Avec Dark Shadows, Tim Burton aborde le film de vampire avec le respect cinéphilique qui le caractérise et fait le charme et l’originalité de son art.
Libéré du cahier des charges Disney, il adapte ici pour le cinéma un soap opéra éponyme de 1225 épisodes créé par Dan Curtis et diffusé sur ABC de 1966 à 1971.
Tous les ingrédients qui font son cinéma sont présents. Dès la séquence d’introduction, il nous rappelle qu’il est le digne héritier non seulement des films de la Hammer (la grande période du cinéma gothique anglais) mais aussi de l’expressionnisme allemand et des films fantastiques de Roger Corman. A l’instar de Sleepy Hollow (2000) ou d’Edward aux mains d’argent (1991), Dark Shadows renvoie aux classiques du genre tout en en détournant habilement les codes. Une fois de plus, Tim Burton nous convie à une foire aux monstres doublé d’une romance poétique (variation d’Edward…). Une vieille demeure reprend vie grâce aux « morts » qui l’occupent (variation de Beetlejuice, 1988). Mais les codes de la peur sont ici retournés : nous sommes du côté du prédateur (celui qui fait peur) et non des proies (ceux qui ont peur).
Malgré le fait que tous les comédiens du film soient vraiment exceptionnels (probablement le meilleur rôle d’Eva Green à ce jour), c’est à nouveau Johnny Depp, créature Burtonienne s’il en est, qui « vampirise » l’attention de ce film. En le voyant ainsi, en Barnabas Collins, vampire chic et classe, on pense à Bela Lugosi.
Quelle magnifique idée également que de confronter son imaginaire gothique à l’époque psychédélique des 70’s. Un vampire bicentenaire en plein « Flower Power ». Ce choix de transposer l’histoire à cette époque plutôt que de nos jours (principe trop simple et convenu), est une brillante idée de Burton et de son scénariste Seth Grahame-Smith. Le spectateur, tout comme Barnabas, effectue donc un voyage dans le temps et se retrouve lui aussi en terre inconnue. Le principe d’identification est donc bien plus malin et efficace ainsi.
Avec son style qui lui est propre, une mise en scène excellente ou le moindre plan et mouvement de caméra sont non seulement justifiés mais également élégants, le metteur en scène nous offre en plus d’un film de genre, une véritable critique sociale. L’humour mordant et caustique de Burton est souvent à double sens. Ce film est un appel à la liberté individuelle. Il dénonce le fait que chaque époque soit un carcan, un cadre imposé qui oblige entre autre à s’habiller et à se comporter d’une certaine manière. Dans ce contexte, les vrais héros, les personnages les plus libres du film sont les anachroniques. Les autres sont sous l’emprise des règles de la société de consommation.
Fidèle à sa pensée, Tim Burton ne suit aucune mode, aucune tendance. Il est libre et fou. Indépendant.
Dark Shadows est le film le plus drôle de Tim Burton depuis Mars Attacks (1997) et le plus personnel depuis Sleepy Hollow. C’est un vrai magicien du cinéma qui nous offre ici un de ses plus beaux films.
Steve Le Nedelec
Dark Shadows, un film de Tim Burton, avec Johnny Depp, Michelle Pfeiffer, Helena Bonham Carter, Eva Green, Jonny Lee Miller, Jackie Earle Haley, Bella Heathcote, Christopher Lee, Chloë Grace Moretz, Alice Cooper. Scénario : Seth Grahame-Smith d’après une histoire de Seth Grahame-Smith et John August et la série de Dan Curtis. Photo : Bruno Delbonnel. Montage : Chris Lebenzon. Musique : David Elfman. Producteurs : Richard D. Zanuck, Johnny Depp, Graham King, Christi Dembrowski, David Kennedy. Production : Warner Bros. – Village RoadShow Pictures – Infinitum Nihil – The Zanuck Company – GK Films – Tim Burton Productions – Dan Curtis Productions. Distribution (Salles) : Warner Bros. USA. 2012. Format image : 1,85 :1. Couleur. Dolby Digital. Datasat Durée : 113 mn. Edition DVD-Blu-ray : Warner Home Video.