Yvonne jeune inspectrice de police, découvre que son mari, le capitaine Santi, héros local tombé au combat, n’était pas le flic courageux et intègre qu’elle croyait mais un véritable ripou. Déterminée à réparer les torts commis par ce dernier, elle va croiser le chemin d’Antoine injustement incarcéré par Santi pendant huit longues années. Une rencontre inattendue et folle qui va dynamiter leurs vies à tous les deux.
Présenté à la Quinzaine des réalisateurs au dernier Festival de Cannes où il a obtenu le Prix SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), En Liberté ! marque le retour en grande forme du cinéaste Pierre Salvadori à qui l’on doit entre autres le déjà décalé et singulier Cible Émouvante (1993), son premier long métrage dans lequel il met en scène Jean Rochefort, Guillaume Depardieu et Marie Trintignant, l’hilarant et culte pour toute une génération de cinéphiles Les Apprentis (1995) avec François Cluzet et Guillaume Depardieu, mais aussi …Comme Elle Respire (1998) avec à nouveau Marie Trintignant et Guillaume Depardieu, le sublime et trop méconnu film noir Les Marchands de Sable (2000) avec Mathieu Demy, Guillaume Depardieu et Serge Riaboukine, ou encore dernièrement le magnifique et intelligent Dans La Cour (2014) avec Catherine Deneuve, Gustave Kervern, Féodor Atkine et Pio Marmai.
En Liberté ! témoigne non seulement du retour du réalisateur à la « franche » comédie mais atteste aussi de la liberté de création de son auteur qui prend manifestement beaucoup de plaisir ici à dynamiter le genre devenu bien morne ces dernières années en raison de la pauvreté et du formatage de la production française. La liberté de création d’un auteur qui s’autorise, pour notre plus grand plaisir, à enrichir son film de vrais moments de poésie par le biais de ses dialogues et de ses personnages traversés par des thèmes humains et forts.
Dès l’ouverture du film, avec une scène parodique de film d’action musclé, Salvadori donne le ton : Nous sommes dans le burlesque ! Par la suite, avec une aisance incomparable et une mise en scène aussi élégante qu’efficace, le réalisateur mélange deux sujets : l’innocent qui sort de prison et décide de commettre le délit pour lequel il a été condamné à tort et cette femme qui essaie de faire comprendre à son fils que son père n’était pas quelqu’un de très recommandable. Avec les mensonges, thème récurrent dans la filmographie de l’auteur, les simulacres et les faux-semblants, vont s’enchaîner une succession de quiproquos désopilants et de situations rocambolesques. Tout en évoquant aussi bien le cinéma de Lubitsch que celui de Jonathan Demme, avec les histoires que les personnages se racontent qui interagissent et s’entremêlent avec celles qu’ils vivent, le thème du masque (cagoule, papier, plastique ou cuir), l’ironie sur le récit loufoque et la forme très stylisée et colorée de son film, le cinéaste se joue du jeu qui existe entre le récit et la vie pour au final traiter de l’importance, de la croyance et de l’utilité de l’imaginaire, de la fiction, du cinéma et de l’Art dans nos vies comme force de transformation et d’acceptation du réel. Les dualités vérité – mensonge et réel – imaginaire se renvoient l’une et l’autre et se mêlent de manière remarquable pour donner au film toute sa grâce et sa finesse.
La direction d’acteurs est, elle aussi, brillante. A l’affiche du film, Salvadori réunit des comédiens (iennes) au diapason avec son univers et pour lesquels il a concocté des dialogues minutieusement ciselés. Pour interpréter le personnage d’Yvonne, la jeune inspectrice de police prisonnière de sa vie passée et rongée par la culpabilité, le metteur en scène a choisi la comédienne Adèle Haenel (Naissance des pieuvres, 2007 ; Trois Mondes, 2011 ; L’Apollonide – Souvenirs de la Maison Close, 2011 ; Après le Sud, 2011 ; Alyah, 2012 ; Suzanne, 2013 ; Les Ogres, 2014 ; Les Combattants, 2014 ; La Chambre Interdite, 2015 ; Nocturama, 2016 ; La Fille Inconnue, 2016 ; 120 Battements par minute, 2017 ; Un Peuple et son Roi, 2018 ;…) à qui il offre ici un rôle aux antipodes de son registre habituel lui permettant de prouver l’étendue de son talent. Elle est lumineuse !
Innocent cherchant à devenir coupable, prisonnier de sa colère, le personnage d’Antoine est interprété par le charismatique Pio Marmai (Le Premier jour du reste de ta vie, 2008 ; La Loi de Murphy, 2009 ; Contre Toi, 2010 ; Un Heureux Evènement, 2011 ; La Délicatesse, 2011 ; Alyah, 2012 ; Des Lendemains qui chantent, 2013 ; La Ritournelle, 2014 ; Vendeur, 2015 ; Nos Futurs, 2015 ; Ce qui nous lie, 2017 ; K.O., 2017 ;…) que Salvadori avait dirigé dans son précédent film, Dans La Cour, où il incarnait un dealer. Il est enragé et complètement allumé !
Après Hors de Prix (2006) et De Vrais Mensonges (2010), En Liberté ! marque également les retrouvailles du cinéaste avec la comédienne Audrey Tautou qui campe ici le personnage d’Agnès, la femme prisonnière de son adoration, amoureuse et inquiète d’Antoine.
Découvert avec son interprétation du personnage principal dans Rester Vertical (2016) d’Alain Guiraudie, Damien Bonnard (Le Bruit des Glaçons, 2009 ; Vendeur, 2015 ; L’Astragale, 2015 ; Voir du Pays, 2016 ; D’après une Histoire Vraie, 2017 ; Dunkerque, 2017 ; 9 Doigts, 2017 ;…) joue ici le rôle de Louis, un flic rêveur, étourdi et prisonnier de son amour pour sa collègue Yvonne.
Enfin, qui mieux que le flamboyant Vincent Elbaz pour interpréter avec la dextérité du grand Belmondo des années 1980, le personnage fantasmé de Jean Santi, policier mort en héros qui va s’avérer être le dernier des ripoux ?
Le scénario d’En Liberté ! est le cinquième que le réalisateur co-écrit avec Benoit Graffin. Ce dernier étant parti en cours de route faire son propre film, Salvadori à continué le travail avec Benjamin Charbit qui a eu la même approche du sujet que son prédécesseur. Le cadrage précis et la lumière impeccablement assortie aux couleurs vives et contrastées du film sont le fruit du travail du chef opérateur Julien Poupard avec qui le réalisateur collabore ici pour la première fois.
Comme on le constate avec le casting artistique mais aussi technique, même si avec ce film il y a de nouveaux venus dans l’équipe, Pierre Salvadori est un metteur en scène qui aime travailler « en famille ». Fidèle aux personnes qui l’entourent et dont il apprécie le travail, après Comme elle respire, Les Marchands de sable, Après vous… et Hors de prix, En Liberté ! est également la cinquième collaboration du cinéaste avec l’extraordinaire et talentueux Camille Bazbaz, compositeur de l’excellente bande originale qui se situe à mi-chemin entre soul sixties et blacksploitation. A noter que dans une scène du film Les Marchands de sable, Salvadori filme même l’auteur-compositeur-interprète effectuant une performance live exceptionnelle de son titre D’une balle. Merveilleux. Hey ! Camille ! Rock On !!
Porté par des comédiens extraordinaires, parfaitement rythmé par un impératif comique et par une bande originale endiablée, à la fois efficace, inventif, sensible et émouvant, En Liberté ! est un polar burlesque poétique intelligent mené tambour battant qui doit tout au talent de son auteur qui, par la singularité de son style ne fait ici rien de moins que de redonner toute sa place au genre. Hilarant. Merci Monsieur Salvadori !
Steve Le Nedelec
En Liberté ! un film de Pierre Salvadori avec Adèle Haenel, Pio Marmai, Damien Bonnard, Vincent Elbaz, Audrey Tautou, Hocine Choutri… Scénario : Pierre Salvadori, Benjamin Charbit et Benoît Graffin. Dialogues : Pierre Salvadori. Image : Julien Poupard. Décors : Michel Barthélémy. Costume : Virginie Montel. Montage : Isabelle Devinck et Géraldine Mangenot. Musique : Camille Bazbaz. Producteurs : Philippe Martin et David Thion. Production : Les Films Pelléas. Distribution : Memento Films (Sortie en France le 31 octobre 2018). France. 2018. 108 minutes. Couleur. Format image : 2.35 :1. DCP. Sélection : Quinzaine des Réalisateurs 2018. Tous Publics.