Here – Les plus belles années de notre vie – Robert Zemeckis

Alors qu’ils s’apprêtent à quitter leur foyer où ils ont vécu pendant plus de soixante ans, Margaret et Richard Young pensent à toutes les personnes qui ont occupé cet espace avant eux ; des parents de Richard, aux ancêtres de ceux-ci, en passant par ceux qui ont construit la maison, les autochtones qui y étaient avant qu’elle n’existe, jusqu’aux dinosaures qui ont jadis dominé son territoire. Margaret et Richard s’interrogent sur tout ce que cet espace a vécu, sur toutes les histoires qu’il a vu défiler, et sur celles qui succéderont à la leur… Voyage unique à travers le temps, Here raconte l’histoire de familles dont les peines, les joies, les espoirs et les moments de doutes se font écho à travers les générations.

A travers les âges et les époques, des générations d’hommes et de femmes défilent dans un seul et unique espace situé en Nouvelle-Angleterre aux États-Unis. De la préhistoire à nos jours, en défiant le temps, ce lieu sera le témoin unique de l’évolution de l’humanité et deviendra le théâtre de vies entremêlées, d’histoires d’amour, de conflits et de découvertes.

Film conceptuel au dispositif pour le moins original et intriguant, Here s’inspire de la nouvelle graphique en noir et blanc du même titre conçue par Richard McGuire à la fin des années 1980 pour le prestigieux et avant-gardiste magazine RAW, avant d’être republié il y a dix ans comme « roman graphique » dans une édition augmentée et colorisée qui a été récompensée du Fauve d’or au Festival d’Angoulême en 2016.

« J’ai instantanément été fasciné par le concept de ce roman graphique. Je m’étais dit que ça ferait un film extraordinaire. J’ai donc décidé de l’adapter, car selon moi, pour raconter le passage du temps, le cinéma est le plus puissant média qui soit. » Robert Zemeckis.

Comptant parmi les cinéastes majeurs à Hollywood, Robert Zemeckis est le réalisateur, entre autres, des comédies Crazy day (I Wanna Hold Your Hand, 1978) et La Grosse magouille (Used Cars, 1980) avec Kurt Russell, du déjà excellent A la poursuite du diamant vert (Romancing the Stone, 1984) avec Michael Douglas et Kathleen Turner, de l’incontournable et intemporelle trilogie Retour vers le futur (Back to the Future, 1985 ; Back to the Future Part II, 1989 et Back to the Future Part III, 1990) avec Michael J. Fox et Christopher Lloyd, du déjà novateur techniquement Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (Who Framed Roger Rabbit, 1988) avec Bob Hoskins et Christopher Lloyd, de La Mort vous va si bien (Death Becomes Her, 1992) avec Meryl Streep, Goldie Hawn, Bruce Willis et Isabella Rossellini, de l’immanquable chef d’œuvre Forrest Gump (1994) avec Tom Hanks, Robin Wright et Gary Sinise, de Contact (1997) avec Jodie Foster, du magnifique Seul au monde (Cast Away, 2000) avec Tom Hanks, du parfait Apparences (What Lies Beneath, 2000) avec Harrison Ford et Michelle Pfeiffer, mais aussi du Pôle Express (The Polar Express, 2004) avec Tom Hanks, La Légende de Beowulf (Beowulf, 2007), de l’impressionnant Flight (2012) avec Denzel Washington, Don Cheadle, Kelly Reilly et John Goodman, The Walk (2015) avec Joseph Gordon-Levitt, Ben Kingsley et Charlotte Le Bon, Alliés (Allied, 2016) avec Brad Pitt et Marion Cotillard, ou encore de Bienvenue à Marwen (Welcome to Marwen, 2018) avec Steve Carell.

Œuvre marquée par un intérêt certain pour les expérimentations à la fois visuelles et techniques, comme en témoigne son impressionnante et remarquable filmographie, Robert Zemeckis a toujours aimé combiner les défis techniques et artistiques. De plus, comme nombre de ses films, Here nous raconte un voyage à travers le temps mais avec la particularité ici d’être effectué dans un cadre unique où tout ce qui est raconté passe par un seul point de vue en un seul et prodigieux plan-séquence fixe. Un plan-séquence à l’intérieur duquel les strates temporelles s’enchainent sans chronologie pour mieux se répondre en faisant la lumière sur les éternelles émotions de l’homme à travers les âges.

Construit comme un puzzle où les espace-temps s’harmonisent parfaitement les uns avec les autres grâce à l’intelligence du montage, Robert Zemeckis a co-écrit le scénario de Here avec le scénariste Eric Roth qui n’est autre que le scénariste de Forrest Gump. Eric Roth a entre autres, également signé ou cosigné les scénarios des films Wolfen (1981) de Michael Wadleigh, Suspect dangereux (Suspect, 1987) de Peter Yates, Drôles de Confidences (Memories of me, 1988) de Henry Winkler, Mr. Jones (1993) de Mike Figgis, Postman (The Postman, 1997) de Kevin Costner, L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux (The Horse Whisperer, 1998) de Robert Redford, Révélations (The Insider, 1999) de Michael Mann, Munich (2005) de Steven Spielberg, Raisons d’Etat (The Good Shepherd, 2006) de Robert De Niro, Lucky You (2006) de Curtis Hanson, L’Etrange histoire de Benjamin Button (The Curious Case of Benjamin Button, 2008) de David Fincher ou encore plus récemment de Killers of the Flower Moon (2023) de Martin Scorsese.

« Nous nous connaissons tous si bien. Chaque fois que nous avons une réunion ou une conversation, il y a une règle de droit qui dit que toute suggestion doit être écoutée. L’une des choses que Bob [Zemeckis] dit toujours, c’est : « Que pensez-vous de ceci ? » et nous commençons à mélanger les idées… » Tom Hanks.

Robert Zemeckis à la mise en scène, le scénario co-écrit avec Eric Roth, ajouter à cela la présence du directeur de la photographie Don Burgess à qui l’on doit la photographie de tous les films de Robert Zemeckis depuis Forrest Gump, la présence du compositeur Alan Silvestri qui a entre autres composé toutes les musiques de film du réalisateur depuis A la poursuite du diamant vert, et bien évidemment celle du couple que forment Tom Hanks et Robin Wright à l’écran dans les rôles principaux, Here marque, trente ans plus tard, les retrouvailles de l’équipe de Forrest Gump.

Comme dans Forrest Gump, truffé d’éléments qui évoquent les fantômes de l’Histoire des États-Unis, le scénario de Here raccorde la (les) petite(s) histoire(s) à la grande. Comme les lieux sont chargés de l’histoire des personnes qui nous ont précédés, les personnages du film et leurs histoires personnelles viennent admirablement répondre à la grande Histoire.

« Lorsque vous faites un film qui se déroule à travers une seule position de caméra au fil des siècles, chaque scène doit s’inscrire dans ce cadre. Cela semble très simple, mais pour que chaque scène fonctionne pour chaque personnage à chaque époque, cela devient le décor le plus compliqué que vous puissiez imaginer. » Robert Zemeckis.

Véritable défi, la particularité du film est qu’il se déroule dans un lieu unique et qu’il est filmé avec un seul angle de caméra. Afin d’obtenir une grande profondeur de champ et matérialiser à l’écran cette idée du temps qui passe, cette idée des instants présents qui se superposent à l’infini dans un cadre, un espace qui lui ne change pas, Robert Zemeckis a donc dû développer un nouvel objectif avec la société Panavision et utiliser principalement les décors, ou plus précisément, le décor. Ce sont les différents styles, les différentes modes, les différents meubles et accessoires du quotidien, mais aussi les différentes personnes qui habitent ou ont habité la maison, qui constituent le décor du film et traduisent le passage du temps de la manière la plus ingénieuse. Numérique, le décor sera renforcé par l’utilisation du maquillage, lui aussi entièrement numérique.

« Il y a des choses dont nous devons évidemment tenir compte pour l’avenir du cinéma car l’IA peut devenir une chose dangereuse. Pour le maquillage numérique que j’ai utilisé dans le film, il n’y a rien d’animé, tout part de vraies prestations d’acteurs. » Robert Zemeckis.

Pour représenter les comédiens à l’écran à des âges différents, le réalisateur a travaillé avec le studio d’effets visuels Metaphysic. Ce dernier a utilisé la technologie appelée Metaphysic Live. Basée sur l’intelligence artificielle, cette technologie s’est « nourrie » de milliers d’images d’archives des comédiens pour créer des maquillages numériques qui ont permis de les vieillir ou de les rajeunir en direct sur le plateau de tournage, des moniteurs permettant à l’équipe de voir en temps réel à quoi ressemblaient ces derniers avec et sans maquillage numérique lorsqu’ils jouaient. Ainsi, les visages que l’on peut voir dans le film sont comme des synthèses de leur propre passé, à la fois identiques et différents de l’image que nous avions d’eux. Plus souple et plus pratique que la technique traditionnelle, la Metaphysic Live a permis aux comédiens de s’assurer que leurs gestuelles et leurs postures correspondent au mieux à l’âge qu’ils incarnaient mais également à leurs infimes expressions du visage de se manifester à l’écran, leur laissant ainsi la liberté de bouger et d’exprimer leurs émotions et sentiments de la manière la plus naturelle, sans contrainte de prothèses ou de maquillages.

Fenêtre sur le monde, si Zemeckis utilise le poste de télévision pour replacer la vie ordinaire des individus face à l’Histoire et nous rappeler ainsi que nous en faisons tous partie, la vraie fenêtre de la pièce est la seule ouverture que l’on a sur l’extérieur. Pour nous montrer ce qui se passe à l’extérieur par la fenêtre Zemeckis a utilisé la technologie LED. Remplaçant le traditionnel fond vert, comme avec la Metaphysic Live pour les acteurs, cette technologie a permis au cinéaste de projeter les images du décor virtuel directement sur le plateau.

A l’image de tous les choix esthétiques et parti-pris formels (qu’ils soient techniques ou narratifs) du réalisateur, inédit, le dispositif mis en place pour les effets numériques vient lui aussi servir le propos du film. Présente dans toute l’œuvre de Robert Zemeckis, la technologie a toujours été utilisée dans le but de servir ses films et sa vision du cinéma. Passionné et à la pointe de l’innovation, ce dernier a toujours utilisé la technologie à des fins artistiques.

« On devait maîtriser chaque scène. Avec Bob [Zemeckis] et Tom [Hanks], on reprenait les scènes afin de tout régler […] Comme on ne coupe pas pour faire un gros plan ou un plan moyen, il fallait déterminer qui entre dans le cadre, qui s’avance vers la caméra pour apparaître en gros plan, qui demeure dans le plan large. C’était comme une danse que nous avions à créer ensemble. » Robin Wright.

Magnifiquement interprétés par Tom Hanks et Robin Wright, les personnages principaux du film sont comme sortis d’un tableau de Norman Rockwell. De renoncements en concessions et conciliations, entrant ou sortant du champ de la caméra, s’éloignant ou s’approchant tantôt d’elle pour obtenir un gros plan, effectuant comme une chorégraphie millimétrée, Richard et Margaret avancent inéluctablement vers la vieillesse et la mélancolie. Comme leurs prédécesseurs dans la maison, tout en douceur, à l’image des instants de vie évanescents, ils se volatiliseront pour bientôt faire partie de l’Histoire. L’homme ne fait plus qu’un avec l’univers.

Aux côtés du couple star, on retrouve à l’affiche du film de nombreux autres comédiens dont l’acteur Paul Bettany (Chevalier, 2001, de Brian Helgeland ; Dogville, 2002, de Lars von Trier, Master & Commander : de l’autre côté du monde, 2003, de Peter Weir ; Da Vinci Code, 2006, de Ron Howard ; Margin Call, 2011, de J.C. Chandor…) ou encore l’actrice Kelly Reilly (L’Auberge Espagnole, 2002, de Cédric Klapisch ; Madame Henderson présente, 2005, de Stephen Frears ; Sherlock Holmes, 2009, de Guy Ritchie ; Calvary, 2014, de John Michael McDonagh ; Mystère à Venise, 2023, de Kenneth Branagh…) que Robert Zemeckis avait déjà dirigée dans Flight en 2012.

Face aux vertigineuses notions de temps et d’éternité, l’homme ne peut que ressentir de la vacuité pour sa propre existence. Comment se fait-il qu’en dépit du temps nous demeurons les mêmes ? Quelle est notre place dans l’univers ? Quel est le sens de la vie ? Dans la réalité, le temps n’existe pas. Il est une invention de l’homme pour se repérer dans l’espace. Le passé n’existe pas plus que le futur. Seul l’instant présent existe réellement. La vie n’est donc qu’une suite d’instants présents. Si, comme on le dit communément, le temps « passe » de manière inéluctable, l’espace dans lequel nous sommes, lui, reste constant. Comme nous le montre formidablement le film, le temps ne change en rien les fondements de ce qui caractérise l’homme ou l’humanité. Rien ne sert donc de courir après « le temps perdu », c’est une perte de temps. Ce sont tous les instants de la vie qui sont profondément importants. Il faut profiter du moment présent. Comme le disait Horace : « Carpe Diem, quam minimum credula postero » (« Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain »). Sublimés par le cinéaste, c’est par le biais des instants « simples » et « anodins » de la vie quotidienne, ceux à côté desquels nous passons trop souvent, que celui-ci insuffle la puissance symbolique et poétique du film qui va faire surgir l’émotion. Peinture de nos joies comme de nos peurs et incertitudes, l’histoire de Here parle de rêves, d’ambitions, de combats et de défaites que nous avons tous connus. L’histoire de Here est universelle. Imperceptibles par l’œil humain, mais merveilleusement captés par celui du cinéaste, les liens qui unissent les êtres du film participent eux aussi à susciter l’émotion du spectateur.

Mais si les individus doivent profiter du moment présent, ils doivent aussi garder l’Histoire en conscience. L’Histoire doit toujours être présente en nous. C’est notre mémoire qu’il ne faut pas perdre si l’on veut avancer. A l’instar du cinéma, notre mémoire empêche le temps d’effacer le passé. La culture est la clef de notre avenir. Sans la connaissance du passé, notre présent n’a aucun avenir.

C’est cette réalité que vient brillamment traduire Robert Zemeckis dans Here en utilisant (en inventant) une forme venant idéalement répondre à l’idée qu’il souhaite développer. Visuellement et techniquement éblouissante, l’esthétique formelle que le cinéaste utilise pour le film vient dans le même temps divinement répondre et servir son sujet. A l’image d’une installation d’art contemporain, la forme qu’il a choisie pour réaliser Here est donc comme la matérialisation, comme une traduction cinématographique de l’idée même que le film nous expose. Elle lui donne tout son sens.

A travers Here, Robert Zemeckis nous livre une réflexion aussi originale que singulière sur le temps, la vie, la mémoire et l’immortalité. Une réflexion à la fois visuelle et intellectuelle sur le temps et l’espace. Une réflexion à la fois formelle et philosophique sur l’immortalité de l’instant présent, l’immortalité du temps de la vie. Une réflexion cinématographique sur l’espace, le temps, la vie, la mémoire et le médium cinématographique lui-même. Le cinéma dont l’« œil » permet de capturer l’instant présent et de le fixer pour l’éternité, de l’immortaliser.

D’une beauté et d’une maitrise formelle vertigineuse, Here est un film qui respire la vie. Here raconte l’homme et toute l’humanité. Immense fresque spatio-temporelle, Here raconte le monde et tout l’univers. A la fois ambitieux et bouleversant, Here est une puissante expérience cinématographique. Merveilleux. Magistral. Du grand cinéma.

Steve Le Nedelec

Here – Les plus belles années de notre vie (Here), un film de Robert Zemeckis avec Tom Hanks, Robin Wright, Paul Bettany, Kelly Reilly, Michelle Dockery, Gwilym Lee, Ophelia Lovibond, David Fynn… Scénario : Eric Roth et Robert Zemeckis d’après le roman graphique de Richard McGuire. Image : Don Burgess. Décors : Ashley Lamont. Costumes : Joanna Johnston. Montage : Jesse Goldsmith. Musique : Alan Silvestri. Producteurs : Bill Block, Jack Rapke et Robert Zemzckis. Production : Miramax – ImageMovers. Distribution (France) : SND Films (Sortie le 6 novembre 2024). États-Unis. 2024. 1h44. Couleur. Format image : 1,85:1. Dolby Digital. Dolby Atmos. Tous Publics.