Zhenya (Marianna Spivak) et Boris ((Alexeï Rozine) se sont mariés, elle était enceinte. Ils croyaient s’aimer. Quelques dix années plus tard, ils sont sur le point de se quitter. Lui vit déjà avec une autre femme, plus jeune et enceinte. Elle a un autre homme dans sa vie. La vente de leur appartement scellera définitivement la fin de leurs relations. Leur fils Alyosha (Matveï Novikov) est l’oublié, enfant sensible, il est coincé entre la haine que se vouent ses parents.
Faute d’amour est une œuvre saisissante qui vous happe et ne vous lâche plus. Rarement on a vu sur un écran une telle haine entre un couple. La violence des échanges est sans limites. Pour Andreï Zviaguintsev, nul besoin d’alcool ou de drogue pour désinhiber les personnages et c’est encore plus terrible à l’écran. Ce couple s’est détruit, abîmé dans la rancœur. L’enfant vit cette séparation comme il peut, terrorisé face à avenir incertain, sombre. Il n’est qu’un poids pour ses parents, un lien qui les empêche de se désunir. Image terrible, où le petit enfant dans la pénombre entend ses parents se déchirer. Puis, Alyosha disparaît. Ses parents se mettent alors à sa recherche, mais rien ne vient atténuer l’animosité féroce qu’ils ressentent l’un envers l’autre. Alyosha est et reste un problème.
L’histoire pourrait se dérouler n’importe où dans le monde, ainsi, ce plan saisissant dans une rame de métro où quasiment tous les passagers sont sur leurs smartphones comme dans n’importe quelle ville occidentale. Isolé les uns des autres, chacun dans sa solitude, ils sont l’image du monde d’aujourd’hui. Comme ce groupe de filles au restaurant, où leur premier reflex est de prendre des selfies. Zhenya et Boris sont, comme tout un chacun, entièrement tournés vers la satisfaction de leurs désirs. Séparés, ils reproduisent au sein d’un nouveau couple ce que fut leur ancienne vie. Admirable plan, où Zhenya fait sa gym sur le balcon de son appartement, sur son tapis roulant, elle n’avance pas, sa vie n’est qu’un surplace. Surplace glacial, qui gèle les sentiments et nous rend indifférents aux autres et renvoient à nos sociétés de surconsommation et du paraître.
Il y a évidemment des détails que l’on peut considérer comme spécifiquement russes comme l’organisation parfaitement militaire des bénévoles à la recherche du petit garçon, mais le discours du film est universel et interpelle avec intelligence chaque spectateur, à lui d’en tirer ses propres conclusions. Il faut être un extraordinaire metteur en scène pour parvenir à un tel résultat. Faute d’amour, cinquième long-métrage de Zviaguintsev, prend place à la suite d’œuvre prodigieuse : Le Retour (2003), Le Bannissement (2007), Elena (2011), et Leviathan (2014). Andreï Zviaguintsev, faut-il réellement le rappeler, est le plus important cinéaste de ce début du XXIe siècle.
Faute d’amour film admirable et bouleversant sur notre bien triste époque. Un chef-d’œuvre tout simplement.
Fernand Garcia
Faute d’amour (Nelyubov), un film d’Andreï Zviaguintsev avec Marianna Spivak, Alexeï Rozine, Matveï Novikov, Andris Keiss, Alexeï Fateev, Sergueï Borissov, Natalia Potapova, Yanina Hope, Daria Pisareva, Marina Vasilyeva, … Scénario : Oleg Neguin et Andreï Zviaguintsev. Image : Mikhail Kritchman. Décors : Andrey Ponkratov. Montage : Anna Mass. Musique : Evgueni Galperinee. Producteurs : Gleb Fetisov, Sergey Melkumov, Alexander Rodnyansky. Production : Non-Stop Productions – Fetisoff Illusion – Senator Film Produktion – Why Not Productions – Arte France Cinéma – Wild Bunch. Distribution (France) : Pyramide Distribution (Sortie France : le 20 septembre 2017). Russie – France – Allemagne. 2017. 127 mn. Couleur. Format image : 2.35 :1. Tous Publics. Prix du Jury, Festival de Cannes, 2017.