Une arène. Les portes s’ouvrent et déboulent une armada de clowns nains. Il mine une absurde corrida en entourant un picador dans son cheval de chiffon et de bois. Dans les gradins, parmi les spectateurs, Sergei Kowalski (Franco Nero) surnommé Le Polack, se souvient de sa rencontre avec un pauvre péon, Paco (Tony Musante)…
El Mercenario était au départ un projet de Gillo Pontecorvo qui le développe avec ses deux scénaristes Franco Solanas et Giorgio Arlorio pour le producteur Alberto Grimaldi. Il l’abandonne pour se consacrer à un autre film « révolutionnaire » Queimada, une des plus éclairantes et fines analyses de la manipulation politique. Alberto Grimaldi, qui produit les deux films, n’abandonne pas El Mercenario et le propose à Sergio Corbucci. Le réalisateur du mythique Django (1967), s’approprie le projet y insufflant, avec l’aide de son scénariste Sergio Spina et surtout de Luciano Vincenzoni, scénariste de Sergio Leone, son style, sa violence, son humour et son ironie.
El Mercenario, offre une construction en flash-back circulaire. Le film débute dans une arène de corrida. Le polak, mercenaire, se remémore l’histoire d’un péon, damné de la terre, qui excédé par ses conditions de vie dans une hacienda se révolte. De bandit, il passe au gré des larcins à révolutionnaire, rôle qu’il va endosser avec une sorte de force gourmande. Dans son périple, il est accompagné par Le Polack, sorte de mentor, dont l’unique but est d’entendre le doux bruit des pièces d’or dans ses poches. Le Polack utilise plus qu’il ne manipule le péon. Personnages antagonistes qui par une sorte d’attraction vont fraterniser tout en ayant des motivations fort différentes. Il s’agit d’un des ressorts habituels du genre, que les scénaristes et réalisateurs vont utiliser dans toute sorte de combinaison. On peut le voir comme une déclinaison de Don Quichotte et de Sancho Pancha.
On retrouve le même principe dans Queimada que dans El Mercenario, a la grande différence que l’anglais du film de Pontecorvo, incarné par Marlon Brando (impérial) manipule sciemment l’ex-esclave devenu révolutionnaire, dans la perspective d’une domination capitaliste. Sergio Corbucci ne va pas si loin dans l’analyse marxiste. Toutefois, El Mercenario est un film documenté, la reconstitution est parfaitement valable autant dans les décors, les costumes, que dans le contexte. Dès le générique, Corbucci nous plonge dans cette époque révolutionnaire en utilisant des photos de la répression dont fut victime le peuple Mexicain.
Corbucci, passionné par cette période de l’histoire, y consacrera deux autres Campaneros avec Franco Nero, Tomas Milan et Jack Palance, et Mais qu’est-ce que je viens foutre au milieu de cette révolution avec Vittorio Gassman et Paolo Villagio. Films qui forment une trilogie absolument formidable. En quelques années, l’élan révolutionnaire, de liberté, qui collait aussi à l’époque, laisse place à un désenchantement ironique. D’une certaine manière, Il était une fois la révolution de Sergio Leone offre une sorte de « synthèse » de la fin d’une utopie. Rétrospectivement, il est amusant de constater que Sergio Corbucci avait pensé à James Coburn, l’Irlandais désillusionné du film de Leone, pour le rôle du Polack, qui sera finalement endossé par Franco Nero.
Franco Solinas, est né en 1927, fils d’un colonel d’armée issue de la noblesse sarde et d’une mère, fille d’un riche marchand génois. Dès la fin des années 1940, il collabore à plusieurs publications avec des histoires et des nouvelles et devient critique de cinéma pour L’Unita et Paese Sera. Il écrit avec Mario Monicelli, Steno et Age et Scarpelli. Et le scénario des Volets fermés (Persiane chiuse, 1951) pour Luigi Comencini, avec Sergio Sollima. Solinas et Sollima seront les artisans de Colorado (La rei dei conti, 1967), un des chefs-d’œuvre du western italien.
Son roman Squarcio est adapté au cinéma par Gillo Pontecorvo, sous le titre Un dénommé Squarcio (La grande strada azzura, 1957) c’est le début d’une longue amitié. Kapo (1960) est un choc qui place les spectateurs face aux horreurs des camps de concentration. Le film est nommé à l’Oscar du meilleur film étranger tout comme La Bataille d’Alger (plus une pour le scénario). La force de la reconstitution, l’approche documentaire soutenu par une mise en scène digne d’un thriller de La Bataille d’Alger (La battaglia di Algeri, 1966) marque à jamais les esprits. Entretemps Solinas participe à un autre chef-d’œuvre : Salvatore Giuliano (1962) de Francesco Rosi. Solinas introduit dans El Chuncho (Quien Sabe ?, 1967) de Damiano Damiani, des thématiques politiques et met sur orbite les westerns révolutionnaires ou westerns zapatistes.
Le film est une réussite majeure du western européen. Il écrit un dernier grand western Trois pour un massacre (Tepepa, 1969) de Giulio Petroni. Au début des années 70, il débute un fructueux partenariat avec Costa-Gavras. Leur premier film est Etat de siège (1972), sur la mécanique des régimes totalitaires sud-américains. M. Klein (1976) que réalise finalement Joseph Losey, après le désistement de Costa-Gavras. Solinas avait collaboré une première fois avec Losey sur L’Assassinat de Trotsky (The Assassination of Trotsky, 1972). Tous les projets en commun de Solinas et Costa-Gavras n’ont pas vu le jour. Hanna K. est leur dernier film en commun. Le film est présenté à Venise en 1983, après la mort de Franco Solinas.
La distribution d’El Mercenario est formidable. Franco Nero retrouve Sergio Corbucci après le triomphe de Django (1966), western baroque et violent, qui a fait de lui une star. Franco Nero en cette fin des années 60 enchaîne les films populaires en tous genres, westerns, polars, La maffia fait la loi (Il giorno della civetta, 1968) de Damiano Damiani, grands films spectacles internationaux, Camelot (1967) de Joshua Logan, La bataille de la Neretva (Bitka na Neretvi, 1969) de Veljko Bulajic, et films d’auteur, Un coin tranquille à la campagne (Un tranquillo posto di campagna, 1968) d’Elio Petri, Tristana (1970) de Luis Buñuel, entre autres. Franco Nero est une valeur sûre. Après le succès de El Mercenario, il retrouve Corbucci pour un autre western révolutionnaire, Companeros ! (Vamos a matar, companeros, 1970). Acteur extrêmement prisé, Franco Nero tourne sans interruption jusqu’à nos jours aux quatre coins du monde. Tony Musante est une proposition de Franco Nero après l’avoir découvert dans L’Incident (The Incident, 1967) de Larry Peerce. Jack Palance est une vraie surprise, avec ses cheveux bouclés, il incarne un méchant, cynique, traitre et… tout nu.
El Mercenario est l’une des grandes réussite de Sergio Corbucci, truculence, humour, violence et révolution !
Fernand Garcia
El Mercenario une édition combo (Blu-ray, pour la 1ère fois, et DVD) Sidonis – Calysta, master HD impeccable, dans la collection Silver – Western de légende. Avec en complément : Django, Sartana, Trinita et les autres… documentaire, en forme de lettre d’amour au western italien de Jean-François Giré avec la voix et la collaboration de Jean-Jacques Bernard. « Dans notre enfance, la plupart des petits enfants comme moi jouaient au cowboy et aux Indiens », mais rapidement le petit Giré, avec son père, découvre les westerns italiens dans les salles de quartiers parisiens. Il découvre des films étonnants dans des cahiers d’écolier, il griffonne « des petits textes enflammés bien naïf ». Un beau document avec de nombreuses interviews de personnalités du western italien. (59’59). Toujours avec Jean-François Giré, une présentation de El Mercenario : « Il y a une ambiance absolument formidable dans ce film, avec l’esprit de Corbucci sa faconde, son exubérance, son goût de la violence, son goût de l’ironie aussi. » (17 minutes). La bande-annonce d’époque. Une très belle édition.
El Mercenario (Il Mercenario) film de Sergio Corbucci avec Franco Nero, Tony Musante, Jack Palance, Giovanna Ralli, Franco Giacobini, Eduardo Fajardo, Alvaro de Luna, Franco Ressel, Raf Baldassarre, Joe Kamel… Scénario : Luciano Vincenzoni avec la collaboration de Sergio Spina et Sergio Corbucci d’après une histoire de Franco Solanas et Giorgio Arlorio. Directeur de la photographie : Alejandro Ulloa. Décors : Piero Filippone. Costumes : Jürgen Henze. Montage : Eugenio Alabiso. Musique : Ennio Morricone et Bruno Nicolai. Producteur : Alberto Grimaldi. Production : P.E.A. (Rome) – Profilms 21 (Madrid) – United Artists. Italie-Espagne. 1968. 1h43. Technicolor. Format image : 2,35 :1. Son : Version originale italienne avec ou sans sous-titres français et Version française (d’époque) DTS-HD Dual mono. Tous Publics.