Deux supers-flics ! – E.B. Clucher

À Miami, Wilbur Walsh (Bud Spencer), un géant à la carrure imposante, arpente les quais du port à la recherche d’un travail honnête. Il se présente au bureau des dockers, espérant décrocher un emploi. Mais ici, rien ne se fait sans graisser la patte de la mafia locale. Lorsque les responsables lui demandent de céder une part de son salaire en échange du poste, Wilbur refuse catégoriquement et l’explication tourne vite à l’affrontement. Pendant ce temps, Matt Kirby (Terence Hill), passager clandestin tout juste débarqué d’un cargo, cherche lui aussi du travail. Avec son air décontracté et son sourire en coin, il se dirige vers le même bureau…

Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer l’immense popularité de Terence Hill et Bud Spencer en Europe et dans le monde. Deux super-flics ! représente leur plus grand succès en France, avec près de 3 500 000 spectateurs, se plaçant à la 4e position du box-office de 1977, juste derrière L’espion qui m’aimait (3e), La Guerre des étoiles (2e), et Les aventures de Bernard et Bianca (1er). Depuis la formation du duo Terence Hill – Bud Spencer, leurs films dépassent aisément le million d’entrées en France, leur popularité étant encore plus forte en Allemagne et en Italie, où ils sont considérés comme de véritables superstars.

Terence Hill et Bud Spencer se rencontrent pour la première fois en tant que têtes d’affiche dans Dieu pardonne… moi pas ! (Dio perdona… Io no!) en 1967, sous la direction de Giuseppe Colizzi. L’histoire est connue : Peter Martell, initialement prévu pour jouer aux côtés de Bud Spencer, se blesse à la cheville quelques jours avant le début du tournage. Bud Spencer, connaissant Terence Hill, le recommande à Giuseppe Colizzi. Dieu pardonne… moi pas ! est un succès, et l’alchimie entre les deux acteurs est indéniable à l’écran. Colizzi reforme rapidement le duo pour Les 4 de l’Ave Maria (I quattro dell’Ave Maria, 1968), avec l’immense Eli Wallach, célèbre pour son rôle dans Le Bon, la Brute et le Truand (Il buono, il brutto, il cattivo, 1966). Le succès confirme la complicité entre Hill et Spencer. Colizzi les réunit une troisième fois pour un western, La Colline des bottes (La collina degli stivali, 1969), aux côtés de Woody Strode, acteur fétiche de John Ford et présent dans la scène d’ouverture de Il était une fois dans l’Ouest (C’era una volta il West, 1968).

E.B. Clucher (Enzo Barboni), alors directeur de la photographie sur plusieurs westerns, dont le mythique Django (1966) de Sergio Corbucci, développait depuis plusieurs années un scénario. Alors qu’aucun producteur ne croyaient à son projet, jugé trop bavard et pas assez violent, le scénario avait du mal à convaincre les producteurs. Italo Zingarelli, cependant, finit par croire en Clucher et réussit à réunir un modeste budget pour le film. On l’appelle Trinita (Lo chiamavano Trinità…, 1970) rencontre un succès retentissant, symbolisant le tournant du western italien vers la comédie et la parodie. Terence Hill et Bud Spencer affinent alors leur duo comique, s’inspirant de Laurel et Hardy, tout en peaufinant leur dynamique d’opposition amicale. On l’appelle Trinita tombe au bon moment, à la sortie des années 60, le western « spaghetti » s’essouffle, sa parodie relance le genre.

On continue à l’appeler Trinita (…continuavano a chiamarlo Trinità, 1971)double presque les chiffres du premier film, atteignant 14 millions d’entrées en Italie contre 8 millions pour le premier opus, et 12 millions en Allemagne contre 6 millions. Terence Hill et Bud Spencer, plutôt que de se cantonner au western, choisissent intelligemment de se diversifier en se tournant vers des films au contexte contemporain. Ils anticipent ainsi le déclin du western européen, bien que séparément, surtout pour Terence Hill, ils connaissent encore de beaux succès dans ce genre. Le meilleur exemple reste sans douteMon nom est Personne (Il mio nome è Nessuno, 1973) de Tonino Valerii, produit par Sergio Leone. Ce film est plus qu’une simple parodie, marquant un moment important dans la carrière de Terence Hill. Mon nom est Personne est un des grands classiques du western européen des années 70, sorte de chef-d’œuvre impur soutenu par une admirable et entêtante musique d’Ennio Morricone.

Terence Hill poursuit sa carrière en solo, notamment avec Un génie, deux associés, une cloche (Un genio, due compari, un pollo, 1975), encore produit par Sergio Leone, mais réalisé cette fois par Damiano Damiani. Ses énormes succès attirent l’attention d’Hollywood. Il débute une carrière américaine (bien que quelques scènes aient été tournées à Rome) avec On m’appelle Dollars (Mr. Billion) de Jonathan Kaplan. Terence Hill y est entouré d’un casting américain de qualité, comprenant Valérie Perrine, Jackie Gleason, Slim Pickens, et R.G. Armstrong. Cependant, le film, distribué par la 20th Century Fox, est un échec au box-office américain. Le charme de Terence Hill, trop latin et empreint de second degré, sans la classe de Marcello Mastroianni, ne séduit pas le public américain.

On m’appelle Dollars reste la seule véritable tentative américaine de Terence Hill, car Il était une fois… la légion (March or Die, 1977) est une coproduction anglo-américaine de Sir Lew Grade et Jerry Bruckheimer, réalisée par Dick Richards, avec un casting international comme le cinéma de l’époque les appréciait : Gene Hackman, Catherine Deneuve, Max von Sydow, Ian Holm, et Marcel Bozzuffi. Malgré ces atouts, le film déçoit.

Après le succès de Attention, on va s’fâcher ! (…Altrimenti ci arrabbiamo!, 1974) de Marcello Fondato, qui se déroule dans l’univers des courses de stock-car et de moto-cross, la popularité du duo est confirmée, peu importe le contexte ou le genre du film. Terence Hill retrouve alors Bud Spencer pour Deux super-flics !, sous la direction d’E.B. Clucher, à nouveau. Le tournage des extérieurs a lieu à Miami, en Floride, tandis que les intérieurs sont filmés dans les studios De Paolis à Rome. Le scénario, écrit par E.B. Clucher, mise pleinement sur l’humour bon enfant qui caractérise leurs films. Il est taillé sur mesure pour mettre en valeur la dynamique comique du duo.

La mise en scène d’E.B. Clucher est efficace, bien que sans grande originalité, mais il imprime un rythme rapide qui permet de suivre les péripéties de nos deux apprentis flics sans aucun temps mort. Les scènes de bagarre, ponctuées de grandes baffes et d’effets sonores exagérés, s’enchaînent avec fluidité et sont très bien chorégraphiées, que ce soit en intérieur — la scène du bar est particulièrement réussie — ou en extérieur, notamment celle dans le stade. Le film adopte un ton burlesque à la manière de Mack Sennett, et ce choix est pleinement assumé, renforçant le côté comique et décalé de l’ensemble.

Aux côtés de Terence Hill et Bud Spencer, les habituels et amusant cascadeurs – acteurs, d’excellents seconds. Ainsi, David Huddleston incarne avec brio le savoureux personnage du chef de la police de Miami. Il apporte une véritable touche humoristique qui enrichit ses scènes avec Terence Hill et Bud Spencer. Huddleston, acteur solide de second rôle, avait fait ses preuves en jouant sous la direction de Howard Hawks dans Rio Lobo (1970). Bien qu’il ait le physique et la présence pour le western, le genre est alors en déclin aux États-Unis : Rio Verde (Something Big, 1971) d’Andrew V. McLaglen, Bad Company (1972) de Robert Benton, Un colt pour une corde (Billy Two Hats, 1974) de Ted Kotcheff, ou encore Le Solitaire de Fort Humboldt (Breakheart Pass, 1975) de Tom Gries sont quelques vestiges de l’époque.

Huddleston ne se limite pas aux westerns et n’hésite pas à se lancer dans la comédie. On le retrouve ainsi dans Le Shérif est en prison (Blazing Saddles, 1974), l’une des dingueries de Mel Brooks. Très prisé dans les séries télé populaires des années 70, il apparaît notamment dans Ma sorcière bien-aimée (1971-1972), Cannon (1971), Bonanza (1971-1972), Sergeant Anderson (1975), Hawaii police d’État (1976), et Drôle de dames (1976), parmi d’autres. Côté cinéma, sa longue filmographie compte des titres marquants tels que Capricorn One (1977) de Peter Hyams, Frantic (1988) de Roman Polanski, et bien sûr The Big Lebowski (1998) des frères Coen. Il retrouvera l’équipe de Deux super-flics pour Quand faut y aller, faut y aller en 1983. Plus tard, Terence Hill fera appel à lui pour un épisode de la série Lucky Luke, Le train fantôme (réalisé par Ted Nicolaou), où il partage l’affiche avec une autre gueule légendaire du western, Jack Elam.

Laura Gemser, célèbre pour ses rôles dans les films érotiques de Joe D’Amato, notamment en tant que la sulfureuse Black Emanuelle, arbore ici une tenue bien plus sage. Vêtue d’une robe longue chinoise, son charme n’en est pas pour autant diminué. Sa présence apporte une touche exotique subtilement intégrée à l’intrigue.

La bande originale composée par Guido et Maurizio De Angelis accompagne parfaitement les tribulations de nos deux héros. Le duo de compositeurs, habitués à travailler avec Terence Hill et Bud Spencer, livre une partition rythmée, drôle et entraînante qui ajoute au caractère bon enfant du film.

Deux super-flics ! est sans doute l’un des meilleurs films du tandem Terence Hill et Bud Spencer. Les scènes cultes se succèdent sans fausse note, mêlant bagarres chorégraphiées, humour potache, et rythme soutenu. L’intrigue policière, bien que légère, reste engageante, faisant de l’ensemble un divertissement sympathique et sans prétention, fidèle à l’esprit des films qui ont fait la popularité du duo. Un authentique film pop-corn.

Fernand Garcia

Deux supers-flics !Une édition BQHL, pour la première fois en 4K ultra-HD dans un combo 4K-Blu-ray, disponible aussi en Blu-ray-DVD. Avec en complément : Une présentation du film par Jean-François Giré, grand connaisseur du western, resitue le film dans l’époque et analyse le fonctionnement du duo Terence Hill – Bud Spencer (35 minutes).

Deux supers-flics ! (I due superpiedi quasi piatti), un film d’E.B. Clucher (Enzo Barboni) avec Terence Hill, Bud Spencer, David Huddleston, Laure Gemser, Luciano Catenacci, Ezio Marano, Luciano Rossi, Jill Flanter, April Clough… Scénario et histoire : E.B. Clucher (Enzo Barboni). Directeur de la phootgraphie : Claudio Cirillo. Décors : Enzo Bulgarelli. Costumes : Maria Russo. Montage : Eugenio Alabiso. Musique : Guido De Angelis et Maurizio De Angelis. Producteur : Production : Tritone Cinematografica – T.O.T.A. Italie. 1977. 1h55. Couleur. Format image : 1.,85:1. 16/9e Son : Version originale anglaise 2.0 et 5.1 sous-titrée en français et en version française en 2.1 et en 5.1. Tous Publics.