Elmer Gantry – Richard Brooks

Elmer Gantry reste l’un des meilleurs films de Richard Brooks, marqué par la performance de Burt Lancaster, récompensé fort justement par un Oscar. Ce film puissant, ce portrait cynique de la société américaine des années 20 est une métaphore de celle des années 50.

Richard Brooks a ruminé ce projet pendant de longues années avant de le réaliser. Elmer Gantry est l’adaptation d’un roman satirique de Sinclair Lewis dénonçant l’activisme des communautés évangéliques. Sa parution en 1927 avait provoqué de violentes polémiques. Lewis avait été menacé d’une condamnation à une peine de prison, et le livre interdit par les dignitaires des églises à Boston ainsi que dans d’autres villes américaines.

Refusé par plusieurs producteurs convaincus que cette adaptation ne marcherait pas et qu’elle serait interdite, Brooks comprit qu’il ne pourrait pas convaincre la MGM de financer le film. Il fit alors appel aux Artistes Associés pour de distribuer le film. A sa sortie, Elmer Gantry, le charlatan provoque une avalanche de protestations. Le long métrage connaît de sérieux déboires avec la censure américaine qui le mutile en supprimant plusieurs scènes et parties de dialogues. Par contre, en Europe, les spectateurs ont droit à une version presque complète du film. Mais cette dernière a également fait l’objet de concessions de la part du réalisateur.

Générique

Dés le générique, on est averti du contenu du film. Alors qu’apparaissent les noms sur l’écran, une croix projette une ombre de quatre fois sa taille. C’est l’influence démesurée de la religion sur la société. La censure américaine contraint Brooks à mettre en exergue un long texte de mise en garde : « Le sujet de ce film étant fortement sujet à controverse, nous le déconseillons vivement aux jeunes spectateurs ! » Brooks n’a pas non plus eu droit à la fin qu’il avait imaginée car elle déniait la réformation du personnage principal. Ainsi dans la séquence finale, après l’incendie du chapiteau, Gantry refuse la proposition de continuer de prêcher et s’en va, le journaliste Jim Lefferts lui dit : « A bientôt, frère », Gantry se retourne et dit : « A bientôt, en enfer ». Les censeurs a imposé le retrait de : « en enfer ». Peut-être pensaient-ils que l’on pouvait être converti par une foi véreuse ?

BLancaster JSimmons

Le film dépeint un personnage haut en couleurs, Elmer Gantry, prêtre raté parce qu’il aime trop les femmes, qu’elles soient vierges ou mariées, il est tout à la fois grossier, sympathique, séducteur pathétique et gouailleur malicieux. Commis-voyageur de profession, il vend sa camelote à de pauvres gens comme lui, en leur racontant des histoires drôles afin de les convaincre. Sa rencontre avec sœur Sharon Falconer (Jean Simmons) une illuminée, prêcheuse d’un groupe évangélique, va changer le cours de sa vie. Elle représente pour lui, outre l’idée de la séduire, la possibilité d’exercer ses talents d’orateur et d’hypnotiseur des foules.

La crise économique d’après-guerre amène non seulement l’insécurité financière au sein des foyers mais aussi l’insécurité morale ce qui contribue grandement à la prolifération de différents courants religieux. Les prédicateurs de toutes sortes envahissent alors l’Amérique. Ils vont trouver une écoute particulière auprès des nombreux immigrants (dans le film, les évangélisateurs parlent différentes langues) à la recherche d’une communauté à laquelle se rattacher et auprès de tous ceux qui étaient frappés par la crise.

Les années 20 c’est aussi l’époque de la prohibition où l’on commande son verre à mi-voix (speakeasy), c’est la Grande Dépression, où le grand salut ferait un peu de bien. Comme dit un balayeur après un sermon de sœur Sharon : « J’ai été converti trois fois… chaque soir je me saoule après je reçois mon salut ». A chacun sa religion : pour certains, c’est l’alcool et les femmes, pour d’autres, c’est l’argent et la gloire. Les dignitaires religieux invitent sœur Sharon dans leur ville de Zénith, épicentre religieux, non pas pour qu’elle convertisse la population et les profanes de la ville mais pour remplir leurs tiroirs caisse. Le christianisme est une entreprise florissante.

Jean Simmons

Brooks démontre que le premier sens de « Revival » – renouveau, renaissance – se transforme ici en fondamentalisme, voire en extrémisme. La Bible possède une multitude d’interprétations et pourtant devient ici un fait incontestable, traduite au premier degré. Ainsi Elmer Gantry, accompagnés de ses adeptes, provoque une émeute très médiatisée devant un lupanar, non pas pour convertir les prostituées, mais afin de les expulser de la ville. Cette « chasse aux sorcières » prouve que la religion est capable de tous les excès, d’actes irréparables. C’est la mise en parallèle directe de la part de Brooks avec le maccarthysme, qui sévissait lors de la réalisation du film.

Elmer Gantry qui jouit d’un certain pouvoir de persuasion et de manipulation se rend compte assez vite de sa force dévastatrice, quand ses adeptes se retournent contre lui à cause d’un calomnieux article dans un journal, le présentant comme un consommateur de prostituées. Le public est versatile, il aime détruire ce qu’il a adoré et sa haine s’est développée comme une tumeur maligne à force de menaces, de la promesse des flammes éternelles, il devient vite incontrôlable et trouve en Elmer Gantry un défouloir, une cible.

Elmer est un personnage à l’opposé de sœur Sharon, chacun possède sa propre foi. Le dieu d’Elmer est plus flexible et modulable au gré des situations. Le dieu de Sharon est beaucoup plus intransigeant – elle est pure et honnête envers les autres et elle-même, elle croit vraiment et désire partager sa foi en exigeant le même comportement de perfection des autres. Sa rencontre avec Elmer Gantry lui ouvre les yeux sur le pouvoir de manipulation des masses – pour elle, ça ne sera qu’une preuve de plus de la puissance divine qui agit à travers elle. Ainsi sous le chapiteau, après la scène du miracle, un incendie se déclare entraînant une panique générale, mais elle reste au milieu des flammes et accepte « la volonté de dieu ».

Burt Lancaster

Si « la religion est l’opium du peuple », comme disait Karl Marx, les Américains sont les plus fervents de ses défenseurs. 95% de la population se déclare croyants aux Etats-Unis. Néanmoins la croix qu’on porte sur le cou ou le doigt accusateur qu’on pointe vers le ciel n’empêchera jamais l’hypocrisie et la décadence de la religion. Peu de réalisateurs s’aventurent sur le terrain religieux, surtout avec un point de vue critique. Avec la même sorte d’emphase, signalons d’autres films abordant aussi la manipulation politico-religieuse, Le Malin (1979) de John Huston ou récemment White Lightnin’ (2009) de Dominic Murphy, abordent aussi le sujet de la croyance et de ses déviations dans l’Amérique aujourd’hui.

Rita Bukauskaite

Elmer Gantry