« La différence entre moi et un fou, c’est que je ne suis pas fou ! » Salvador Dalí
Intégralement surréaliste, Salvador Dalí, peintre, théoricien, poète, cinéaste, artiste génial du XXe siècle, est le protagoniste central du nouveau film de Quentin Dupieux. Daaaaaalí ! avec six a, le nombre d’acteurs qui l’incarnent à l’écran (Edouard Baer, Jonathan Cohen, Gilles Lelouche, Pio Marmaï, Didier Flamand, Boris Gillot). Le film est un hommage au peintre, mais aussi à son compagnon des premiers temps, Luis Buñuel.
De Dalí, on retrouve l’exubérance génialissime du « dernier génie de l’histoire de la peinture », son phrasé, ses fulgurances absolument cinglantes et délicieuses, en deux mots : l’homme Dalí. De Buñuel, la structure à la Charme discret de la bourgeoisie, l’enfermement dans une situation comme point central d’un mouvement perpétuel. Enchaînement sans fin avec la narration d’un rêve qui, au fil des « retours », s’enrichit de l’imaginaire sans limites d’un rêve. Buñuel et Dalí auteurs de deux poignards enfoncés dans l’histoire du cinéma, Un Chien Andalou et L’Age d’or, chefs-d’œuvre absolus, tournés en 1929 et 1930. Jamais films n’étaient allés aussi loin dans la provocation, dans la réalité enrichie par tout son contenu latent, désirs, rêves, libertés, un crachat à la gueule des institutions, de la bien-pensance, de la morale bourgeoise. Scandale à la hauteur de la puissance de ces deux œuvres. « Le cinéma est par essence surréaliste » écrivait Ado Kyrou (in Le surréalisme au cinéma, Editions Le Terrain Vague, Ramsay Poche Cinéma, 1963 et 1985), tant il donne à voir l’invisible, les autres dimensions, la persistance du désir, de la réalité des êtres.
Quentin Dupieux s’inscrit avec ses films dans une continuation du surréaliste et de l’absurde, avec son style toujours en décalage et ses histoires pop. Ils ne sont pas nombreux les cinéastes français à s’être engagés dans cette voie, citons en France, Bertrand Blier, Benoît Delépine et Gustave Kervern ou, aussi curieux que cela puisse paraître, Jacques Deray (ex-assistant de Buñuel). Il est vrai que le cinéma français est engoncé depuis des lustres dans le naturalisme, un social misérabiliste, stérilisant toute dimension. Naturalisme fadasse qui tente désespérément de s’accrocher à Renoir ou Pialat, sans en arriver à la cheville.
Jeune journaliste de la PQR, ex pharmacienne, Judith (Anais Demoustier) attend dans sa chambre d’hôtel l’arrivée du génialissime Dalí pour une interview. Elle est tendue. Dalí atterrit à l’étage et remonte l’interminable couloir de l’angoisse pour Judith. A-t-elle tout préparé ? Sera-t-elle à la hauteur du maître ? A-t-elle pensé à l’eau gazeuse ? Le maître est déçu, elle n’a pas un petit bloc note, pas d’immenses caméras pour immortaliser ses propos ! Il l’abandonne, mais la jeune journaliste ne renonce pas. Elle convainc un producteur, Jérôme (Romain Duris), qui saute sur l’occasion afin de faire un documentaire cinéma. Un nouveau rendez-vous est pris avec Dalí…
Daaaaaalí ! finit par devenir une sorte de toupie, tournant indéfiniment sur lui-même, là, où Buñuel, sous la fausse simplicité du Charme discret de la bourgeoisie ou d’autres films, renouvelait sans cesse son action, du génie à l’état pur. Dupieux n’y arrive pas, malgré tous ses efforts. Il « reconstitue » par l’absurde l’acte créateur de La happe invisible, fine et moyenne de 1932 et De Dalí de dos peignant Gala de dos éternisée par six cornées virtuelles provisoirement réfléchies par six vrais miroirs de 1972, ce qui lui permet un jeu de glissement dans l’espace-temps des différentes périodes de l’artiste.
Si l’humour, l’absurde et une certaine forme de dérision sont bien présentes, il manque une touche : l’érotisme. La tête bourgeonnante érectile de La happe invisible, fine et moyenne, n’a pas sa fonction première, de sexualité cérébrale sublimée par l’art, mais de simple gag. L’œuvre de Dali baigne en grande partie dans une sauce sexuelle, avec ses innombrables représentations, expression de son génie exhibitionnisme narcissique. Gala est réduite à peu de chose dans le film. Dans une séquence, Dalí se permet de caresser les gros seins de la maquilleuse, qui se dandinent devant son nez. Si elle ne trouve rien de bien méchant à se faire peloter, il n’en va pas de même du cadreur, qui désapprouve totalement le geste. Nous sommes à l’évidence dans un film fossile du XXIe siècle. Regrettons encore la pauvreté de la palette de couleurs de Daaaaaalí !, ternes et fades, à des années-lumières celles de l’artiste. Il est peut-être temps pour Dupieux, chef opérateur, d’envisager, à défaut d’une lumière plus élaborée sur le plateau, un étalonnage même à minima de ses films.
Fernand Garcia
Daaaaaalí ! un film de Quentin Dupieux avec Anais Demoustier, Edouard Baer, Jonathan Cohen, Gilles Lelouche, Pio Marmaï, Didier Flamand, Boris Gillot, Romain Duris, Agnès Hurstel, Marie Bunel, Catherine Schaub-Abkarian, Eric Naggar, Angélique Pleau… Scénario, image, montage : Quentin Dupieux. Costumes Isabelle Pannetier. Musique : Thomas Bangalter. Producteurs : Mathieu Verhaeghe et Thomas Verhaeghe. Production : Atelier de production – Associates M Productions – France 3 Cinéma – Æquo Productions, avec le soutien de La Région Ile-de-France, Région PACA, CNC, SACEM, Canal +, OCS, France Télévisons, C8. Distribution (France) : Diaphana Distribution (sortie le 7 février 2024). France – Espagne. 2023. 77 minutes. Couleur. Format image : 2.35 :1. Sélection Festival de Venise, 2023. Tous Publics.