Une nuit d’orage sous une pluie battante, une jeune femme court à perdre haleine. Elle se précipite vers un camion arrêté sur le bord de la route. Elle est simplement vêtue d’une courte blouse d’un autre temps. Le routier lui ouvre et découvre une jeune femme en état de choc, salement amochée… Elle s’appelle Anne-Marie (Penny Irving) et son histoire débute quelque temps auparavant à Londres. A une soirée, Anne-Marie, jeune modèle française, se retrouve volontairement à l’écart, gênée par une photo subversive où elle apparaît nue sous la veste d’un Bobby. Un étrange convive engage la conversation avec elle. Il se présente sous le nom de Mark Desade (Marquis de Sade). Intriguée et séduite par ce beau ténébreux, Anne-Marie accepte de le revoir. Très vite, Mark lui propose de faire la connaissance de ses parents…
Flagellations s’ouvre sur un ciel lourd de nuages noirs sur lesquels titre en surimpression indique : « Ce film est dédié à ceux que le relâchement des codes moraux actuels inquiète et qui attendent impatiemment le retour du châtiment corporel et de la peine de mort… » de quoi attiser instantanément notre curiosité et, le moins que l’on puisse dire, que nous n’allons pas être déçus.
Flagellations décrit le calvaire d’Anne-Marie pris au piège dans une ancienne prison par un couple diabolique: la redoutable et perverse Mme Wakehurst (Barbara Markham), ancienne directrice de prison, et son mari, le juge Bailley (Patrick Barr), un vieil homme aveugle à moitié sénile. Dans leur monde clos, face à la décadence des mœurs, ils n’ont rien trouvé de mieux que de « rééduquer » de jeunes femmes coupables, à leurs yeux, de dépravation. Tout est fait dans les règles de l’art. Fouille au corps, passage par le tribunal, condamnation et emprisonnement. Trompée par un belâtre arborant une belle croix en pendentif, Anne-Marie va découvrir ce terrible centre de rééducation. Dès son « arrivée », elle est aussitôt rabaissée par les gardiennes qui la forcent à se dévêtir et à prendre une douche. Anne-Marie a beau hurler, mais rien n’y fait. Dans l’enceinte de cette ancienne prison, c’est toute une société réactionnaire, catholique (Anne-Marie est jugée sous une pancarte proclamant « The World for Christ »), dépassée par l’époque et tente de se venger d’une jeunesse qui bouscule les conventions et l’ordre établi. « Les ordres doivent être respectés » s’entend dire d’emblée Anne-Marie. Ce conservatisme est malade de tant d’années de refoulement. A la liberté sexuelle des jeunes femmes répondent les frustrations et la dépravation morale de la directrice et de ses deux gardiennes. La directrice entretient une relation que l’on suppose incestueuse avec son fils Mark. Bates (Dorothy Gordon), la gardienne, rien que le nom renvoie directement au psychopathe obsédé sexuel incarné par Anthony Perkins dans le chef-d’œuvre d’Hitchcock Psycho. Quant à Walker (Sheila Keith), elle trouve son plaisir à fouetter et à maltraiter les infortunées prisonnières. Dans sa cellule, Anne-Marie fait la connaissance d’une détenue terrorisée et découvre que d’autres femmes sont retenues dans cette maison de redressement. Humiliées et battues en permanence, elles gardent le silence et ont perdu tout espoir de sortir.
Flagellations déroule un implacable scénario mis en scène avec une réelle efficacité. Pete Walker tire le maximum des maigres moyens qu’il s’est mis à sa disposition. Il s’applique et rend le calvaire des jeunes femmes vraiment cauchemardesque. Sa prison, le « cérémonial » d’accueil des prisonnières et de la violence de la société évoque Orange mécanique. Mais, soyons honnêtes, Pete Walker n’a pas l’ampleur ni l’ambition du film de Stanley Kubrick. Pete Walker reste dans le périmètre du cinéma d’exploitation tout en y incorporant ses préoccupations et sa dénonciation récurrente du religieux. On reconnaît à son style l’œil du réalisateur de petites bandes érotiques n’hésitant pas à mettre nue sa belle actrice en les cadrant d’une manière habille, laissant toujours entrevoir ce qu’il faut pour créer un fort sentiment érotique.
Penny Irving et Ann Michelle sont excellentes et leurs plastiques avantageuses sont particulièrement bien mises en valeur par la caméra de Pete Walker. Elles sont à l’image de l’insouciance du Swinging London avec leurs tenues colorées et joyeuses. Elles incarnent la jeunesse et la liberté à l’opposé des geôliers enfoncés dans le conservatisme rétrograde et pervers. Sheila Keith (Walker) avec cheveux coupés courts, blancs, son teint blafard, sa stature et sa manière de sourire avec les yeux, donne une composition hallucinante d’une refoulée des plus réjouissantes.
Evidemment pour un spectateur « normal » le carton du début s’interprète au second degré. Flagellations est clairement une dénonciation d’une justice conservatrice et rétrograde. Pourtant, selon l’historien et critique David Didelot, Pete Walker, dont les films furent souvent victimes de la censure anglaise, n’est pas vraiment un progressiste. Il a des positions plutôt réactionnaires. On peut en conclure que Pete Walker est un réalisateur pour le moins contrarié, puisque Flagellations se comprend à l’inverse de ses convictions. Walker s’identifie-t-il à la terrible gardienne Walker ? L’historien et critique de cinéma David Didelot le range dans la catégorie des anarchistes de droite. On peut par contre en déduire sans trop se fourvoyer que le film doit énormément à son scénariste David McGillivray, un progressiste. Cette opposition de points de vue sur la société va être bénéfique au film. Flagellations est la démonstration qu’une société, aussi avancée soit-elle, utilise tout un arsenal juridique et de répression pour soumettre par la terreur les individus. Par son propos, le film déborde du cadre de la série B pour aborder les rives du film politique. Il n’en demeure pas moins que Flagellations est l’un des grands titres de la « British Horror » des années 70. Le film était sorti en France en 1984 dans une version écourtée de 89 minutes, cette édition permet de revoir le film dans sa version intégrale. Une découverte qui mérite grandement le détour.
Fernand Garcia
Flagellations est édité par Artus Films dans une superbe édition combo Blu-ray/DVD dans la collection British Horror. En complément de programme, une présentation par David Didelot; en une heure, il déroule le fil de la carrière de Pete Walker et le resitue dans le cinéma d’exploitation anglais. C’est une mine d’informations de premier ordre qui nous donne envie de découvrir les autres films de ce cinéaste. Didelot s’attarde longuement sur la conception et la réalisation de Flagellations qu’il considère non seulement comme le meilleur film de Pete Walker mais un grand film tout court. Enfin, n’hésitez pas à jeter un œil sur la savoureuse bande-annonce anglaise de Flagellations.
Flagellations (House of the Whipcord) un film de Pete Walker avec Penny Irving, Barbara Markham, Patrick Barr, Ray Brooks, Ann Michelle, Sheila Keith, Dorothy Gordon, Robert Tayman… Scénario : David McGillivray d’après une histoire de Pete Walker. Directeur de la Photographie : Peter Jessop. Décors : Michael Pickwoad. Montage : John Black. Musique : Stanley Myers. Producteur : Pete Walker. Production : Peter Walker (Heritage) LTD. Grande-Bretagne. 1974. Durée : Blu-ray 102 minutes – DVD 98 minutes. Couleur (Eastmancolor). Format image : 1.66:1. original respecté (Blu-ray 1920 x 1080p) 16/9ème compatible 4/3. Versions : français, anglais. Sous titres : français. Interdit aux moins de 16 ans.