Disparu depuis longtemps des radars, Rimini Editions expurge des oubliettes ce formidable Incubus pour une édition de référence. Le film est proposé pour la première fois (en France) en combo Blu-ray –DVD. Le master HD est formidable, en compléments des documents précieux : Comment je suis devenue l’Incube ? entretien avec l’actrice Kerrie Keane (21 minutes). L’épouvante à la télévision, entretien avec John Hough (26 minutes). Incubus hors-cadre, entretien avec le directeur de la photographie : Albert J. Dunk (27 minutes). Trois entretiens passionnants où ils reviennent longuement sur leurs carrières respectives et sur le tournage d’Incubus. Enfin, la bande-annonce originale (2 minutes). Un livret : Incubus, Sex machine de Marc Toullec (20 pages), accompagne cette excellente édition.
Incubus un film de John Hough avec John Cassavetes, Kerrie Keane, Helen Hughes, Erin Flannery, Duncan McIntosh, John Ireland, Harvey Atkin, Harry Ditson… Scénario : George Franklin d’après le roman de Ray Russell. Directeur de la photographie : Albert J. Dunk. Décors : Ted Watkins. Effets spéciaux : Colin Chilvers. Montage : George Appleby. Musique : Stanley Myers. Producteurs : Stephen Friedman, Marc Boyman et John M. Eckert. Production : Marc Boyman Production – Mark Films – John M. Eckert Productions LTD. – FVI – Film Ventures International. Canada. 1981. 92 minutes. Couleur. Panavision. Format image : 1.85 :1. 16/9e. Son : Version originale avec ou sans sous-titres français et Version française. DTS-HD. Interdit aux moins de 16 ans.