Jeune employé de banque désabusé et maltraité, le timide Im Dae-ho n’est pas épanoui dans son travail : en plus de ses résultats insatisfaisants, il arrive toujours en retard, ce qui attise les foudres de son patron. Fan de catch depuis son enfance, comme exutoire à son ennui, il décide de s’inscrire dans un club afin d’évacuer ses frustrations. Contre toute attente, c’est une véritable révélation pour celui qui se fait désormais appeler Foul King…
A l’occasion de la sortie en salle du nouveau film de Kim Jee-woon, Ça Tourne à Séoul ! Cobweb, le distributeur The Jokers Films, distributeur entre autres du sublime Mademoiselle (2016) de Park Chan-wook et des excellents Parasite (2019) et The Host (2006) de Bong Joon-ho (pour ne parler que du cinéma coréen), a eu l’excellente idée de ressortir en salle dans de nouvelles versions 4K, le 15 novembre prochain, trois de ses premiers films emblématiques, Foul King (2000), Deux Sœurs (2003) et A Bittersweet Life (2005), qui ont participé à la naissance du maître.
Si Foul King est devenu un classique de la comédie sociale coréenne, sa sortie en salle en France aujourd’hui est une première exploitation. En effet, contrairement aux deux autres films du cinéaste (Deux Sœurs et A Bittersweet Life) que ressort The Jokers dans les meilleures salles, Foul King était toujours inédit sur nos écrans. Ce qui fait du film une nouveauté bien qu’il date de 2000.
Né en 1964 à Séoul en Corée du Sud, Kim Jee-woon a commencé sa carrière au théâtre, en tant qu’auteur, metteur en scène et acteur. Il se tourne vers le cinéma au milieu des années 90, travaillant comme assistant-réalisateur pour d’autres avant de réaliser son premier long-métrage en 1998, The Quiet Family, déjà interprété par l’immense Song Kang-ho, avec qui il tournera par la suite Foul King (2000) puis, Le Bon, La Brute, Le Cinglé (2008), incroyable pastiche de western mandchou et hommage à Sergio Leone, The Age Of Shadows (2016), sublime film d’espionnage historique sous l’influence de Melville (L’Armée des ombres) et Verhoeven (Black Book), et Ça Tourne à Séoul ! Cobweb qui vient de sortir sur les écrans en France.
Pionnier du renouveau du cinéma coréen à la fin des années 1990 et au début des années 2000, aux côtés des tout aussi talentueux Bong Joon-ho (Memories of Murders, 2003 ; The Host, 2006 ; Parasite, 2019…) et Park Chan-wook (JSA – Joint Security Area, 2000 ; Old Boy, 2003 ; Mademoiselle, 2016…), Kim Jee-woon est un authentique autodidacte. Cinéphile passionné et éclectique, il explore tous les genres avec succès. Après s’être adonné à la comédie horrifique puis sociale avec The Quiet Family et Foul King, il a enchainé avec le film d’épouvante avec Deux Sœurs (2003), film avec lequel on le découvre en France, puis, le film néo-noir, en hommage au polar noir hongkongais et aux films de yakuzas japonais, avec A Bittersweet Life (2005), le western, en hommage aux western spaghetti et mandchou avec Le Bon, La Brute, Le Cinglé, le thriller avec le démentiel J’ai Rencontré le Diable (2010), le film d’action « hollywoodien » avec Le Dernier Rempart (2012), le film d’espionnage avec The Age of Shadows, le film d’anticipation futuriste avec Illang : La Brigade des loups (2018) et à nouveau avec la comédie avec Ça Tourne à Séoul ! Cobweb (2023).
Au cours de sa carrière, Kim Jee-woon, comme aucun autre réalisateur coréen, n’a cessé de changer de genre à chaque nouveau film tout en racontant toujours des histoires en corrélation avec la réalité du pays. Il s’est réapproprié les genres et leurs codes pour nous offrir un cinéma aussi foisonnant que singulier.
Souvent considéré à tort comme un cinéaste exclusivement centré sur l’esthétique, depuis ses débuts, et comme l’illustre parfaitement Foul King, son goût pour la tragédie, les rapports humains et les personnages confrontés à leur propre solitude, n’est plus à démontrer et fait de lui un conteur remarquable et un défenseur du romantisme.
Kim Jee-woon a écrit le scénario de Foul King en moins de quinze jours. Le film raconte l’histoire d’un employé de banque qui, la nuit, revêt un masque et se transforme en catcheur. L’histoire que raconte le film est d’autant plus intrigante que le catch tient une place particulière dans la vie du réalisateur. En effet, comme les Kim sont l’une des rares familles à posséder un téléviseur dans le quartier dans les années 70, enfant, Jee-woon adorait quand les voisins venaient regarder des matchs de catch à la maison. Submergé par ses souvenirs d’enfance, Kim Jee-woon décide de réaliser une comédie sur le sport avec, en arrière-plan, un traitement original de la réalité économique et industrielle du pays.
« Il n’y a pas de Foul King sans Song Kang-ho. Et s’il avait refusé le rôle ou si les producteurs avaient buté davantage sur son déficit de notoriété, le film n’aurait pas eu lieu. » Kim Jee-woon.
Dans le rôle du timide banquier Im Dae-ho, on retrouve l’immense Song Kang-ho. Pour commencer, il est impossible d’évoquer le cinéma coréen sans mentionner Song Kang-ho, cet acteur prodigieux qui fait partie de ceux qui ont changé la donne dans la culture du pays. Capable d’exprimer, par les seules expressions de son visage, une dimension qui dépasse celle-là même du scénario, de la comédie à la tragédie, Song Kang-ho est capable de tout jouer. Acteur « slapstick » (de l’anglais slap stick, « bâton claqueur » en français, terme utilisé pour décrire un genre comique spécifique caractérisé par l’utilisation d’actions physiques volontairement exagérées, de chutes et de situations burlesques) par excellence, Song Kang-ho est le comédien fétiche des plus grands cinéastes coréens et l’un des acteurs les plus populaires en Corée. Né à Gimhae en Corée du Sud en 1967, Song Kang-ho a commencé sa carrière sur les planches au début des années 90. On le voit pour la toute première fois au cinéma en 1996 dans Le Jour où le Cochon est tombé dans le Puits de Hong Sang-soo, mais c’est son rôle dans No. 3 de Song Neung-han l’année suivante qui le fait vraiment remarquer. Acteur emblématique de la Nouvelle Vague coréenne, son talent est à juste titre apprécié par les cinéastes coréens. Song Kang-ho est incontournable aussi bien chez Kim Jee-woon avec qui il a tourné cinq films, que chez Bong Joon-ho (Memories of Murder, 2003; The Host, 2006; Snowpiercer, 2013; Parasite, 2019) ou encore Park Chan-wook (JSA – Joint Security Area, 2000; Sympathy for Mister Vengeance, 2002; Lady Vengeance, 2005; Thirst, 2009).
Avec Foul King, c’est la première fois que Song Kang-ho se voit confier le premier rôle d’un film. Un risque et un enjeu pour Kim Jee-woon qui ne réalise ici que son deuxième long-métrage. Conscient de l’enjeu pour sa carrière, pour jouer cet employé de banque qui devient catcheur, Song Kang-ho s’entraîne longuement avant le tournage. Les chorégraphies, les gestes et les combats, créés par Kim Jee-woon et Jung Doo-hong, spécialiste des arts martiaux et coordinateur de cascades star en Corée du Sud, sont très réalistes et souvent effectués sans doublure. L’acteur reconnaît d’ailleurs qu’il s’agit là du rôle le plus éprouvant physiquement qu’il ait eu à jouer. Avec le regard unique que porte déjà dans ce film Kim Jee-woon sur celui qui va devenir son complice, Song Kang-ho incarne à la perfection Im Dae-ho, son touchant personnage.
« Avec Song Kang-ho, ce n’est jamais du rire au premier degré, il y a toujours de l’empathie et c’est ça qui m’intéresse » Kim Jee-woon.
Im Dae-ho est un personnage immature qui travaille pourtant dans l’impitoyable milieu de la banque. Son patron le déteste et voudrait le licencier. Pour l’humilier, ce dernier pratique d’ailleurs régulièrement sur lui une clé d’étranglement, métaphore de l’asservissement professionnel, dont Im Dae-ho n’arrive jamais à se libérer. L’employé pense alors que le catch va pouvoir lui apporter la solution. Ce sera pour lui une révélation : sur le ring, son besoin de reconnaissance est satisfait, il n’a plus peur et est le meilleur. Masqué, Im Dae-ho déconstruit sa position sociale et peut enfin être lui-même. « Paradoxalement », c’est masqué qu’Im Dae-ho se dévoile. On peut utiliser les guillemets en parlant ici de paradoxe, car sur cette scène que l’on dit « truquée », où la violence n’est qu’un spectacle chorégraphié, il y a finalement plus de naturel et de liberté que dans la vie professionnelle régie par le capitalisme où la corruption et le mensonge sont légion. A l’aide de son génie comique, Song Kang-ho désamorce comme personne l’héroïsme et l’humour à froid, presque politique, de Kim Jee-woon. L’acteur compose un jeu en parfaite harmonie avec l’univers du cinéaste.
A la fois social et sentimental, au moment de sa sortie en 2000 en Corée, Foul King, que l’on peut traduire par « Le Roi Fourbe », s’impose comme une comédie d’un nouveau genre qui a d’abord décontenancé et déçu les producteurs. Mais face au succès public et critique du film, ces derniers ont dû reconnaitre leur manque de discernement.
A travers le portrait à la fois drôle et touchant d’un homme qui, grâce au sport et à son masque, parvient à se révéler en prouvant ses capacités à ses proches comme à lui-même, et réussit à regagner confiance en lui, Kim Jee-woon nous livre avec Foul King, une brillante critique de la société coréenne contemporaine, de ses carcans, et du monde du travail.
Le geste précis dans sa mise en scène toujours aussi virtuose qu’époustouflante, avec Foul King, Kim Jee-woon signe une comédie burlesque et sociale à la fois tendre et engagée. Une magnifique fable singulière sur la quête de soi dans laquelle l’humour absurde côtoie la poésie avec maestria. Deuxième long métrage, déjà très maitrisé, Foul King annonce la naissance du maître Kim Jee-woon. Immanquable !
Steve Le Nedelec
Foul King (Banchikwang) un film de Kim Jee-woon avec Song Kang-ho, Goo Shin, Chang Jin-young, Park Sang-Myun, Jung Woong-in, Kim Su-ro, Go Ho-kyung, Jang Hang-seon… Histoire : Kim Dae-woo. Scénario : Kim Jee-woon. Directeur de la photographie : Hong Kyung-pyo. Supervision des arts martiaux : Jung Doo-hong. Direction artistique : Hwang In-woon. Décors : Oh Sang-man. Montage : Goh Im-pyo. Musique : Jang Young-gyu (Uh-Uh-Boo). Producteur Lee Mi-yeon. Production : Bom Film Production – KM Cultures. Distribution (France) : The Jokers Films (sortie le 15 novembre 2023). Corée du Sud. 2000. Rétrospective Cinémathèque Française. Tous Publics avec avertissement