Croatie, janvier 1992. En plein conflit yougoslave, dans le village d’Ernestinovo, Chris, jeune journaliste suisse, est retrouvé assassiné dans de mystérieuses circonstances. Il était vêtu de l’uniforme d’une milice étrangère. Anja Kofmel était sa cousine. Petite, elle admirait ce jeune homme ténébreux. Devenue adulte, elle décide d’enquêter pour découvrir ce qui s’est passé et comprendre l’implication réelle de Chris dans un conflit manipulé par des intérêts souvent inavoués.
La réalisatrice Anja Kofmel consacre son film à son cousin Chris (Christian Würtenberg) dont le meurtre, alors qu’elle n’avait que dix ans, a marqué son enfance. Journaliste, Chris avait infiltré le PIV (Prvi Internationalni Vod), un groupe de mercenaires lié à l’organisation ultra-catholique Opus Dei. Lorsque son fondateur Eduardo Flores est tué par balle en Bolivie en 2009, Kofmel a l’âge de Chris au moment de sa mort et décide de faire de l’histoire de son cousin un film, d’autant plus que ce dernier a été déclaré mercenaire tuer au combat et qu’aucune enquête n’a été réalisée sur les conditions de sa mort.
Avec la détermination de comprendre ce qui est arrivé à son cousin, pour ce documentaire très personnel, en plus des différents témoignages et des images d’archives, la réalisatrice, documentariste et dessinatrice, a fait le choix d’utiliser l’animation. Ce choix esthétique confère au film et à son sujet, une guerre de conflits religieux et nationaliste aux enjeux complexes, une stupéfiante dimension poétique et onirique. Ce choix procure ainsi au film une mise à distance. L’animation permet aussi ici à Anja Kofmel d’exprimer son point de vue de manière subjective.
« Je traite mes recherches et mes rencontres avec des témoins contemporains à la manière d’un documentaire classique, tandis que l’animation me permet d’interpréter l’histoire et de représenter, d’un point de vue subjectif, la cruauté et le désespoir associés à la guerre ». Anja Kofmel.
En quête d’indices, guidée par les notes des carnets de son cousin, Anja Kofmel est partie du jour de la mort de Chris et a entrepris de reconstituer les dernières semaines de sa vie. Son enquête courageuse l’a conduite à s’intéresser aux membres de la famille de Chris, puis plus particulièrement aux personnalités profondément impliquées dans la guerre : de ses collègues journalistes à l’ex-terroriste Carlos, jusqu’aux mercenaires du PIV, groupe fondé par Eduardo Rozsa Flores alias « Chico ».
« On n’étrangle pas, ce n’est pas assez efficace du point de vue technique. On tranche les gorges. » Eduardo Rozsa Flores « Chico », journaliste et commandant mercenaire.
« Ça vous rendait fou. Ça nous a tous rendus fous, moi aussi je suis devenu fou. Personne ne peut comprendre comment un soldat armé d’un pistolet peut tirer sur un bébé qui tête le sein de sa mère. Personne ne peut comprendre qu’on vise des enfants juste pour s’amuser… C’est ce que les Tchetniks faisaient de l’autre côté. Et on faisait pareil. C’était une guerre immonde. » Alejandro Hernandez Mora « Malaria », ancien membre du PIV.
« À mes yeux, le PIV – Première section de volontaires étrangers – était une bande de cinglés d’extrême droite venus en Croatie depuis toute l’Europe juste pour pouvoir tuer en toute légalité. » Heidi Rinke, journaliste de guerre autrichienne.
« Dans une guerre, on est ensemble vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et on risque toujours de mourir. Les seuls qui peuvent être notre famille sont les autres journalistes qu’on rencontre sur le terrain. » Julio César Alonso, journaliste de guerre espagnol.
Pour le moins délicat, le sujet de Chris The Swiss a valu des désagréments aussi bien à la réalisatrice qu’à la société de production Dschoint Ventschr Filmproduktion. En effet, alors que le documentaire était en postproduction, la production a rencontré de nombreux problèmes d’ordre politique. Le nouveau gouvernement de la Croatie n’appréciant pas que le film traite de divers problèmes causés par la guerre, suite à des manifestations contre la maison de production cinématographique qui soutenait le projet, ce dernier a fait interrompre la production en 2016 et a poussé son directeur à démissionner. Dschoint Ventschr Filmproduktion est une société de production qui développe et soutient des projets engagés qui prennent position sur des sujets politiques au travers desquels elle cherche à éveiller les consciences, à informer les individus, à changer la société.
« La production a été difficile. C’était mon premier long-métrage depuis l’école, mon premier documentaire. Je n’avais jamais écrit de scénario auparavant. Beaucoup de nouveaux éléments sont arrivés en même temps. Qui plus est, durant la production, nous avons rencontré divers problèmes, dont la plupart n’étaient pas de notre fait, mais relevaient de circonstances extérieures et de questions politiques ». Anja Kofmel.
Au final, il aura fallu sept années de travail de longue haleine à Anja Kofmel pour réaliser son projet et peut-être enfin faire son deuil. Mettant en lumière l’effroyable phénomène de ces jeunes hommes fascinés par les armes et la guerre qui rejoignent les groupes radicaux armés pour oppresser et terroriser les populations, d’une terrible actualité, le film révèle à quel point les structures de nos sociétés et leurs cohabitations sont fragiles. La paix dans le monde est partout et toujours menacée.
Aussi passionnant et essentiel que saisissant et douloureux, mêlant l’Histoire et l’intime, Chris The Swiss est un extraordinaire documentaire politique engagé qui dénonce un monde inquiétant dominé par les hommes qui attisent la haine et intimident la population pour assouvir leur soif de pouvoir, et qui, par les questions qu’il soulève, tend incontestablement à faire bouger les choses. Un récit universel pour notre avenir à tous.
Steve Le Nedelec
Chris The Swiss un film de et avec Anja Kofmel et Michael Würtenberg, Veronika Schwab, Jürg Würtenberg, Carlos Ilich Ramirez Sanchez, Heidi Rinke, Christian Würtenberg, Eduardo Rozsa Flores, Heidi Rinke, Julio César Alonso, Alejandro Hernandez Mora… Image : Simon Guy Fässler. Animation : Simon Eltz. Montage : Stefan Kälin. Sound Design : Markus Krohn. Musique : Marcel Vaid. Producteurs : Samir, Sinisa Juricic, Heino Deckert & Ikka Vehkalahti. Production : Dschoint Ventschr Filmproduktion – Nukleus Film – MA.JA.DE – IV Films. SRF Radio et Télévision – Teleclub. Distribution (France) : Urban distribution (Sortie le 31 octobre 2018). Suisse. Couleur et noir et blanc. DCP. Son : Dolby Atmos 7.1 et 5.1. Sélection Semaine de la Critique, 2018. Tous Publics.