Nam Chul-woo est nord-coréen marié, père d’une petite fille. Au bout de dix ans d’un dur labeur, il réussit à faire l’acquissions d’une barque. Il est devenu pêcheur. Comme tous les jours, il passe par le poste de contrôle qui l’autorise à accéder à son embarcation. Ce jour-là sur le lac son filet s’enroule autour de l’hélice. A son grand désespoir le courant entraîne sa barque vers la côte sud-coréenne. Il est pris en charge par les services de renseignements. Une question les taraude : Nam Chul-woo est-il un espion ?
Il est simple et confortable de séparer le monde en deux, d’un côté – les bons, de l’autre – les méchants. Le monde par les cartes a ce côté réconfortant tant il nous éloigne de la réalité des hommes pour ne laisser que des tracés topographiques, des frontières. La grande force d’Entre deux rives est de nous permettre, à nous Occidentaux, de voir l’humain derrière les données géopolitiques. Ce n’est pas le moindre des mérites du film. Kim Ki-duk s’intéresse à la condition de l’homme, en ce sens c’est un cinéaste rare par les temps qui courent. Avant de passer à la réalisation, il fut ouvrier agricole et en usine, bien loin du profil du réalisateur actuel bardé de diplômes et de certitudes. Il n’est donc pas surprenant de le voir mettre en scène un homme du peuple, un simple pêcheur dont l’unique et louable but est de nourrir sa famille.
Nam Chul-woo se retrouve au cœur d’un conflit qui divise jusqu’au homme. A la compassion de son « garde du corps » répond la violence de son inquisiteur. Pour l’un, c’est un simple pêcheur, un homme à la dérive, pour l’autre, c’est un espion à la solde de l’idéologie communiste. Fracture irréconciliable. Pour l’Etat, le petit pêcheur doit rester coûte que coûte à Séoul, soit comme réfugier soit comme espion. Les méthodes employées par les services de renseignement n’ont rien à envier à ceux de Nord, même pression psychologique et violence physique. Kim Ki-duk aborde frontalement les questions que soulève la condition du pêcheur. Qu’est-ce que la liberté dans une démocratie ? Ses fonctionnaires zélés ne trouvent rien de mieux que de lâcher le pêcheur au beau milieu d’un quartier commerçant pour lui donner « le goût de la liberté », comme si la profusion de produits de consommation était suffisante pour le faire basculer. Pauvreté morale d’une société démocratique qui n’a plus que le capitalisme à donner en exemple.
Piéger des deux côtés, Nam Chul-woo est pris dans les mailles d’un filet qu’il ne maîtrise pas, sa vie aussi petite soit-elle ne lui appartient plus. S’il revient nu dans son pays c’est pour revivre les mêmes humiliations. Dans un monde où dominent les postures idéologiques il est quasiment impossible de vivre libre. Kim Ki-duk dresse le constat terrible d’un pays divisé et meurtrie. Une œuvre forte.
Fernand Garcia
Entre deux rives (Geumul) un film de Kim Ki-duk avec Ryoo Seung-bum, Lee Won-gun, Kim Young-min, Choi Gwi-hwa, Ahn Ji-Hye, Jeong Ha-dam, Lee Sol-gu, Lee Eun-woo, Jo Jae-ryon, Kim soo-ahn… Scénario : Kim Ki-duk. Image : Kim Ki-duk. Lumière : Jung Young-sam. Décors : An Ji-hye. Montage : Park Min-sun. Musique : Park Young-min. Producteurs : Kim Soon-mo – Kim Ki-duk. Production : Kim Ki-duk Film. Distribution (France) : ASC Distribution (sortie le 5 juillet 2017). Corée du Sud. 2016. 114 mn. Couleur. Format image : 1.85 :1. Dolby 5.1. SRD. 73e Mostra de Venise, hors compétition, 2016 – Meilleur film asiatique, Fantasporto, 2017.