Il n’est pas courant de voir un film sur un directeur de la photographie. Il est encore plus rare d’en voir un en salle. Close Encounters with Vilmos Zsigmond est un document précieux, réalisé avec respect et admiration par Pierre Filmon. Vilmos Zsigmond est l’un des plus importants artisans de l’image du cinéma américain des années 70/80.
Vilmos Zsigmond est un émigré Hongrois; en 1959, il débarque aux États-Unis sans parler un mot d’anglais. Quand les chars de l’URSS ont envahi Budapest, jeune homme passionné de photographie et de cinéma, Vilmos a immortalisé l’entrée des Soviétiques dans Budapest par d’admirables clichées. Vilmos est l’enfant de l’école photographique hongroise, de cette approche de l’image, de la place de l’homme au sein d’un espace, de la nature.
Les débuts de Vilmos Zsigmond sont difficiles. Il trouve, comme son compatriote et camarade László Kovács, du boulot en marge des grands studios dans les séries B destiné principalement au circuit des Drive-In. Au bout de cinq ans, il est naturalisé américain. L’agent du bureau des naturalisations trouve son nom imprononçable et transforme son prénom en William. Il signe plusieurs séries B du nom de William Zsigmond. Il travaille régulièrement à partir de 1963 et se fait la main sur des films d’horreur, fantastique et des westerns, cinéma populaire mâtiné de scènes sexy. Des films réalisés en quelques semaines avec de minuscules budgets par James Landis ou Al Adamson. En 1969, Vilmos attire l’attention de ses collègues directeurs de la photo avec ses cadrages et ses effets de lumière dans Futz, une satire sur les déboires amoureux d’un paysan signé par Tom O’Horgan.
Robert Altman, grand expérimentateur, lui confie la photo de John McCabe (1971). Le film est une importante production financée par la Warner Bros. avec deux stars, Warren Beatty et Julie Christie. Tourné loin d’Hollywood, au Canada, Altman et Vilmos opte pour une image sépia sombre et crade. L’action de ce western radical se déroule dans un univers de gadoue. Le résultat épouvante les exécutifs de la Warner, mais le film fait date. Ce que confirme Délivrance (1972) de John Boorman et son extraordinaire utilisation des longues focales, osmose parfaite de la mise en scène et de la technique. Il suffit de revoir la séquence du viol et comment l’on passe des plans larges à l’isolement de Jon Voigt attaché à un arbre. Vilmos est un maître dans l’utilisation de la Panavision anamorphique. Il a su se mettre à la disposition de cinéaste de ce début des années 70 qui avait soif d’expérimentations.
Même le jeune Steven Spielberg tente d’incroyables plans sur la route de Sugarland Express (1974) et offre à un public émerveillé un véritable ballet de lumières dans Rencontres du troisième type (Close Encounters of the Third Kind, 1977)…
Il s’adapte sans problème au romantisme baroque postmoderne de Brian de Palma, collaboration qui débute avec Obsession (1976) et se poursuit avec le flamboyant Blow Out (1981), Le Bucher des Vanités (The Bonfire of the Vanities, 1990) et Le Dahlia noir (The Black Dahlia, 2006). Il travaille également avec Woody Allen, auteur des œuvres intimistes comme Le rêve de Cassandre (Cassandra’s Dream, 2007), Melinda et Melinda (2004) et Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (You Will Meet a Tall Dark Stranger, 2010).
Vilmos Zsigmond apporte un regard et une manière de faire Hongroise dans le cinéma américain par l’amplitude des mouvements de caméra, l’utilisation de la lumière naturelle en partant toujours du corps des acteurs, de leurs regards. Il est le lien entre les visions du réalisateur et le public. Et dans cette connexion se trouve un peu de l’art pictural de l’Europe de l’Est comme enrichissement de l’imagerie américaine.
Avec Michael Cimino c’est un peu le mouvement inverse qui va se produire. Vilmos adopte un style plus « classique » avec Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter, 1978) et La Porte du paradis (Heaven’s Gate, 1980). Il va partir de la réalité et de l’imagerie américaine pour visualiser le quotidien d’immigrés ou petit-fils d’immigrés d’Europe de l’Est.
Le grand mérite du documentaire de Pierre Filmon est de suivre de manière quasi chronologique la carrière de Vilmos Zsigmond; avec humilité et sans nostalgie, il se penche sur sa carrière. Filmon le suit dans sa ville natale, à Budapest, à Big Sur, là où il a posé ses valises. Il donne la parole aux nombreux directeurs de la photographie, ou plutôt des cinematographers comme le souligne Vittorio Storaro. Les réalisateurs Peter Fonda, John Boorman, Jerry Schatzberg, Richard Donner, Mark Rydell et Ivan Passer reviennent avec précision et humour sur leur travail avec Vilmos. Séquence émouvante et euphorisante, où le couple de Blow Out, Nancy Allen et John Travolta, évoque Brian De Palma. Close Encounters… est un voyage dans une esthétique cinématographique disparue avec l’avènement du numérique, d’un temps où les plans n’étaient pas fragmentés en dépit du bon sens..
Close Encounters… est aussi une belle rencontre, celle de deux hommes de l’ombre, Vilmos Zsigmond et d’un jeune cinéaste courmétragiste, Pierre Filmon, projectionniste au Grand Action. Le film n’en est que plus touchant et a chaque plan nous ressentons cet amour inflexible et total pour le cinéma. Et cet amour est contagieux…
Fernand Garcia
Close Encounters with Vilmos Zsigmond un film de Pierre Filmon avec Vilmos Zsigmond et les interventions de John Boorman, Jerry Schatzberg, Darius Khondji, Nancy Allen, Peter Fonda, Mark Rydell, Vittorio Storaro, Isabelle Huppert, Ivan Passer, Richard Donner, Haskell Wexler, Dante Spinotti, Bruno Delhomme, Pierre-William Glenn, Caleb Deschanel, Stephen Goldblatt… Scénario : Pierre Filmon. Image : Olivier Chambon, James Chressantis, Luca Coassin. Montage : Charlotte Renaut. Musique : Samy Osta. Producteurs : Marc Olry, Pierre Filmon, Jean-François Moussie. Production : FastProd – Lost Films – Radiant Images avec la participation de TCM Cinéma. Distribution (France) : Lost Films (sortie le 16 novembre 2016). France. 80 mn. Couleur. Format image : 1.78 :1. DCP 2K. Cannes Classics, 2016. Festival International du Film de La Rochelle, 2016.