Francis Ford Coppola, Parrain de « Toute la mémoire du monde »
« Parrain » prestigieux de cette 3ème édition de « Toute la mémoire du monde », amoureux du cinéma, maître dans son Art, soucieux et concerné par ces questions de collectes, de sauvegardes, de restaurations et de diffusions du patrimoine cinématographique, Francis Ford Coppola a honoré le Festival de sa présence et de sa participation active. Avec la présentation de son film Peggy Sue s’est mariée (Peggy Sue got married, 1986) en ouverture de la manifestation, mais aussi de Tucker (Tucker: The man and his dream, 1988), Coup de Cœur (One from the Heart, 1982), et Le Parrain (The Godfather, 1972), Le Parrain, 2e partie (The Godfather : Part II, 1974) et Le Parrain, 3e partie (The Godfather : Part III, 1990) à l’occasion d’une nuit exceptionnelle, mais encore, avec sa Master Class, et sa conférence à propos de la restauration de Napoléon (1927) d’Abel Gance suivie d’un dialogue avec Costa-Gavras, ce grand cinéaste du « Nouvel Hollywood », tout comme William Friedkin l’an passé, était au cœur même de cette nouvelle édition de « Toute la mémoire du monde ». Accueilli avec ferveur par un public admiratif venu nombreux, c’est avec un réel plaisir partagé que Francis Ford Coppola est venu passer la semaine à la Cinémathèque.
Né en 1939 à Détroit dans le Michigan (États-Unis), Francis Ford Coppola intègre le département cinéma d’UCLA en 1960 et entre très tôt « en guerre » contre le système des studios. Il est animé par une volonté de faire « renaître » un nouvel âge d’or du cinéma américain. Trois ans plus tard, il rencontre Roger Corman qui lui met le pied à l’étrier en lui confiant la seconde équipe technique sur le tournage de The Young Racers mais aussi surtout, en lui permettant de réaliser, à 24 ans, son premier long métrage Dementia 13 (1963) avec des bouts de ficelles. Aux côtés de Corman, Coppola va apprendre à négocier, à rebondir, à ruser, à affirmer sa personnalité, sa liberté. Habité par le cinéma, véritable touche-à-tout, il intègre la compagnie Seven Arts en 1966 et signe, en plus de ceux de ses propres films, les scénarios de Propriété interdite de Sydney Pollack, Paris brûle-t-il ? de René Clément, ou encore Patton de Franklin J. Schaffner, qui lui vaut l’Oscar du Meilleur Scénario en 1971. Son film suivant, You’re a Big Boy Now (1966), critique féroce de la famille américaine, est, dans le même temps, un clin d’œil à la Nouvelle Vague du cinéma français. Le film sera en compétition au Festival de Cannes en 1969. Ami entre autres avec George Lucas, Brian De Palma, William Friedkin, Steven Spielberg et Martin Scorsese, Coppola fait partie de ce que l’on a appelé en France, « Le Nouvel Hollywood ».
C’est d’ailleurs avec son ami et assistant George Lucas qu’il fonde en 1969 la société « American Zoetrope » dont la première production ne sera autre que THX 1138, le premier long métrage de Lucas. Dix ans plus tard, comme pour marquer sa différence avec les Studios Hollywoodiens basés à Los Angeles, il installe les siens à San Francisco.
Le succès arrive en 1972 avec son adaptation du Parrain qui, avant d’en tourner la suite, lui permet de réaliser en 1973, l’excellent Conversation secrète (The Conversation), œuvre plus personnelle pour laquelle il remporte sa première Palme d’ Or au Festival de Cannes en 1974. Suite au nouveau succès critique et commercial du deuxième volet du Parrain, sorti aux Etats-Unis à la fin de l’année 1974, Coppola entreprend en 1976 le tournage de l’immense Apocalypse Now. Ce dernier durera trois ans et sera le plus éprouvant de la carrière du réalisateur. Cinq ans après celle obtenue pour Conversation secrète, Apocalypse Now offre une seconde Palme d’ Or à Coppola au Festival de Cannes en 1979.
Alternant films de commande et œuvres personnelles dans sa filmographie, désireux d’expérimenter de nouveaux langages avec de nouvelles techniques, en 1982, il réalise Coup de Cœur dont l’échec retentissant le force à réaliser ensuite des films « moins » importants mais qui fonctionneront mieux auprès du grand public Outsiders (1983), Rusty James (Rumble Fish, 1984)). Mais l’échec commercial de Cotton Club en 1984 va encore une fois endetter le réalisateur et le pousser à accepter de réaliser de nouveau des films de commande.
C’est en 1991 avec le troisième et dernier volet du Parrain que Coppola retrouve son aura de grand cinéaste et qu’il renoue avec le succès critique et commercial. En 1992, sa version érotisée du roman fantastique de Bram Stoker, Dracula, rend certes hommage au roman par son sujet, mais surtout à Nosferatu le vampire, chef d’œuvre du cinéma expressionniste allemand réalisé par Friedrich Wilhelm Murnau en 1922, par sa forme. Il préside la 49ème édition du Festival de Cannes en 1996 qui décerne la Palme d’ Or à Secret et mensonges de Mike Leigh, le Grand Prix à Breaking the Waves de Lars von Trier, le prix du Jury à Crash de David Cronenberg ou encore le Prix de la mise en scène à Fargo de Joel et Ethan Coen.
Après son adaptation en 1997 du roman de John Grisham, L’Idéaliste, Coppola se consacre presque exclusivement à la production avec les films réalisés par sa fille Sofia. Virgin Suicides (1999), Lost in Translation (2003), Marie-Antoinette (2005), mais encore Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête (1999) de Tim Burton, Jeepers Creepers, le chant du diable (2002) de Victor Salva, Assassination Tango (2004) de et avec Robert Duvall, Raisons d’État (2007) de et avec Robert De Niro,… Il attend près de dix ans avant de s’atteler à un nouveau projet de réalisation.
L’Homme sans âge (Youth Without Youth, 2007) marque son retour à un cinéma d’auteur totalement libre et indépendant qu’il affectionne et réitère avec ses films suivants, Tetro (2009) avec Vincent Gallo, une saga familiale qui sera présentée à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, et Twixt (2012) avec Val Kilmer et Bruce Dern.
C’est donc sur son parcours dans les années 1980 qu’est revenu le réalisateur lors de sa Master Class animée par Serge Toubiana et Frank Scheffer, l’un des deux réalisateurs, avec Paul Cohen, du passionnant documentaire Zoetrope People (1980), une immersion dans les studios de Coppola qui rend compte des nouvelles méthodes de tournage, inédit en France et présenté aux spectateurs venus nombreux (salle comble), en introduction à cette rencontre très prisée avec le cinéaste.
Une décennie où l’enfant prodige du cinéma, porté, galvanisé par les succès de ses films des années 70 (Le Parrain I et II, Apocalypse Now) et toujours à la recherche d’une indépendance économique et artistique, a fondé son propre studio de cinéma à San Francisco se mesurant alors avec audace aux Majors Hollywoodiennes.
En salariant ses collaborateurs, il devient le maître de toute la chaîne de production. Sa société de production American Zoetrope connaît alors un nouveau tournant. Mais Coppola a très vite dû faire face à de nombreuses déconvenues commerciales et accepter de réaliser des films de commande. Il s’est réinventé en permanence afin de protéger, de conserver sa liberté artistique. C’est son film Coup de Cœur qui sera le premier projet du studio. Le film est conçu, pensé et annoncé à la fois comme l’aboutissement d’un rêve mais aussi surtout comme l’avènement d’un changement dans l’industrie du cinéma. Mais l’échec commercial retentissant du film qui devait être le fer de lance des nouvelles méthodes de travail, de tournages et de recherches techniques et artistiques, oblige Coppola, endetté, à fermer ses studios. Durant les années 80, sa vie professionnelle et personnelle sera conditionnée et intimement liée à celle d’American Zoetrope.
La présence au Festival de Francis Ford Coppola, ayant-droit monde du film d’Abel Gance, Napoléon (1927), a donné l’occasion, à l’heure où la Cinémathèque Française entreprend de restaurer la version « intégrale » du film, d’une rencontre autour de ce projet titanesque de restauration, officiellement annoncé par Costa Gavras et Coppola lui-même. Après six années de travaux préparatoires commence donc la restauration du chef d’oeuvre d’Abel Gance, sous la direction de Georges Mourier, réalisateur et chercheur, et avec le soutient du CNC. Le réalisateur a évoqué sa fascination pour ce film hors normes à plusieurs titres, tant par sa créativité avec ses innovations formelles, ses figurants, son casting ou son montage musical que par son incroyable destin.
Montré dans deux versions en 1927, une de 4h présentée à l’Opéra de Paris et l’autre de 9h30 présentée au Théâtre Apollo, Napoléon, plébiscité à l’époque et oublié vingt ans plus tard, compte aujourd’hui pas moins de 22 versions différentes et de 5 restaurations argentiques qui font de cette oeuvre un cas unique dans l’histoire du cinéma. Après plusieurs remontages et différentes versions effectuées par Abel Gance jusqu’en 1971, le montage définitif du film est aujourd’hui estimé entre 6h30 et 6h45. En 1949, Henri Langlois avait déjà tenté d’obtenir une version muette la plus complète possible. Les multiples interventions sur le film ayant eu lieu indistinctement sur les deux versions originelles à différentes époques et utilisant donc différentes techniques et méthodes l’ont inévitablement rendu illisible et ont bloqué sa situation. Les recherches et l’expertise menées depuis 2007 par Georges Mourier à la Cinémathèque, croisées avec l’étude des archives papiers ont permis d’établir la liste et l’ordre des scènes avec leur métrage respectif de la version Apollo. La Cinémathèque Française est donc aujourd’hui en mesure de lancer, dans les laboratoires Éclair, les travaux de la première restauration numérique de ce chef-d’oeuvre légendaire dans une version qui permettra de proposer le film dans une durée d’environ 6h25 qui restituera l’ensemble au plus près du montage originel et dans la rythmique musicale souhaité par Gance en 1927. Le rendez-vous est pris dans deux ans pour découvrir ce chef-d’oeuvre tel qu’il n’a plus été vu depuis près d’un siècle (90 ans).
Steve Le Nedelec