2ème partie : 1960-2000
Le Fanfaron n’est pas le premier grand film de Dino Risi. L’année précédente, il signe avec Une vie difficile (Una vita difficile, 1961), une œuvre noire et cynique qu’interprète un Alberto Sordi des grands jours. C’est à travers la vie d’un journaliste que Risi questionne quinze années de reconstruction de la société Italienne. Le regard que porte Risi est déjà marqué du sceau de l’ironie et de l’amertume.
Deux ex‐soldats démobilisés au lendemain de la Première Guerre mondiale se laissent embrigader pour participer à une marche sur Rome organisée par le mouvement fasciste. Tragi‐comédie grinçante La Marche sur Rome (La Marcia su Roma) est une critique acerbe du fascisme mussolinien. Long voyage en compagnie de deux pieds nickelés, prodigieux Gassman et Tognazzi, reste une œuvre phare de la carrière de Dino Risi. Il termine le film sur des images d’archives, l’arrivée des chemises noires et une phrase de Victor‐Emmanuel III : « Essayons ces fascistes quelques mois… » de quoi faire réfléchir aujourd’hui encore.
Au départ, Les Monstres (I mostri, 1963) devait être réalisé par Elio Pétri, mais le producteur Dino De Laurentiis n’aime pas le scénario et trouve certains portraits d’italiens particulièrement choquants. Alberto Sordi, pour qui le film était prévu, le refuse à son tour. Elio Petri quitte le projet. Le scénario d’Age et Scarpelli, deux des grands noms de la comédie italienne, atterrit sur le bureau de Dino Risi. Il reprend le film avec Ruggero Maccari en y incluant de nouveaux sketches. Exit Sordi, c’est Ugo Tognazzi et Vittorio Gassman qui incarnent les monstres de cette incroyable galerie de personnages. Composé de vingt sketches dont la durée est variable, Risi met brillamment en scène des personnages qui n’hésitent pas à franchir le pas de la crapulerie pour le plus grand bonheur des spectateurs. Les Monstres est un film d’une grande drôlerie. Jamais Risi ne condamne ses « monstres », se contentant de les observer, goguenard. Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi dans des rôles à transformations sont ébouriffants.
Le succès des Monstres lance le film à sketches. Risi y reviendra avec, entre autres, Les poupées (1969) où il ne réalise qu’un segment avec Virna Lisi, Une poule, un train… et quelques monstres (Vedo nudo, 1969) où il dirige l’ensemble des histoires, Moi, la femme (Noi donne siamo fatte cosi, 1971) avec la seule star féminine de la comédie italienne, Monica Vitti.
Chanteuse à la dérive, Valérie, au moment de se suicider découvre une annonce dans un journal qui porte secours aux personnes dans le besoin. Elle téléphone et c’est un prêtre qui décroche, Don Mario. Une relation amoureuse va s’instaurer entre eux mais difficilement conciliable avec les vœux de célibat du prêtre. Interprété par Sophia Loren et Marcello Mastroianni, La femme du prêtre (La moglie del prete, 1971), rencontre un énorme succès en Italie où les valeurs religieuses sont profondément ancrées dans la société. Quarante‐cinq ans après sa réalisation, le célibat des prêtres est toujours un problème au sein de l’Eglise !
Au nom du peuple italien est un chef-d’œuvre. Le scénario d’Age et Scarpelli est de l’aveu de Dino Risi lui‐même, parfait. Ce combat d’un petit juge contre un industriel ne rencontre pas son public. Il faudra attendre plusieurs années avant de le découvrir sur les écrans français. L’accueil de la critique est alors des plus tièdes et le final désoriente, il met mal à l’aise. Le film ressort même sous le titre « plus commercial » du Petit juge, sans plus de succès. Il faudra attendre plusieurs années avant que le film soit reconnu à sa juste valeur. L’interprétation de Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi sont dignes des plus grands éloges.
La radicalisation politique des années 70 est au cœur de Rapt à l’italienne (Mordi e fuggi, 1973) comédie noire sur une société qui vient de basculer dans le terrorisme et la manipulation politique. Le rapt par hasard d’un industriel romain par un groupe d’activistes braqueurs de banques est une tentative pour Risi de radiographier une société qui part à la dérive. Il retrouve devant sa caméra Marcello Mastroianni qu’il confronte à la force brute de l’acteur anglais Oliver Reed.
Risi ira plus loin dans l’analyse du basculement dans le terrorisme d’une génération avec l’incompréhension qui s’installe entre un père et son fils dans Cher papa (Caro papa, 1979) avec un Vittorio Gassman particulièrement grave. Mais dans ces années de plomb, c’est Mario Monicelli qui réalise un chef-d’œuvre d’une noirceur absolue Un Bourgeois tout petit petit (Un borgheses piccolo piccolo, 1977) avec Alberto Sordi en petit fonctionnaire dont la vie s’écroule avec la perte de son fils. Ce thème de la filiation et de la terreur est aussi abordé par Bernardo Bertolucci, qui pour l’occasion dirige l’un des grands acteurs de la comédie italienne. Ugo Tognazzi, où il incarne un industriel désemparé à la suite du kidnapping de son fils dans le sombre La Tragédie d’un homme ridicule (La tragedia di un uomo ridicolo, 1981).
Parfum de femme (Profumo di donna, 1974) est l’un des sommets de la carrière de Dino Risi et de son association avec Vittorio Gassman. L’irascible Fausto Consolo, capitaine en retraite et aveugle à la suite d’une explosion, doit entreprendre un déplacement de Turin à Naples pour retrouver un ami. Le voyage (Risi est un grand cinéaste des road movies), est l’occasion de dresser le portrait d’un homme pathétique et, in fine, seul. Ce film admirable est l’un des plus importants rôles de Vittorio Gassman. Il y déploie toute l’étendue de son immense talent et y décroche à l’unanimité le prix d’interprétation au Festival de Cannes. Le jeune acteur Alessandro Momo, découvert dans Malicia (Malizia, 1973) avec Laura Antonelli, accompagne l’aveugle dans son périple, décède quelques semaines avant la sortie de Parfum de femme dans un accident de moto.
Dino Risi confie à Agostina Belli, à l’affiche de Parfum de femme, le rôle principal dans La Carrière d’une femme de chambre (Telefoni bianchi). Risi tisse à partir de divers souvenirs un portrait du cinéma et de l’époque des téléphones blancs. Comédie bourgeoise tournée à Cinecittà et produite avec l’aval du pouvoir mussolinien. Ainsi l’épisode de l’aventure de la future actrice avec Mussolini est la transposition d’une histoire vraie arrivée à une journaliste dans le milieu du cinéma. Un jour, le Duce poursuivit, nu, le machin à la main, une jeune belle femme dans les couloirs d’un grand hôtel avant de la rattraper et de l’avoir, debout. Quant à l’acteur qu’incarne Vittorio Gassman, c’est presque à un autoportrait qu’il se livre, tant il reprend des moments de sa propre vie en les combinant à ceux d’autres acteurs. La Carrière d’une femme de chambre est une belle réussite.
Âmes perdues (Anima persa, 1977) ouvre une brèche plus mélancolique dans la carrière de Dino Risi et met en scène dans Venise un ballet d’amour et de mort avec un Gassman impressionnant et une Catherine Deneuve toute en retenue et fragilité. La Chambre de l’Evêque (La stanza del vescovo, 1977) énerve les festivaliers du Festival de Cannes qui le taxe, à tort, de misogynie. Pour ce film drôle et cynique, Dino Risi réunit à l’écran un formidable trio d’acteurs : le fidèle Ugo Tognazzi auquel il adjoint la très sensuelle Ornella Muti et Patrick Dewaere. Le film comporte de grands moments où Tognazzi se livre à un numéro de cabotinage des plus réjouissants.
Il réunira à nouveau Tognazzi et Muti pour Dernier amour (Primo amore, 1977) constat amer sur la vieillesse. Tognazzi offre une composition saisissante de vieux cabot du show‐business condamné à attendre la mort dans une maison de retraite. Il retrouve de la vigueur au contact d’une jeune femme de chambre, Ornella Muti, d’une grâce toute juvénile, à qui il propose de devenir une vedette de la scène. Confrontation, comme souvent chez Risi, de deux générations au sein d’une œuvre marque les derniers feux de la comédie italienne. Curieusement, le Premier amour s’est transformé en Dernier amour pour sa sortie dans les salles françaises.
1977 est une année faste pour Dino Risi, il réalise cinq sketches pour Les Nouveaux monstres (I nuovi mostri). Ettore Scola dirige sept segments et Mario Monicelli deux autres. Le film est une merveille d’intelligence, d’humour noir et de cynisme, le dernier grand film à sketches de la comédie italienne, un chef-d’œuvre.
Fantôme d’amour (Fantasma d’amore, 1981) est une œuvre nostalgique sur un amour mort, à l’atmosphère lourde. Risi réussit à s’affranchir de la frontière qui sépare la réalité de l’au‐delà. Il adopte le point de vue de son « héros » dont l’existence bascule vers la folie. Mastroianni, dont c’est le dernier film avec Dino Risi, est impeccable. Romy Schneider est un fantôme à la froide beauté d’outre‐tombe. Le film est souvent confondu avec Âmes perdues, titre qui pourrait également s’appliquer à celui‐ci.
Il entreprend coup sur coup deux films avec Coluche. Le Bon Roi Dagobert est une commande dont il va faire avec son scénariste Age une œuvre personnelle. Cette relecture paillarde du Moyen Âge heurte une partie de la critique. L’année suivante, Dino Risi offre à Coluche son plus beau rôle avec celui du garagiste de Tchao Pantin, dans le méconnu Fou de guerre (Scemo di guerra, 1985). La vie d’une unité spécialisée en psychiatrie de l’armée italienne, quelque part en Lybie en 1940. Coluche incarne un médecin au comportement pour le moins étrange. Risi dirige pour la première fois Bernard Blier, qui est un visage familier de la comédie italienne. Aux côtés de Coluche, l’acteur comique italien, Beppe Grillo, qui dans les années 2000 se lance avec succès en politique en créant le mouvement, 5 étoiles. Le Fou de guerre est le dernier grand film de Dino Risi.
Dino Risi est décédé le 7 juin 2002 à Rome. En 56 ans de carrière, Risi aura dirigé par trois fois Marcello Mastroianni, quatre fois Sophia Loren, cinq fois Alberto Sordi, sept fois Nino Manfredi, douze fois Ugo Tognazzi et quinze fois Vittorio Gassman dans des films qui restent des modèles, pour la plupart, de la comédie italienne dans ce qu’elle a de meilleur.
Fernand Garcia
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