Une nuit de pleine lune. Un fils de famille fonce dans la nuit, ses enceintes crachent du hard rock. Un miséreux bout de bois sur le bas-côté indique qu’il est sur la route de Jannat Pur. Il évite de justesse un étrange personnage planté en plein milieu de la route. Le jeune homme s’en sort ric-rac, il est seul sur la route. Sa voiture est dans un sale état. D’un pas hésitant, il s’aventure dans la forêt… un coup de pelle lui fracasse le crâne, puis s’acharne sur lui… Pas de doute, « nous sommes sur la route de l’enfer, mes enfants !… »
L’entrée en la matière est digne d’une production américaine sauf que, dans le cas présent, Hell’s Ground est Pakistanais. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Après ce début tonitruant, Omar Ali Khan enchaîne sur des extérieurs d’Islamabad, dans un style documentaire, on découvre la faune humaine, vendeurs de journaux, cuisiniers des rues, taxis, etc. qui dès le matin animent la vie de la capitale. De ce grouillement de vie, Ali Khan se focalise sur cinq personnages, dont quatre qu’il présente en situation avant de les réunir. Roxy (Rubya Chaudhry) est une jeune étudiante oisive issue d’un milieu aisé mondialiste, traîne dès le matin, plus encline à entrevoir sa soirée que de préparer ses études. Ses parents ont mis à sa disposition une bonne à tout faire qui répond par l’affirmative à tous ses caprices.
Plus loin dans la ville, Simon (Haider Raza) habite lui aussi avec ses parents, mais c’est un pauvre, il est le fils de gens humbles. Son père ne supporte plus la corruption des élites ni le prêche permanent des islamistes à la télévision. Simon doit faire avec ses remontrances concernant ses amis de la bourgeoisie. Ayesha (Rooshanie Ejaz) est de condition sociale plus élevée, c’est une bonne fille taciturne. Sa mère l’élève seule depuis le décès de son mari. OJ (Osman Khalid Butt) est un fan de film d’horreur, fumeur de joints, dans sa chambre bordélique trône l’affiche de Maniac de William Lustig et le sol est jonché par une pléthore de DVDs: Showgirls, Zodiac, Dracula au Pakistan, etc. Enfin, Vicky (Kunwar Ali Roshan), le playboy de la bande, débrouillard; son origine sociale est incertaine.
Nos jeunes ont un but: aller au concert du plus grand groupe rock du Pakistan, concert à 5 heures de route de la capitale. Evidemment, nous sommes dans un film d’horreur, et ils finiront par emprunter la route de l’enfer. Dans la grande tradition du film d’horreur depuis Massacre à la tronçonneuse, nos jeunes quittent la ville dans un van WV.
Cette jeunesse que met en scène Omar Ali Kahn représente les aspirations d’une génération qui revendique ses droits à plus de liberté, de justice sociale et d’indépendance. Le film surprend par la présentation des ses personnages féminins, elles ne sont en rien dans le cliché des femmes musulmanes voilées. Rien ne recouvre leurs cheveux. Les deux filles sont modernes à leur façon avec un même désir de liberté. Roxy est en débardeur, plus vive, indépendante, elle rêve de retourner aux Etats-Unis. Ash (abréviation certainement en hommage au héros d’Evil Dead) aspire elle aussi à une certaine forme d’indépendance, même si elle cache entre ses seins son médaillon Dieu est grand. L’autre surprise est le côté gore de Hell’s Ground. Les zombies errants se délectant, le temps d’une pause, de la chair humaine comme dans un Romero. Paysage balisé du genre avec ses étranges apparitions, personnages inquiétants, tel Deewana (interprété par Rehan, héros du cultissime Dracula au Pakistan), sorcière, prophète fou, son incroyable tueur et ses lieux cauchemardesques : forêt inquiétante, la cabane de l’horreur, etc. toute la panoplie du genre est convoquée.
Pourtant l’horreur véritable apparaît en filigrane à travers le récit, c’est le quotidien des populations pauvres qui doivent vivre près de cours d’eau pollués par les ordures ménagères, les produits chimiques que les grandes compagnies y déversent en toute impunité, eau impropre que, faute de mieux, les gens de ses zones déshérités sont contraints de consommer. Les manifestations et les protestations que montre Ali Khan ne changent rien à l’affaire. Comme l’admet l’un des personnages au détour d’un dialogue : « La moitié de la population vit dans le luxe, alors que l’autre moitié est encore à l’âge de pierre ! ». Hell’s Ground est un film de genre dans lequel se glisse un terrible constat social et politique. Ce constat cache aussi une sévère critique de la tendance religieuse radicale. Les discours des imams radicalisés pullulent dans les médias, malaise accentué par le tueur fou renvoyant visuellement directement aux talibans et leurs exactions sanguinaires.
Il faut féliciter le travail de défricheur de l’éditeur Badlands et la qualité de l’appareil critique qu’il propose aux cinéphiles. Grâce aux différents intervenants présents dans cette édition, on a un aperçu du cinéma de genre dans cette partie de l’Asie méridionale. Ainsi au Pakistan, durant les années 80, il y eut une trentaine de films fantastiques à destination d’un public avide de sensations fortes. Durant cette période, les 7 frères Ramsay ont réinventé le cinéma horrifique indien sous l’influence de Mario Bava. En 1990, apparaissait un cinéma croisement d’érotisme et horreur. Il est trop libre pour les fanatiques religieux qui s’attaquent aux cinémas, à leurs yeux des lieux de débauche. Voir un film devient alors un acte de bravoure, de rébellion. Dans cette édition fort bien conçue, l’éditeur ajoute le film culte Dracula au Pakistan, œuvre fondatrice du fantastique pakistanais à laquelle Hell’s Ground rend hommage. Une édition qui mérite le détour.
Fernand Garcia
Hell’s Ground une édition Badlands avec en double programme Dracula au Pakistan (Zinda Laash) de Khwaja Sarfraz (1967, noir et blanc, VOSTF, 103 min). En complément : Aux racines du cinéma fantastique Pakistanais, une histoire du cinéma par Bastian Meiresonne et Logan Boubady, véritable mine d’informations sur une cinématographie méconnue avec de nombreux extraits (37 min). Hell’s Ground présentation par Bastian Meiresonne et Logan Boubady (13 min). Dracula au Pakistan présentation par Bastian Meiresonne et Logan Boubady (10 min). Les bandes-annonces de Hell’s Ground et de deux autres titres chez le même éditeur et fort recommandables : L’aiguille et La bouche de Jean-Pierre.
Hell’s Ground (Zibah Khana) un film d’Omar Ali Khan avec Kunwar Ali Roshan, Rooshanie Ejaz, Rubya Chaudhry, Haider Raza, Osman Khalid Butt, Rehan, Najma Malik… Scénario : Omar Ali Khan et Pete Tombs d’après une histoire d’Omar Ali Khan. Image : Najaf Bilgrami. Décors et costumes : Fatima Ayaz & Amina Baig. Montage : Andrew Starke. Musique : Stephen Thrower. Producteurs : Omar Ali Khan, Andrew Starke & Pete Tombs. Production : Mondo Macabro Movies – Bubonic Films. Pakistan – Grande-Bretagne. 2007. 77 minutes. Format image : 1.78 :1. Son Dolby : VO STF 5.1.